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PAIX ET GUERRE

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Quant aux chefs d’Elal et aux législateurs, ils auront la très grave obligation de conscience de ne jamais provoquer la guerre et de ne jamais se prononcer en faveur de la guerre, tant qu’ils n’auront pas acquis (à tort ou à raison), après mûr examen, la conviction sérieuse et rélléchie que la puissance adverse s’est rendue coupable, contre leur patrie ou les alliés de leur patrie, d’une violation grave et certainedu droit, et que, par l’échec des moyensd’accommodement amiable, la guerre est devenue le seul moyen possible d’en obtenir réparation. C’est la disposition que le Docteur Angélique réclame (du belligérant qui a juste guerre) sous le nom d’intention droite.

Les règles Ihéologiquesimposentdonc auxhomræs d’Etat l’impérieux devoir moral de ne pas se demander uniquement, à l’heure d’engager une guerre, s’ils disposent de forces assez importantes pour avoir chance de la terminer avec succès, mais de se demander, avec une rigueur plus grande encore, s’ils ont un motif assez grave, assez décisif, pour légitimer devant Dieu cette effroyable extrémité qu’est lelïusion du sang humain par la guerre.

F. Vertu providentielle delà guerre. — Toutes les explications doctrinales sur les conditions de la juste guerre ne suppriment pas le problème philosophique posé devant les âmes qui réfléchissent par l’existence même d’un fléau tel que la guerre. C’est l’un des aspects les plus troublants du problème plus général de l’existence du mal physique et moral sur la terre.

Comment le Dieu très bon et très saint laisse-t-il s’accomplir d’aussi affreuses catastrophes ? S’il ne peut les empêcher, où est sa toule-puissance ? Si, pouvant les empêcher, il les permet néanmoins, où donc est sa sagesse, où donc sa bonté ?

Les philosophes chrétiens répondent à juste titre que, si Dieu permet ici-bas le mal, sous quelque forme et à quelque degré que ce puisse être, Il ne le permet que comme une épreuve miséricordieuse et sahilaire, toujours en vue d’un bien d’ordre plus élevé. Qu’il s’agisse des cruautés sanglantes de la guerre, ou qu’il s’agisse de la maladie et de la mort, de la peste et de la famine, des crimes et des scandales, de chacune des douleurs et de chacune des hontes de la condition présente, toutes ces choses font partie de notre épreuve morale d’ici-bas. Epreuve dont l’amertume constitue précisément la noblesse et la grandeur. Epr « ue qui nous oblige à opter entre la raison et les sens, entre le devoir et le caprice, entre le bien et le mal. Epreuve qui pose le sacrilice plus ou moins douloureux, plus ou moins tardif, des biens périssables de la terre pour condition méritoire à la conquête des vrais biens spirituels dont la valeur est impérissable. Epreuve austère et sublime qui, dans l’ascension laborieuse vers l’immortalité, fait monter l’àme humaine par les défilés sombres vers les sommets glorieux : per angusta ad augusta.

Sur cette solution philosophique du problème, la doctrine révélée de Dieu projette une lumière plus intense. Les trois dogmes du péché originel, de la Rédemption par le Christ et de la communion des saints aident à mieux discerner à la fois la raison d’être, la vertu méritoire et surnaturelle, le caractère fécond et divin de notre épreuve morale. Le dogme du péché originel nous apprend que les douleursetles désordres de notre condition présente résultent d’une déchéance primitive, causée par la désobéissance même de l’homme à l’égard de son Créateur et de son Père. Le mystère de la Réilemplion nous permet de transfigurer notre épreuve ])ar l’union avec le sacrifice du Calvaire et par l’expiation libératrice de nos

péchés publics et privés. Le dogme delà communion des saints nous enseigne la réversibilité sur les pécheurs des œuvres saintesaccomplies parles justes et l’ollraude magnanime des souffrances imméritées des justes pour le salut des coupables. Les catastrophes douloureuses d’ici-bas prennent alors une valeur privilégiée pour aider les âmes croyantes dans la marche vers l’éternelle lumière par la voie royale delà Croix.

Mais ce quiestvrai de chacune des calamitésde la vie présente devient plus spécialement vrai de l’effusion du saug humain par la guerre. Quelque criminelles que puissent être, en effet, les passions qui ont rendu nécessaire l’appel à la force des armes et qui trouvent dans la guerre elle-même tant d’occasions détestables de s’assouvir, il ne faut pas nier que la guerre peut posséder une valeur toute privilégiée d’expiation et souvent aussi de régénération morale et sociale.

Il y a une magnifique part de vérité dans les considérations brillantes, audacieuses et paradoxales que Joseph de Maistrb met dans la bouche de son sénateur russeau septième Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg. La guerre atteint, en effet, une horreur tragique, l’épreuve de la guerre prend une extension, se répercute par de lointains et douloureux contrecoups qui n’apparaissent pas au même degré dans les autres calamités publiques. La liberté humaine joue dans la guerre un rôle autrement considérable que dans n’importe quelle catastrophe plus ou moins analogue. La guerre met directement en action des sentiments très nobles, très profonds et très généreux de l’ordre tuoral ; elle les exalte, les surexcite jusqu’à leur énergie la plus intense.

Voilà pourquoi la guerre crée une atmosphère où l’œuvre de Dieu peut s’accomplir avec une exceptionnelle splendeur ; où la ferveur religieuse peut retrouver toute sa puissante fécondité ; où peuvent s’épanouir, sous l’action intérieure de la grâce divine, les hautes vertus chrétiennes qui sauvent les âmes et transfigurent les peuples.

C’est donc très particulièrement dans la guerre que se réalise l’expiation rédemptrice des fautes commises par les individus etles sociétés. Justes et pécheurs subissent ensemble la cruelle mais sanctifiante épreuve, et la dette plus lourde des coupables est I acquittée au centuple par le religieux héroïsme des meilleurs d’entre leurs frères. C’est encore dans la guerre et par la guerre que les nations (si elles savent compren dre et veulent profiter)peuvent recueillir les bienfaits divins d’une providentielle épreuve ; et, grâce à la pratique de l’effort et du sacrifice, grâce à de viriles leçons de sens patriotique et de discipline hiérarchique, trouver le secret de leur grandeur et de leur régénération à venir.

La méditation du croyant ne s’égare pasquandelle discerne, au milieu des horreurs tragiques de la guerre, l’exercice de la miséricorde divine et l’accomplissement d’un admirable dessein d’amour.

m. — Théorie catholique de l’Ordre juridique international

A. Sens et position de ta question. — La doctrine à la fois rationnelle et chrétienne du droit de guerre suppose essentiellement que la guerre est légitime lorsqu’elle devient le seul moyen possible de défendre ou de restaurer le droit injustement violé. Mais, avant que le recours à la force des armes soit rendu indispensable, il faut que tous les moyens de résoudre équitablemenl le confiitpar des voies pacifiques aient été d’abord employés avec le désir loyal d’aboutir, et que, par suite de l’obstination coupable de l’un des adversaires, les solutions amiables aient été