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PAIX ET GUERRE

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irrémcdiablerænt inefficaces et inope’rantes. Avant d’admettre l'éventualité de la guerre, on est strictement tenu en conscience de faire tout le possible pour rc’gler le condit grâce aux tractations diplomatiques, à la médiation des tierces puissances ou à l’arbitrage international. Telle est, nous l’avons dit plus haut, la condition requise, en vertu de la nature même des choses, pour que l’un des belligérants puisse avoir ensuite juste guerre.

Un problème d’importance souveraine sera donc celui de l’organisation des rapports internationaux, pour la solution paciljque des conflits qui surgiront entre les dillérenls Etats. Comment peut-on concevoir et, historiquement, de quelle manière cherchal-on à réaliser une procédure quelque peu ellicace pour le maintien de la paix et la sauvegarde permanente du droit parmi les peuples ? La question mérite examen, soit pour apprécier avec justice les institutions du passé, récent ou lointain, soit pour préparer dans l’avenir, aux règles du droit international et à la paix du monde entier, de meilleures garanties. C’est le problème fondamental en matière de Droit chrétien de la paix. C’est le problème de l’Organisation juridique internationale.

Il convient dépasser en revue les solutions qu’il a reçues à travers les siècles depuis l'époque où la dislocation de l’Empire romain, sous la poussée des invasions barbares du cinquième siècle de notre ère, marqua pour jamais le terme de cette Pai.r romaine qu’avaient saluée avec amour l’Antiquité païenne et l’Antiquité chrétienne. Des nations et des cités indépendantes, souvent ennemies les unes des autres, toujours rivales, portées aux sanglantes querelles d’ambition politique ou d’intérêts matériels, auront peu à peu succédé à l’unité majestueuse de cette organisationromaine etméditerranéenne qui soumettait à un seul gouvernement et à une seule législation tous les peuples, occidentaux ou orientaux, du monde alors connu et civilisé. Désormais, il n’y avait plus d’Empire universel. Pourrait-on cependant faire surgir, enti’c les peuples divers, quelque unité nouvelle, d’ordre moral, social, juridique, pour sauvegarder la paix du droit, la tranquillité de l’ordre, conformément aux principes delà moi’ale et à l’esprit du christianisme ?

B. Chrétienté du Moyen Age. — L’Europe chrétienne du Moyen Age, particulièrement au douzième et au treizième siècle, réalisa un effort mémorable d’organisation juridique internationale pour le règne de la paix selon les exigences du droit. L’organisation demeura toujours précaire et inachevée. Son efficacité ne fut jamais que partielle et relative. L’histoire n’enregistre cependant aucune tentative du même onlre qui ait abouti à des résultats d’une aussi haute valeur morale et sociale. Auguste Comte déclare très noblement, au tome cinquième du Cours de Philosophie positive (édition de 1867, p. 281), qu’il voudrait communiquer à tous « la profonde admiration dont l’ensemble de ses méditations philosophiques l’a depuis longtemps pénétré envers cette économie générale du système catholique du Moyen Age, que l’on devra concevoir de plus en plus comme formant jusqu’ici le chef-d'œuvre politique de la sagesse humaine ».

Le système reposait sur la collaboration étroite, sur la compénétration, mais non pas sur l’identité on la confusion, de la hiérarchie spirituelle et de la hiérarchie temporelle : l’Eglise catholique romaine et l’Europe féodale.

Le pouvoir ecclésiastique, exercé par le Pape et les évêques, le pouvoir séculier de l’Empire, des royaumes, des seigneuries et des cités, demeurent distincts en droit et en fait. Mais ils se compénètrent intime ment. Les princes elles magistrats civils sont admis comme tels, et avec honneur, à une collaboration qui ne paraîtrait pas aujourd’hui compréhensible à beaucoup d’actes et de délibérations concernant les all’aires de l’Eglise. Les hauts dignitaires ecclésiastiques et religieux « ont, en même temps, des seigneurs féodaux exerçant des prérogatives de suzeraineté séculière. La Papauté romaine unit à son pouvoir direct sur les matières religieuses un pouvoir indirect sur les matières civiles où la conscience est engagée ratione peccati et, en outre, un grand nombre de prérogatives de suzeraineté féodale. D’où résulte, pour le Saint-Siège, une haute magistrature de suprême arbitrage, connexe avec sa mission spirituelle et acceptée par le droit public de la société chrétienne.

De même que les assemblées politiques accordent une large part à l'élément ecclésiastique, les assemblées conciliaires accueillent les représentants du pouvoir séculier. Maint concile du Moyen Age prononce sur des questions que, de nos jours, nous regarderions comme appartenant plutôt à la compétence d’un Congrès diplomatique.

Les décrets des Papes et des Conciles font peu à peu prévaloir dans le droit public de chacune des cités, de chacun des royaumes de l’Europe chrétienne, un cerlainnombre de règles uniformes qui tendent à mettre un peu d’ordre et de justice dans la vie internationale.

L’arbitrage ou la médiation des Papes ou des hauts dignitaires ecclésiastiques empêchera ou abrégera, par des moyens de droit, bon nombre de conflits sanglants. La proclamation du principe de la paix de Dieu, puis l’institution (beaucoup plus réelle et eiricace) de la trêve de Dieu, la réglementation du droit d’asile et des immunités ecclésiastiques, parviendront indubitablement à restreindre les calamités de la guerre, à en exempter certains temps, certains lieux, certaines catégories de personnes et de biens, au nom de la législation commune qui s’impose à toutes les puissances de la Chrétienté.

L’influence de l’Eglise ennoblira et humanisera le métier même de la guerre, en lui donnant, par la chevalerie, une consécration religieuse avec un très haut idéal moral, celui que développe éloquemmenl saint Bernard dans l’admirable Liber ad Milites 'l’empli. Les croisades pour la libération du Tombeau du Christel des peuples chrétiens de l’Orient seront les guerres, déclarées justes en leur principe, où les Papes et les Conciles convieront les princes et les peuples catholiques en leur enjoignant défaire trêve à leurs discordes intestines.

Lorsque les droits de la religion et de la morale, lorsque les lois communes qui protègent l’ordre et la paix de la société chrétienne auront été l’objet de transgressions scandaleuses et obstinées, les Papes et les Conciles disposeront de sanctions spirituelles universellement redoutées, l’excommunicaliop etl’interdit, et même, si la chose devient indispensable à la restitution de l’ordre, de sanctions temporelles, comme l’appel adressé au suzerain du coupable ou à d’autres princes catholiques. Appel qui leur enjoindra, par devoir de conscience religieuse, de se faire les exécuteurs d’une juste sentence et de tirer l'épée pour l'œuvre sainte de la revanche du droit.

N’oublions pas les conditions historiques où se développa le système cal holique et médiéval de législation internationale, de magistrature internationale et de sanctions internationales pour la sauvegarde de la justice et du droit parmi les peuples. La Chrétienté comprenait exclusivement l’Europe centrale et occidentale : le schisme byzantin lui avait ravi l’Europe orientale, et l’on ignorait alors plus ou moins