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PAIX ET GUERRE

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des moyens licites et illicites de nuire à renneini, un principe de droit naturel qui serait de natiire, non pas à trancLer tous les cas litigieux, mais à suggérer bon nombre de solutions fermes et utiles, nous parait être le prin « ipe suivant : est illicite l’emploi de tout moyen de destruction qui ne peut produire que par accident un résultat militaire. Fondée sur la nature des choses, cette règle interdirait le bombardement aérien des centres de population civile, ou leur bombardement par pièces à très longue portée, car de tels bombardements ne peuvent habituellement atteindre que la populationnon combattante, et n’atteindront que par exception fortuite les seuls objectifs qu’il soit légitime de bombarder : casernes, ouvrages fortiliés, dépôts de munitions ou de ravitaillement militaire. La règle susdite est toute voisine de celles dont s’inspirèrent manifestement les rédacteurs des conventions de La Haye. Puisque la guerre demeure toujours une perspective possible, il y aura lieu d’en reviser et d’en perfectionner les lois contractuelles, à la lumière des expériences tragiques de la grande guerre.

Le principe des représailles est pareillement conforme aux exigences du droit naturel, si toutefois l’on entend le terme de représailles dans la rigueur limitative de sa signification juridique. Les représailles sont des actes de violence, interdits par les lois ordinaires de la guerre, que pourra employer, au cours même des hostilités, le belligérant qui a juste guerre, pour contraindre, grâce à une terreur salutaire, l’autre belligérant à cesser désormais de commettre les grades i’iolations du droit de la guerre dont il » ; 'est rendu notoirement et obstinément coupable. En de leUesconditions, lesre^resai//es deviendront moralement licites, mais ne pourront jamais consister dans l’emploi de n’importe quel moyen de nuire à l’ennemi, sans en excepterles plus cruels ou les plus immoraux. Certaines choses demeurent défendues en toutes circonstances par la loi naturelle comme par ll’esprit chrétien. Mais, au nombre des choses que prohibent à bon droit les lois ordinaires de la guerre, il en est plusieurs, comme l’emprisonnement de telle catégorie d’otages ou la destruction de tel monument civil, qui ne violent pas, de soi, les exigences absolues de la morale et qui peuvent devenir temporairement légitimes, à titre de représailles, pour faire cesser des abus ou-des scandales pires encore (Cf. Louis La Fdr, Des représailles en temps de guerre, Paris, 1919).

Avec les représailles, qui ont lieu durant les hostilités, il ne faut pas confondre les sanctions, qui, dans la conclusion d’une juste paix, devront correspondre aux plus énormes violations du droit commises pendant la guerre. Si les auteurs vraiment responsables de ces crimes peuvent être identifiés avec certitude, nul doute que de telles sanctions constituent la revanche de la loi morale, selon les exigences manifestes de la justice vindicative.

C. Dénouement des hostilités. — Lorsque l’Etat (ou le groupe d’Etats) qui a juste guerre aura remporté la victoire sur la puissance adverse, il lui imposera une paix conforme au droit.

Non pas en écrasant l’ennemi vaincu et en lui appliquant jusqu’aux dernières limites la loi du plus fort, mais en restaurant la tranquillité de l’ordre. Les droits du vainqueur dans une juste guerre peuvent se résumer ainsi : reprendre à l’adversaire tout ce que celui-ci a usurpé indûment ; imposer des réparations matérielles pour les destructions accomplies et des sanctions pour les crimes commis ; exiger une contribution financière pour indemnité des lourdes dépenses de la guerre ; prendre possession de certaines forteresses et de certains territoires, à litre de

châtiment pour les violations du droit et à titre de garanties contre de nouvelles tentatives belliqueuses et injustes. On rétablira ainsi chacun et chaque chose à sa juste place par une juste paix.

La théorie catholique du droit de paix et de guerre ne recule pas devant cette conception du dénouement de la guerre par voie de justice vindicative. Vitoria, Suarez et les autres théologiens ne réprouvent indistinctement ni toute espèce d’annexion oiide conquête, ni, à plus forte raison, toute espèce d’indemnité. Le belligérant coupable et vaincu subira, par autorité de justice, des contraintes pénales plus ou moins analogues à celles que subirait un particulier justement condamné par les tribunaux pour lésion grave du droit d’autrui. De même que le particulier serait légitimement privé, par sentence du juge, de quelque chose de sa fortune ou de ses droits individuels, de même, le belligérant coupable et vaincu sera légitimement puni d’amende, et, par quelque aliénation de territoire, subira une légitime atteinte à son « droit (normal) de disposer de lui-même ». Par rapport à ce droit, et dans la mesure équitablement prescrite, il sera juridiquement forclos, selon l’heureuse expression de Mgr Landrieux, évêque de Dijon.

L’esprit de charité chrétienne interviendra, d’ailleurs, pour prescrire la modération dans l’usage de la victoire, pour en limiter les conséquences aux résultats politiques ou économiques rigoureusement nécessaires à la restitution de l’ordre et du droit, pour exclure les exigences abusives ou superflues qui causeraient sans nécessité des haines irrémédiables et prépareraient de nouvelles causes de guerre pour l’avenir.

La paix chrétienne est une œuvre de justice, mais non pas une œuvre de vengeance. Elle ne saurait être confondue avec une consécration païenne de tous les caprices orgueilleux et de toutes les convoitises rapaces de la force victorieuse.

D. Théories contredites par la synthèse catholique.

— Il ne sera pas besoin d’expliquer comment la théorie catholique du droit de paix et de guerre exclut toutes les conceptions du recours à la force des armes où la guerre est considérée comme ayant sa raison d'être en elle-même et sa justification dans la victoire, indépendamment delà justice de la cause. Conceptions qui sont la négation formelle ou équivalente de la sainteté du droit. La force prime le droit ; ou encore : la force engendre le droit ; ou même : la force manifeste le droit ; autant de sophismes détestables qui érigent la loi du plus fort en règle suprême des rapports entre les peuples et qui méconnaissent l’essence de la moralité, au point de proposer à la société civile le même idéal qu'à une bande de brigands.

Une autre conception, pourtant moins inadmissible au premier abord, est pareillement interdite aux gouvernants de l’Etat par les règles théologiques du droit de guerre. C’est la conception qui fait du recours à la force des armes un moyen juridique de dirimer une question litigieuse. Deux nations, par exemple, sont divisées par un grave conflit d’intérêts politiques ou commerciaux. De part et d’autre, le droit est douteux, le différend se prolonge, s’envenime. On ne parvient à tomber d’accord sur aucune solution pacilique. La guerre est alors déclarée, avec cette clause, tacitement acceptée chez les deux adversaires, que la question de droit sera délinilivement tranchée par la force des armes au prolit du vainqueur. Il n’est pas douteux que cette conception, dérivée du paganisme antique, ait été souvent admise avec une entière bonne foi dans beaucoup de pays chrétiens.

Les théologiens catholiques, avec François de Vitoria et François Suarez, présentent les guerres entre-