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PAIX ET GUERRE

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aux allures, quant à la luanicre d’envisager telle question complexe. Mais, sur le fond des choses, la théorie est parfaitement identique. Désormais, l’enseignement philosophique et théologique se trouvera, au sujet du droit de paix et de guerre, fixé ne varielur, à peu près intégralement. Cette question demeurera l’une de celles où l’on observera le moins de divergences appréciables entre théologiens ou canonistes catholiques des différentes écoles.

L’unique problème doctrinal qui demeura, quelque temps encore, débattu entre docteurs catholiques fut de savoir si une guerre ne pourrait pas être objectivement juste des deux côtés à la fois et si le droit des belligérants ne pourrait pas être alors rattaché à la justice commutative plutôt qu'à la justice vindicative. Nous aurons lieu de constater plus loin que, malgré l’autorité de Molina et de Tanner, l’opinion de "Vitoria et de Suarez demeura incontesta blement prépondérante, chez les docteurs catholiques, sur ce point comme sur tous les autres.

Dans le domaine du droit public chrétien, le nom de Suarez garde une autorité exceptionnelle. Le R. P. Chossat n’a pas eu tort de reproduire le témoignage significatif de Paul Janet, dont V Histoire de la Science politique dans ses rapports « irc la morale contient l’appréciation suivante : « L'écrivain [du seizième siècle] dans lequel on peut le mieux étudier le mouvepient intérieur de la scolastique depuis le treizième siècle, le plus grand nom de riîcole dans la théologie, la philosophie, le droit n.iturelet politique est le Jésuite Suarez. Sa méthode, ses autorités, ses opinions, tout nous prouve qu’il s’est attache à suivre la tradition beaucoup plus qu'à innover… Ses principes sont élevés et profonds. Il ne paraît pas se servir de la science comme instrument de domination. C’est un homme à'école et non de parti. U représente la grande tradition du Moyen Age. lien a la droiture, la sincérité, la passion logique. C’est le digne élève de saint Thomas d’Aquin. »

F. Enseignement actuel des Ecoles catholiques. — Au dix-neuvième siècle, l’enseignement du droit chrétien de la paix et de la guerre, avec une théorie de l’Ordre juridique international, fut donné par le Jésuite Taparelli d’Azeglio dans son grand Essai théorique de Droit naturel.

La Collection des Actes du Concile du Vatican (Schneeman et Granderath) contient un postulatuni adressé au futur Concile par quarante Pères qui demandent la définition des principes de la morale chrétienne sur le droit de paix et de guerre. Un autre postulatuni, rédigé à Constantinople par le synode patriarcal des Arméniens unis, se rapporte au même projet, auquel est adjoint le plan d’un tribunal de justice internationale dont la direction appartiendrait au Saint-Siège (Colonnes 86 1 à 866).

Les préoccupations résultant de l'état de paix armée et des menaces de guerre universelle qui en étaient la conséquence, les tentatives d’organisation juridique internationale et le travail de codification des lois de la guerre qui s’accomplirent aux deux Conférences de I.a Haye, en 1899 et en 1907, ramenèrent un certain nombre de catholiques, ecclésiastiques et laïques, du vingtième siècle à l'élude méthodique des théories du droit de paix et de guerre élaborées par les grands théologiens du passé. L’enseignement doctrinal de saint Thomas d’Aquin, de François de Vitoria, de François Suarez sollicita de nouveau l’attention et la sympathie des esprits avides de principes fermes et de solutions cohérentes. La tradition, un peu oubliée, des doctrines catholiques du droit de paix et de guerre ss renoua

sans effort partout où le problème fut sérieusement abordé.

Ceux-là mêmes qui ne partagent pas toutes les tendances intellectuelles de M. Vandhhpol rendent hommage aux services exceptionnels que rendit à la cause du Droit international chrétien ce travailleur modeste et consciencieux. M. Vanderpul traduisit en langue française tous les principaux textes des théologiens et canonistes du Moyen Age et du seizième siècle dans un recueil paru en 191 1. Puis, il publia, en iijia, une solide étude sur i.a Guerre det’ant le Christianisme, avec traduction française intégrale du Z>e y » /e iîe//( de François de Vitoria. C’est pareillement à l’initiative de M. Vanderpol qu’est due l’apparition du volume /.'Eglise et la ^((erre, datant de 1912 et contenant huit études substantielles, parmi lesquelles noi'.s citerons : Les Premiers Chrétiens et la guerre, par Mgr Batii’i'ol ; Saint Augustin et la guerre, par M. Paul Monck.vux ; et, tout particulièrement, la Synthi’se de la Doctrine théologique du Droit de guerre, par M. Tanqlerby. Le problème de la licéité morale de la guerre était résolu par M. Tanquerey dans les termes mêmes qu’avaient adoptés Vitoria et Suaiez. Au sujet des règles morales à observer dans la conduite de la guerre, M Tanquerey adhérait chaleureusement aux conventions internationales de La Haye, où il reconnaiss. iit, à juste litre, une exacte et heureuse interprétation des principes du droit naturel, en harmonie avec les conditions matérielles et morales de la civilisation contemporaire.

Durant la grande guerre de 1914-1918, ce même problème du droit chrétien delà i>aix et de la guerre fut étudié avec plus d’ampleur, approfondi avec plus de méthode, parun plus grand nombre de théologiens catholiques, qui, vu les circonstances, trouvèrent un accueil beaucoup plus attentif dans des milieux beaucoup plus étendus. Nous signalerons à la bibliographie : le U. P. Marcel Chossat et d’autres rédacteurs des Etudes, le R. P. Ciiiaudano, le R P. Janviiîr, le R. P. Pégcrs, M. l’abbé Miciibl, M. l’abbé UiviÉKE, M. l’abbé Charmetant, M. l’abbé Rouzic, M. le chanoine Gaudcau, et nous nous garderons bien d’omettre le vénérable évêque de Nice, Mgr Cuvi’ON. Par ses écrits publics des jours de guerre, par sa correspondance avec les autorités allemandes d’occupation en Belgique, le cardinal Mercimi donna aux thèses catholiques du droit de paix et de guerre une illustration magnifique.

Aux théologiens de profession, il faut joindre un jurisconsulte laïque de grande autorité, M. Louis Le Vvr, auquel nous sommes reilevables d’un excellent ouvrage de philosophie du droit intitulé : Guerre /uste et juste paix. D’ailleurs, les positions doctrinales demeurèrent identiques à celles des travaux publiés avant 1914, identiques aux thèses de François de Vitoria et de François Suarez, fondées elles-mêmes sur les traditions de saint Augustin et de saint Thomas, sur les principes immuables du droit naturel. L’immutabilité du droit naturel explique la conformité remarquable de la théorie des docteurs catholiques sur la paix et la guerre avec les conceptions juridiques des plus sages parmi les théoriciens non catholiques du droit international. Ces derniers, généralement, sont tributaires du grand ouvrage De Jure Belli et Pacis dédié au roi Louis XIII par le protestant hollandais Hugo Grotius, qui, sur beaucoup de points capitaux, s’inspire des mêmes principes que Vitoria et Suarez : les règles de la droite raison que Dieu a profondément gravées dans la nature de l’homme et la nature des choses ; et ce droit naturel, éclairé à son tour par la longue expérience de la sagesse antique et de la sagesse chrétienne.