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ORDINATION

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couvienl bien pour la section relative aux sacrements, résumant la doctrine alors commune dans l’Eglise latine.

VI. Si grave que soit le langage du décret aux Arméniens, en vain chercherait-on les notes essentielles d’une déUnition de foi, c’est-à-dire d’un enseignement i)résonté à l’Eglise universelle comme s’imposant à l’acceptation de tous les lidcles. Destiné aux seuls Arméniens, ce décret ne fut jamais porté olliciellement à la connaissance de l’Eglise universelle, dans la forme commune aux définitions de foi. Cela est si vrai que le souvenir en était quelque peu oblitéré quand, après cent vingt ans, en iSSg, Kuard Tapper s’avisa de l’exhumer et d’en tirer argument.

Vil. Quand l’attention des théologiens fut ramenée sur ce grave document, la diversité de leurs attitudes montra bien qu’en général ils ne songeaient pas à y voir une définition de foi imposée à toute l’Eglise : au lieu de s’incliner purement et simplement, beaucoup le glosèrent, quelques-uns ne craignirent pas de I s’en écarter sur certains jjoints. La diversité croisI santé des opinions sur l’essence du sacrement de l’Ordre, après la mise en lumière de ce document, en fournil une preuve éclatante.

Tels sont les sept arguments exposés dans le mémoire De essentia Sacramenti Ordinis.

Xous croyons devoir faire ol)server en outre que irs raisons très particulières ont dii influer sur la y daction du décret aux Arméniens, en ce qui conine le sacrement de l’Ordre. Ce n'était pas la preiuière fois que ce point était discuté entre Rome et l’Arménie. Les anciennes relations de Home avec l’Arménie qui, au xii' siècle, en des circonstances restées mj’slérieuses, avait emprunté à l’Eglise latine la tradition des instruments, puis, au xiv', avait ' solennellement afhrmé sa conformité liturgique avec Rome au sujet de l’ordination, créaient un précédent [ dont un décret d’union devait nécessairement tenir i compte. Eugène IV se garda bien de donner un démenti à Benoit XII ; il reprit, en i^Sg, la doctrine qui avait servi de base aux tractations de l’année 1342 et qu’il trouvait formulée dans un opuscule de saint Thomas. Mais la déclaration relative aux sacrements demeura d’abord confinée dans le domaine oii les circonstances l’avaient rendue opportune, le domaine arménien. Quand, au siècle suivant, le concile de Trente s’occupa de définir, contre les erreurs protestantes, la doctrine catholique des sacrements, il entendit à plus d’une reprise mentionner avec lionneur le décret aux Arméniens — ses actes en font foi ; — mais ne crut pas devoir le prendre pour luise de ses travaux.

Après avoir exposé les sept arguments qui lui paraissent légitimer une certaine indépendance à l'égard du décret au.x Arméniens, le cardinal con( lut (p. 169), avec saint Alphonse de Liguori :

Eugène IV, traitant du sacrement de l’Ordre, n’a i' is voulu toujours énoncer des dogmes ; sur plu^irurs points il sést conformé au langage courant '[ui donne aux objets employés dans la collation de

pt ordres, à raison de leur valeur expressive, le

lu de matière du sacrement. »

Une conclusion si autorisée met le théologien à l’aise pour restituer au rite primitif de l’imposition (les mains la place qui lui est due dans la constitution du sacrement de l’Ordre. Ici, l’argumentation du ardinal se fait très intransigeante ; il n’admet aucun .ironxmodement et pose en thèse que l’imposition des mains n’a jamais cessé, en aucune Eglise, de con-^tiluer toute l’essence du sacrement. Accorder, à l’en ; '"litre, une valeur quelconque au décret d’Eugène IV,

! ait, à ses yeux, admettre que le sacrement a

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changé ; ce serait dévorer deux énormités dogmatiques :

1. Le saci-ement est autre dans l’Eglise d’Orient que dans l’Eglise d’Occident, il y a en réalité deux sacrements.

2. Dans l’Eglise d’Occident, le sacrement n’est pas resté identique à lui-même.

Plus d’un lecteur trouvera que c’est là pousser les choses bien au noir ; et ceux qui ne partagent pas sur ce point le sentiment du savant cardinal trouveront sans doutedes raisonsàlui opposer. Nous en opposerons aussi, pour l’acquit de notre conscience. Par ailleurs, la thèse principale est solide, et à l'épreuve du cLoc des arguments.

Tout d’abord, relevons certaines indications renfermées dans la pratique commune de l’Eglise. Que, pour une raison quelconque, la tradition des instruments vienne à faire défaut, l’Eglise veut qu’on repi-enne toute l’ordination. Ce n’est pas qu’elle prétende infliger aucun blàme à l’opinion qui voit dans l’imposition des mains toute l’essence du sacrement de l’Ordre ; mais elle se refuse à disqualifier les autres. Fidèle aux principes généraux qui la guident en matière sacramentelle et qui lui prescrivent de procurer, à tout prix, la validité du sacrement, elle ne veut courir aucune chance de nullité. Aussi a-t-elle égard à l’opinion recommandée par l’autorité de saint Thomas et par celle du concile de Florence. Telle était l’attitude personnelle de Benoit XIV ; elle continue de faire loi. Simple mesure de prudence, dira-t-on. Sans doute. Nous ne voudrions pas en exagérer la portée. Pourtant il faut en noter le présupposé doctrinal.

Dira-t-on que ce présupposé mène, si on le presse, à conclure que le sacrement de l’Ordre est autre dans l’Eglise d’Orient que dans l’Eglise d’Occident, et que dans l’Eglise d’Occident il n’est pas demeuré identique à lui-même ? Cela me paraît excessif, et voici pourquoi.

Ce présupposé mènerait à une telle conclusion, s’il était possible de parler de l’essence du sacrement comme d’une grandeur immuable et parfaitement définie, non seulement quant à l’intention du Christ, d’où elle procède, mais dans toutes les conditions concrètes de la réalisation. De fait, nombre de Ihéo logiens l’ont entendue ainsi ; ils admettent (avec SuAHEz, Z>e Sacramen^is, Disp. 11, 5. 6, éd. Paris, 1866, t. XX, p. 50-51) qu’une matière et une forme valides une seule fois valent également pour tous les temps et pour tous les lieux. Mais ce n’est pas là une doctrine catholique ; c’est une opinion Ihéologique, et très contestable. La discussion que nous ébauchons ici a été poussée plus à fond et mieux par le R. P. Hahbnt : La part de l’Eglise dans la détermination du rite sacramentel. Eludes, t. LXXIII, p. 315-336 (5 nov. 1897).

Sou Eminence revendique l’institution intégrale du sacrement par le Christ. A merveille. Selon la tradition de l’Eglise, il faut maintenir que le Christ a déterminé, immédiatement et par lui-même, les éléments essentiels de chaque sacrement ; à cette condition seulement lien peut être dit, ausens strict, l’auteur. Une intention du Christ complètement indistincte, abandonnant tout à l’initiative de l’Eglise, quant au nombre et à l’espèce, ne répond pas à l’idée du sacrement chrétien. L’essence de chaque sacrement est définie i)ar l’intention expresse du Christ. Mais d autre part il ne faut pas perdre de vue que l’objet matériel de cette intention du Christ possède nécessairement une certaine amplitude. Cette amplitude ne peut-elle comprendre des rites aussi dissemblables matériellement que l’imposition

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