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ORDINATION

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Nous ne pouvons songer à en présenter ici une analyse tant soit peu complète, encore moins à discuter ce qui pourrait s’y trouver de discutable ; qu’il suffise d’en dégager quelques idées directrices.

I Objet de la controverse. — En confiant à son Eglise la dispensation de la grâce par le moyen des sacrements, le Glirist a déterminé, jusqu’à un certain point, le mode de cette dispensation. Ministres de la plupart des sacrements, les prêtres ont reçu à cet effet, avec une investiture durable, une qualité permanente, inséparable de leur sacerdoce : c’est le caractère, ou le pouvoir d’ordre, qui agit dans les âmes ex opère operato, selon l’expression de l’Ecole. Mais ce pouvoir du prêtre demeure soumis au contrôle de l’Eglise, qui, dans une certaine mesure, en règle l’exercice et en conditionne l’efficacité. L’harmonie de ces deux facteurs, pouvoir d’ordie et direction de l’Eglise, nécessaire au bon gouvernement intérieur des âmes, peut être troublée par des causes accidentelles : qu’un prêtre s’engage dans les voies du schisme ou de l’hérésie, ce pouvoir d’ordre dont il est détenteur et dont le fonctionnement en quelque sorte automatique pourvoyait aux besoins des âmes, échappe au contrôle de l’Eglise. Dès lors qu’ad vient-il de ce pouvoir émancipé ? Que penser des sacrements administrés parce prêtre schismatique ou hérétique ? Que Tjenser, en particulier, des ordinations accomplies par un évêque schismatique ou hérétique ? Telle est la question qui se posa de bonne heure dans rE"-lise. Il en résulta l’éclosion d’une théologie, que nous pourrions être tentés de juger toute simple, l’ayant trouvée toute faite. Elle n’en est pas moins le fruit d’une élaboration séculaire, traversée par une foule de théories adventices, compliquée de régressions imprévues, et qui n’atteignit son couronnement qu’au plus beau temps de la scolaslique.

Et c’est là précisément la question, restreinte à la transmission du pouvoir d’ordre, dont ce livre contient l’histoire. Aujourd’hui tout catholique sait que, pour pouvoir faire réellement des prêtres chrétiens, en observant le rite convenable, il suffit de posséder réellement la plénitude du sacerdoce, autrement dit, d’être évêque. L’exercice du pouvoir d’ordre, dans la collation du sacerdoce comme dans tout autre acte sacramentel, pourra être illicite, si l’évêque va contre une prohibition de l’Eglise ; il ne sera pas pour cela invalide ; et ainsi le sacerdoce chrétien pourra exister et se perpétuer, le Christ l’ayant ainsi voulu, hors des prises de l’Eglise, même dans le schisme, même dans l’hérésie. C’est là une vérité, non précisément de foi définie, mais cependant définissable ; les théologiens disent : proxima fidei. M. Saltet nous retrace les efforts, les défaillances, les conquêtes de la raison théologique aux prises avec la donnée traditionnelle. Cette lutte dura mille ans.

II. Histoire de la controverse. — La première rencontre historique entre le pouvoir sacramentel, autonome en un certain sens, et l’autorité de l’Eglise, se produisit au milieu du m’siècle. L’.frique chrétienne qui, depuis quelque temps déjà, rebaptisait à leur entrée dans l’Eglise catholique les convertis de sectes dissidentes, venait de se heurter à l’usage de Rome qui, tenant pour valide le baptême conféré hors de l’Eglise, se contentait de réconcilier ces convertis par l’imposition des mains. Le Pape saint Etienne d’une part, saint Cyprien de Carthage et bientôt Firmilien de Cappadoce d’autre part, déployèrent dans cette controverse une fermeté qui donne la mesure de leurs convictions. La même opposition de principes se manifeste dès lors au sujet des clercs prévaricateui-s ou bien ordonnés

dans l’hérésie : tandis que Rome ne se refuse pas toujours à les maintenir à leur poste après une faute, l’Afrique les considère comme déchus de leur ordre, et croit faire beaucoup pour eux en les adme’itant à la communion laïque ; l’Asie dénie toute valeur aux ordres conférés hors de l’Eglise. L’entente n’était pas possible entre deux partis qui s’inspiraient de vues différentes : le Pape s’attachait à la valeur intrinsèque du rite institué par le Christ ; ses contradicteurs, revendiquant le droit essentiel de l’Eglise, affirmaient qu’il ne peut y avoir de sacrement en dehors d’elle. Le débat devait se prolonger longtemps après la mort d’Etienne et le glorieux martyre de Cyprien. — Voir ci-dessus, ai-liele Baptême des

UBHKTIQOHS.

Le concile de Nicée introduisit quelque unité dans la discipline. Par son huitième canon, il stipula que les clercs novatiens, s’ils demandaient à entrer dans l’Eglise catholique, pourraient y être reçus et y conserver leur rang, après s’être soumis à l’imposition des mains. Cependant on continuait de tenir rigueur à d’autres hérétiques, qui avaient corrompu la foi dans la Trinité. En somme, le principe maintenu au siècle précédent par le Pape Etienne, triomphait. Une telle solution devait être accueillie sans peine en Occident, où la doctrine rigoriste de Cyprien ne comptait plus guèr j de partisans que dans quelques sectes dissidentes. L’Orient, beaucoup plus livré aux entreprises de l’hérésie, mit plus de temps à faire siennes les règles prescrites à Nicée. Malgi-é certaines démarches isolées, comme celles du concile d’Alexandrie (36a) où saint Athanase fit prévaloir la doctrine qu’il avait puisée à Rome, comme celles d’Alexandre patriarche d’Antioche (’|13-420) qui se montra disposé à recevoir dans son clergé les clercs ariens, et de quelques autres, on continua de dénier communément aux clercs venus du schisme ou de l’hérésie, le pouvoir d’ordre. Un peu après le milieu du V siècle, une lettre adressée par le patriarche deConstantinopleà Martyrius d’.^ntioche, distingue deux groupes d’hérétiques : un premier groupe dont on admet seulement le baptême, ce sont les ariens, macédoniens, quartodécimans et apoUinaristes ; un second groupe dont on n’admet aucun sacrement, ce sont les eunomiens, montanistes, sabelliens etautres. Au VI’siècle, Jean le Scolaslique, patriarche de Constantinople, soumettait à la réordination les clercs monophysites. Il faut aller jusqu’au vu’siècle pour constater une réaction en faveur des ordres conférés hors de l’Eglise. Celte réaction se manifeste dans les écrits de Timothée, patriarche de Constantinople, qui divise les hérétiques en trois catégories : ceux dont on n’accepte aucun sacrement ; ceux dont on accepte seulement le baptême, et enfin ceux dont on accepte le baptême, la confirmation et sans doute aussi l’ordination : ces derniers sont les messaliens, nestoriens et monophysites. En 692, le concile In // « //oconsacrarévolution déjà accomplie, en élaguant de la lettre à Martyrius le passage relatif aux réordinations deshérétiques macédoniens, novatiens, sabbatiens et apoUinaristes. Cent ans plus tard, au septième concile œcuménique, une enquête, résumée par Tarase, patriarche de Constantinople, établissait qu’on avait depuis de longues années cessé d’inquiéter sur la valeur de leurs ordres les clercs ordonnés dans la confession monothélile : au cours des quarante années qui s’écoulèrent de l’Eclhèse d’Héraclius (638) au sixième concile œcuménique, quatre patriarches monothélites avait occupé la chaire IJalriarcale de Constantinople, trois autres avaient été consacrés par leurs prédécesseurs hérétiques. Cependant, leurs ordinations n’avaient jamais été contestées.