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PAIX ET GUEKRK


complèlement toutes les autres parties du monde. Non seulement le domaine géographique de la Chrétienté était relativement restreint, mais les populations qui l’habitaient à cette époque constituaient ensemble une même unité morale et sociale, dont le monde contemporain, malgré tant de causes puissantes d’unilication, est loin d’olïrir l'équivalent.

Il y avait, entre tous les peuples de la Chrétienté médiévale, unité complète de croyances religieuses et d’obédience ecclésiastique. L’influence du catholicisme dirigeait les consciences, pénétrait profondément la vie individuelle et collective, tendait à former chez tous les peuples chrétiens, nonobstant leurs diversités multiples, un ensemble d’aspirations identiques, nous dirions volontiers une âme semblable. On professait le même dogme, on participait aux mêmes sacrements, on obéissait à la même autorité religieuse. Partout, les écoles théologiques, philosophiques, juridiques ou littéraires, partout la législation même de la cité temporelle et la législation de la cité spirituelle parlaient la même langue universelle, la langue de l’Eglise, qui colportait en chaque pays les mêmes formules, les mêmes concepts, les mêmes directions de la pensée. Dans ce milieu relativement homogène, une organisation sociale, commune à tous les peuples, avec un pouvoir international d’ordre législatif, judiciaire et coercitif, put se constituer (à quelque degré) et apporter au droit ])viblic de l’Europe chrétienne mainte garantie précieuse.

Etpourlanl, combien l’eflicacité duremède demeura partielle et relative ! Combien de fois l’intervention (les Papes et des Conciles ne fut-elle pas impuissante à empêcher l’horrible elfusion du sang ! Combien de fois l’intervention de la Papauté romaine eu faveur de la morale et du droit ne rencontra-t-elle pas la rébellion insolente, armée, longtemps victorieuse, des princes ou des peuples prévaricateurs ! Que l’on consulte simplement la table des matières d’une histoire de l’Eglise ou de l’Europe à la plus belle époque du Moyen Age, au douzième et au treizième siècle : et l’on verra le nombre de guerres fratricides entre peuples chrétiens que ne parvint pas à conjurer l’organisation catholi(fue de la Chrétienté médiévale…

En un mot, l’histoire de la Chrétienté nous paraît deux fois instructive : et par les magniliques institutions que l’Eglise fit naître et grandir pour la sauvegarde de la paix conforme au droit, et par le caractère précaire et imparfait des résultats qu’elles obtinrent, nonobstant un ensemble exceptionnellement heureux de conditions morales et sociales pour favoriser leur succès. On peut en conclure à la fois combien est enviable et combien est difficile à réaliser, surtout dans un monde agrandi et divisé de croyances non moins que d’intérêts, l'établissement e// » cace d’une législation internationale, d’une magistrature internationale et de sanctions internationales.

C. Equilibre des Puissances. — Quand le développement politique des grands Etats modernes eut brisé les cadres féodaux et internationaux de la Chrétienté du Moyen Age, et surtout quand le protestantisme eut déchiré l’unité de croyances religieuses et d’obédience ecclésiastique qui avait fondé l’unité morale et juridique de l’ancienne Europe chrétienne, la formule politique qui, peu à peu, fut dégagée et adoptée pour règle suprême des relations internationales fut le principe fameux de l’Equilibre des Puissances.

Conception dont l’histoire indique la portée originelle. L’Equilibre européen fut, en effet, consacré par les traités de Westphalie, qui terminèrent la guerre de Trente ans (24 octobre 16^8). Les puissances catholiques et protestantes coalisées contre les Habsbourgs avaient obéi chacune à des motifs par ticuliers en prenant part au conflit durant les périodes palatine, danoise, suédoise et française. Mais tous les belligérants de cette coalition avaient pour objectif commun de faire échec à la suprématie européenne de la puissante Maison d’Autriche-Espagne qui, par l’accumulation de ses domaines et de ses héritages politiques, pouvait imposer éventuellement ses exigences dictatoriales à n’importe quel Etat de l’Europe. On était en face d’une puissance dominatrice qu’il fallait combattre, qu’il fallait désormais contenir, balancer, équilibrer, en vue de garantir la sécurité de tous.

Cette préoccupation donnera naissance au système politique de l’Equilibre européen. Pour sauvegarder l’indépendance de chacun des Etats de l’Europe, on ne devra permettre à aucun d’entre eux de posséder une prépondérance telle qu’il ne puisse être facilement contenu par les autres puissances, dans le cas d’une entreprise ambitieuse ou abusive de sa part. C’est l’aspect initial et négatif du système. La théorie s’achèvera dans la suite et prendra le caractère d’une règle positive. Les principaux Etats de l’Europe sont censés représenter, par eux-mêmes oupar le groupement de leurs alliances, des forces à peu près équivalentes, qui s'équilibrent, se balancent mutuellement, se font contrepoids. L'équilibre des forces étant le gage de la paix européenne et de la sécurité de chaque Etat, aucune rupture de cet équilibre ne saurait être tenue pour admissible. A tout accroissement extérieur de la puissance d’un grand Etat européen, devra correspondre une extension équivalente de chacun des autres grands Etats, de manière à conserver moralement intacte la balance et la proportion des forces respectives.

Telle sera la conception qui régira le droit international de l’Europe durant le dix-septième, le dixhuitième et le dix-neuvième siècle. De même que la politique d'équilibre se sera exercée en faveur de la France et de ses alliés aux traités de Westphalie contre la prépondérance de la Maison d’Autriche, elle s’exercera plus tard à rencontre de la suprématiefrançaisesouslerègne personnel de Louis XIV. La politique de l'équilibre interviendra dans chacune des coalitions européennes qui seront dirigées contre la Révolution française, contre Napoléon I"' et dans les divers remaniements territoriaux qui correspondront à chaque traité de.paix au lendemain de chaque coalition. La politique de l'équilibre aura pareillement son rôle dans les partages de la Pologne, puis, beaucoup plus récemment, dans les partages successifs de certaines fractions de l’Empire ottoman, dans plusieurs partages de domaines coloniaux et dans la répartition des zones d’influence en Afrique et en Extrême-Orient. A la veille de la grande guerre de igi^, le système qui était censé protéger la paix européenne, en contrebalançant la force de la Triple-.lliance par la force (tenue pour équivalente) de la Triple-Entente, constituait une application mémorable de la politique d'équilibre, inaugurée en 1648 aux traités de Westphalie.

Le système peut être considéré, soit comme une recette politique, soit comme la règle souveraine du droit public. Dans le premier cas, on dira : la politique de l'équilibre ; dans le second cas : le principe de l'équilibre,

La politique de l'équilibre est une recette qui a manifestement sa raison d'être depuis la disparition de l'édifice social et juridique de la Chrétienté du Moyen Age. Recette qui fut souvent dictée par des considérations impérieuses de nécessité ou de sécurité politicpie. Recette qui pourra garantir à l’ordre européen d’appréciables avantages, dès lors qu’elle

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