Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/636

Cette page n’a pas encore été corrigée

1259

PAIX ET GUERRE

1260

à la société civile en vue du bien commun. L’Evangile de Jésus prétend tellement peu contredire cette vérité qu’il admet positivement la légitimité morale de la profession même des armes. Ainsi que l’ont remarqué tous les commentateurs catholiques, lorsque Jean-Baptiste, plus rigoureux cependant que le Sauveur pour imposer à ses disciples la rupture avec le monde, est interrogé par des soldats de l’Empire romain sur ce qu’ils doivent faire en vue d’obéir à Dieu, il ne leur répond pas : « Déposez votre épée, quittez le service de César, interdisez-vous de répandre le sang ; humain en aucune circonstance. » Mais il leur prescrit simplement, dans l’exercice normal de leur métier des armes, les lois universelles de l’honnêteté morale. « Abstenez-vous de toute violence et de toute fraude et conientez-vous de votre solde » (Luc, III, 14).

Ceux-là commettent vraiment une lourde méprise qui croient découvrir dans l’Evangile, fût-ce dans le Sermon sur la Montagne et dans le précepte spirituel de l’amour des ennemis, une réprobation absolue de la guerre et de la profession des armes, ou encore la réprobation absolue des tribunaux et de la profession de magistrat.

B. L'Eglise primitive.

La question a été méthodiquement étudiée par des érudits impartiaux (en dernier lieu, Mgr Batiffol, M. Vacandard, M. Vanoderpol), et les conclusions de leur enquête ne laissent place à aucun malentendu. Pendant les trois premiers siècles de l’Eglise, bon nombre de chrétiens servirent dans les armées romaines, sous les Césars païens, quoiqu’ils n’y fussent communément astreints par aucune obligation légale. Les chrétiens qui se crurent tenus en conscience d’abandonner l'état militaire ou de n’y pas entrer ne furent jamais qu’une très faible minorité. Lorsque les Pères de l’Eglise détournent les chrétiens d’adopter la profession des armes, c’est pour leur conseiller un genre de vie qui favorise davantage la pratique de la piété et de la perfection surnaturelle. C’est plus spécialement pour leur éviter certains périls graves d’idolâtrie ou d’apostasie qui pouvaient se présenter dans les légions de la Rome païenne, surtout aux époques de persécution. Mais ce n’est aucunement parce qu’une incompatibilité radicale existerait entre la profession du christianisme et la légitimité de toute participation éventuelle à la guerre ou la légitimité de toute espèce de recours à la force des armes.

Origène, à vrai dire, s’avance assez loin dans cette voie. Il ne formule pourtant pas de thèse universelle et absolue. Tertullien lui-même, devenu montaniste, quand il déclare, avec son emportement habituel, qu’un chrétien ne peut sans forfaiture choisir la carrière militaire, Tertullien ne tire pas argument du précepte évangélique de l’amour des ennemis et du pardon des injures, mais de telle ou telle coutume alors en usage dans les armées romaines, coutume que Tertullien considère (très à tort, d’ailleurs)comme entachée d’idolâtrie (cf. Adh. d’Alès, La Théologie de Tertullien, p. 414-416, 420, 477).En cours

Le seul écrivain ecclésiastique dont les œuvres nous soient connues et qui, dans l’antiquité chrétienne, ait formellement soutenu la thèse de la réprobation absolue de la guerre et du métier des armes, au nom de la vérité chrétienne et catholique, est précisément un auteur réputé pour ses inexactitudes, ses exagérations, ses surenchères de doctrine. Il s’agit de Lactance. Son opinion, contraire à la doctrine couramment admise et pratiquée de son temps, ne manifeste pas plus la croyance authentique de l’Eglise que, par exemple, vers 1830, quelque violente brochure de La Mennais en faveur de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Enfin, lorsque l’Empire fut gouverné par des Césars chrétiens, lorsque disparut, pour les officiers et soldats, la question des coutumes païennes, la question du péril spécial d’idolâtrie ou d’apostasie, tout désaccord disparut également au sujet du droit des chrétiens à embrasser la profession des armes : droit qui suppose manifestement la légitimité possible, la licéité morale de l'état de guerre en certaines circonstances.

Dureste, les docteurs des premiers siècles ne furent pas amenés à discuter en détail les problèmes qui font, pour nous, l’objet du Droit international chrétien, ni les conditions qui pouvaient rendre une guerre légitime devant la conscience des chrétiens. Mais le fait de ne pas regarder comme illicite le métier militaire en tant que tel, équivaut à reconnaître qu’il pourra devenir, dans tel ou tel cas déterminé, honnête et juste d’avoir recours à la force des armes. L’Eglise primitive, nul ne le conteste, avait en particulière horreur l’effusion du sang. Elle ne tenait cependant pas toute guerre pour nécessairement coupable.

C. Enseignement de saint Augustin.

Dans plusieurs de ses écrits, notamment dans la Cité de Dieu, saint Augustin aborda certains problèmes de droit naturel, de philosophie morale et sociale, que, nous l’avons dit, les autres Pères de l’Eglise n’avaient généralement pas eu lieu de traiter avec quelque ampleur : et, particulièrement, le problème de la paix et de la guerre. Les principales considérations émises par le grand docteur doivent être indiquées ici : car, sur la guerre comme sur tant d’autres sujets, les idées de saint Augustin ont fourni la moelle, la substance des meilleures théories doctrinales qui, i)lus tard, furent méthodiquement élaborées parles maîtres de la pensée catholique au Moyen Age et dans les temps modernes.

La matière comporterait de riches développements, que l’on trouvera dans l'étude de M. Paul Moncbacx sur : saint Augustin et la Guerre. Contentons-nous d’analyser un fragment delà Cité de Dieu (livre XIX, chapitres vii, xii, xiii et xv. P. L., tome XLI.col. 634, 637, 640, 643), oix l’on trouve les doctrines les plus fondamentales et les indications philosophiques les plus suggestives.il sera loisible de ramener à quatre chefs l’enseignement de saint Augustin à propos de la paix et de la guerre :

D’abord, il y a des guerres qui sont justes. Ce sont celles qui tendent à réprimer, de la part de l’adversaire, une entreprise coupable. Iniijuitas partis adwersæ jusia hella ingerit gerenda sapienti.

Mais la guerre doit être considérée comme un remède extrême, auquel on ne recourt qu’après avoir reconnul'évidente impossibilité de sauvegarder autrement la cause du bon droit. Fût-elle juste, en effet, la guerre détermine tant el de si affreuxmalheurs, mala tam magna, tam horrcnda, tamsæva, qu’on ne peut s’y résigner que contraint par un impérieux devoir.

Quant au but légitime de la guerre, ce ne sera pas précisément la victoire, avec les satisfactions qu’elle apporte. Mais ce sera la paix dans la justice. Ce sera le rétablissement durable d’un ordre public dans lequel chaque chose soit remise à sa juste place. Tout le monde connaît les admirables définitions que saint Augustin, dans ce passage, nous donne de la paix et de l’ordre : Pa.i omnium rerum tranquillitas ordinis. Ordu est parium dispariumque rerum, sua cuique loca tribuens, dispositio.

Enfin, les malheurs de la guerre constituent ici-bas l’un des châtiments du péché. Même quand la défaite humilie ceux qui avaient pour eux le bon droit, il faut regarder cette douloureuse épreuve comme voulue de de Dieu pour punir et purifier le peuple des fautes dont lui-même doit s’avouer coupable. Omnis Victoria,