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PAIX ET GUERRE

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que l’on instituera, cent ans plus tard, sous le vocable de Société des Nations. La seule ditférence essentielle réside dans le principe juridique à sauvegarder : légitimité des gouvernements ou droit souverain des peuples. L’organe directeur sera constitué, en 1815, parle groupe des grandes puissances européennes à l’exclusion de toutes les autres. Il sera constitué, en 1919, par la délégation delà totalité des grandes et petites puissances, mais avec voix prépondérante pour les quelques grands Etals qui auront conduit la coalition victorieuse.

Le directoire européen de la Sainte-Alliance aura une existence éphémère. Le régime est trop fragile pour résister au choc brutal des événements contraires. Lesinterventionsrépressives seront fréquemment abusives ou incohérentes : elles nuiront à la popularité du régime jusque chez les partisans de la Restauration européenne. En 1818, l’admission de la France de Louis XVllI, représentée par le duc de Richelieu, dans le directoire européen détendra la solidarité politique qui avait longtemps existé, contre la France elle-même, entre les confédérés de l’alliance de Chaumont. Puis, la diversité des problèmes qui se poseront en chacun des pays de l’Europe manifestera peu à peu l’antagonisme profond des intérêts, des sympathies, des aspirations politiques de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse, de la Russie, pour ne pas parler de la France, dès lors qu’un extrême péril commun ne les rassemble plus dans une entreprise commune et urgente.

Le désaccord s’accusera, au sein du directoire européen, à propos de l’opportunité de chaque intervention diplomatique ou militaire, et quelquefois à propos du principe lui-même des solutions de droit que requiert telle ou telle affaire pendante. En pareil état de cause, le directoire européen cesse d’être et de pouvoir être le régulateur permanent de la politique internationale en Europe. A plus forte raison, cessera-til de régir les affaires européennes quand la Révolution de juillet en France, la proclamation de l’indépendance de la Belgique, l’insurrection de la Pologne auront porté, dès 1830, un coup mortel à l’a’uvre politique et diplomatique des traités de 181 5. Puis, les événements qui se succéderont de 1848 à 187 1 vont constituer l’unité italienne et l’unité allemande et créer (bien avant les traités de 1919) une Europe toute dilTérente de celle qu’avaient organisée les hommes d’Etat de la Sainte-Alliance.

Mais le régime européen de 181 5 demeure une expérience utile. Car il nous montre comment peut fonctionner un système de juridiction et de sanctions internationales. Il nous montre aussi comment le système peut s’alfaiblir et se dissoudre quand les circonstances politiques viennent à détendre, puis à briser l’étroite union qui avait d’abord rassemblé, contre un ennemi commun et redouté, le faisceau des puissances dirigeantes.

N’oublions pas les leçons que suggère aux hommes du xx" siècle l’histoire diplomatique de la Sainte-Alliance,

E. Concert européen. — Après 1830, il ne sera plus question du directoire européen de la Restauration, celui de 18 15 et de 1818. Mais, dans bon nombre de circonstances graves, les principales puissances de l’Europe se concerteront de nouveau pour adopter en commun et imposer à autrui des résolutions collectives qui, sans répondre à un système cohérent et déterminé d’organisation politique, deviendront les formules ollicielles et successives du droit international. Ce sera le Concert européen, tel qu’on le connut de 1830 à ig14 Au temps de la Sainte-Alliance, existait une organisation internationale qui était censée répondre elle même à certains principes permanents de droit public : politique d’intervention pour le maintien de la légitimité en Europe. Le concert européen, après 1830, prétendra bien sauvegarder la paix et l’équilibre entre les Etats européens, mais uniquement par des solutions de fortune, si l’on peut dire : en d’autres termes, par des compromis variables et empiriques au milieu des forces et des prétentions rivales. Plus de règle permanente, bonne ou mauvaise. Nous parlons sans aucune ironie en remarquant que le concert européen fut dépourvu de tout ce qui aurait ressemblé à une boussole.

Le principe de la légitimité cesse d’être l’axe du droit public. Mais on ne lui substitue aucun principe ferme comme règle directrice. Tantôt le concert européen ratiCera, encouragera ou tolérera certaines applications du principe des nationalités ; tantôt il comprimera, au contraire, ce mouvement des nationalités renaissantes vers l’indépendance et l’unité nationales ; et alors il agira en vertu de considérations tirées de l’équilibre européen oti des convenances souveraines des puissances assez fortes pour imposer à autrui leurs exigences politiques. La politique d’équilibre, nous l’avons précédemment établi, ne constitue pas un principe juridique et s’accommode des interprétations les plus contradictoires, dès lors que n’existe aucune règle lupérieure pour en diriger les applications diplomatiques. On s’en aperçoit lorsque l’on considère les diverses solutions données par le concert européen aux conflits internationaux du dernier siècle.

Le principe d’intervention semblera, au premier abord, partager la disgrâce de la légitimité monarchique et de l’ordre européen de 1815. On voudra lui substituer le principe de non-intervention qui interdirait à chaque Etat de se mêler des affaires litigieuses des autres puissances, res inter alios acta, et consacrerait l’éparpillement européen, l’indi idualisme international. Ce principe aurait eu pour conséquence logique de supprimer le rôle et l’existence môme du concert européen. De fait, la constitiition de l’unité italienne et celle de l’unité allemande se sont accomplies comme si le concerteuropéen n’avait pas existé. Mais la conception contraire continua de subsister et de régir une partie des actes importants de la vie internationale. Chaque congrès ou chaque conférence par où s’alfirma le concert européen supposait, chez les hautes parties contractantes, le droit (réel ou prétendu) d’intervenir diplomatiquement ou militairement dans les affaires litigieuses que l’on voulait résoudre. Le règlement d’un grand nombre d’affaires européennes ou extra-européennes, ottomanes et balkaniques, africaines et asiatiques, par le concertdesgrandes puissances, constitua un indiscutable retour au principe d’intervention. Les résultats territoriaux de certaines guerres, par exemple en 1878 (Bulgarie), en 1897 (Grèce), en 1913 (Macédoine et Albanie) furent modifiés profondément par l’intervention comminatoire de puissances qui n’étaientcependant pas belligéranteset qui agissaient par le moyen et sous l’estampille du concerteuropéen. Avec un incomparable éclectisme, la diplomatie contemporaine admet à la fois le droit d’intervention et le principe de non-intervention, sans qu’on puisse discerner comment s’accomplit la synthèse des deux méthodes.

Le concert européen est, non pas un véritable organe de direction, mais, en quelque mesure, un organe régulateur de la vie internationale. D’abord il procède cérémonieusement à l’enregistrement officiel de certains faits accomplis. En outre, il peut ménager les amours-propres, arrondir les angles,