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NORD (RELIGIONS DE L’EUROPE DU)

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I)rovenance asiatique dont nous dirons quelques mots tout à l’heure.

Quoi qu’il eu soit, voici ce que racontent des auteurs plus récents que les runoiat du Kalevtda. Pour déchaîner le vent et la tempête, ils défaisaient les nœuds qu’ils avaient noués à des cordes magiques. Parfois, tandis qu’ils étaient tombés dans une sorte de catalepsie, leur ànie voyageant au loin allait, diton, chercher une réponse à des questions posées. Parfois encore, pour répondre à d’autres questions, les eharaans lapons recouraient à de curieux tambours magiques, comme le font encore aujourd’hui les Ostiaks et les Samoyèdes ostiakisés. La boite, oblongue le plus souvent, était fermée par une peau de renne peinte en blanc et couverte de dessins grossiers représentant le Christ et ses apôtres, une foule de dieux, le soleil, la lune, les étoiles, des oiseaux, etc. Du point où s’arrêtaient soit Vaifa ou baguette divinatoire, soit des anneaux de laiton placés sur le tambour et mis en mouvement lorsque la caisse était battue, le chaman déduisait des pronostics et tirait une réponse pour ceux qui étaient venus l’interroger. Enlin, le sorcier lapon faisait encore usage de pratiques particulières pour le traitement des maladies, et donnait aux autres Lapons les fétiches que ceux-ci désiraient avoir, mais dont ils se débarrassaient lorsqu’ils n’en étaient pas satisfaits(on a vii, par exemple, des Lapons jeterau feu des fétiches impuissants à préserver leurs rennes d’une épizootie)… La considération dont a joui, après la conversion de ces Hyperboréens, le sacristain qui traduisait aux tidèles les paroles du pasteur, n’est qu’une suite de la crainte respectueuse dont le sorcier était naguère entouré.

Aujourd’hui, ici avec les progrès de la religion orthodoxe qui amène les Lapons russes à faire 150 jours de jeûne par an, là avec ceux du luthéranisme et de l’instruction, le vieux prestige des sorciers s’est évanoui ; mais, en même temps, ont disparu les traces vraiment perceptibles des anciennes croyances. Les Lapons n'établissent plus de liens de parenté entre les rochers, comme au temps où les visitait Uégnard, l’auteur dramatique ilu xvii" siècle ; ils ne traitent plus ceux-ci de pères, ceux-là de mères et tels autres d’en/n/i/.'i.' ils ne les font plus se rendre mutuellement des visites nocturnes. Us auraient d’antre part (telle est la rumeur recueillie par G. de Diiben) détruit vers le milieu du xix* siècle ledernier » arbre des runes », c’est-à-dire les dernières écorces de pin ou de bouleau sur lesquelles élaient tracées par des sorciers des images d’instruments, d’hommes et de dieux et qui élaient consultées par les Lapons dans tous les actes de la vie. EnQn, c’est seulement dans les musées qu’il faut aller chercher les feileli, ces pierres bizarres, parfois grossièrement sculptées, autour desquelles on célébrait naguère des rites religieux. Le vieux mélange de fétichisme et de polythéisme des derniers Lapons païens n’est donc plus maintenant qu’un lointain souvenir.

B. Lus l’BUPLKs DE L.i RACE Fi.NNoisB. — I. Lcs Finlandais. — Si brèves soient-elles, ces indications d’ensemble permettent de discerner chez les Lapons l’existence de deux religions successives : un substratum purement fétichiste, puis un polythéisme anthroporaorphique plaqué sur ce subslratura. De ce polythéisme, les Lapons sont surtout redevables à leurs voisins du Sud-Est ou du Sud (suivant la partie du pays qu’ils occupent), à ces frères de race avec lesquels ils se sont trouvés en contact et qui sont devenus leurs ennemis historiques, les Finlandais ou Finnois.

Ceux-ci (les Suomalaisel, comme ils s’appellent eux-mêmes, les habitants du pays des marais, Stiomn)

sont dépeints par les auteurs anciens qui en font mention (Tacite, PtoliLmkk) comme de véritables sauvages, analogues aux Samoyèdes ou aux Ostiaks. Mais ils ont assez vite réalisé des progrès considérables, et ils ont su s'élever dans l’intervalle île quelques siècles à un degré de civilisation très supérieur, comme en témoigne le remarquable poème épique national qu’est le Kalevalu.

Ce n’est pas ici le lieu de parler longuement du Kalevala, ni de raconter comment il a été recueilli et reconstitué au xix" siècle, ni non plus de dater les différents chants quileconiposent. llsullira de remarquer que la presque totalité du poèmea étécomposée à une époque absolument païenne et que, seul, le dernier chant, la So'^ riino, annonce l’approche du christianisme et en indique la supériorité sur les anciennes croyances. Ce chant est donc incontestablement postérieur aux autres ; on doit le dater du XII" au xiv siècle, alors que l’on est en droit de faire remonter les autres jusqu'à une époque bien antérieure, du V' au viii" ou, plutôt, seulement du viK au X* siècle de notre ère.

Quelque époque, plus ou moins précise, que l’on assigne à la composition de sesdilTérentes parties, le Kalevala ne laisse qu’entrevoir la religion primitive des Finnois, celle dans laquelle le Ciel, la divinité mâle, et la Terre, la divinité femelle, étaient l’objet, de leur part, d’un culte fétichique. Ce qu’il fait beaucoup mieux connaître, c’est la religion des temps où les Finnois proprement dits, avant leur conversion à la foi chrétienne, s'étaient élevés jusqu'à un polythéisme anthropomorphique incomplet.

Il débute par une curieuse et bizarre cosmogonie qui met en pleine lumière le rôle d’une belle vierge, d’une lille de l’air, Luonnotar, la force créatrice. Lorsqu’elle quitta les hautes sphères où elle avait cessé de se complaire, « vastes régions de l’air, espaces immenses de la voûte éthérée, plaines désertes et mornes », l’eau se sépara de l’air. Plus tard, un mouvement provoqué par la douleur détermina la destruction d'œufs qu’une canne aux larges ailes avait déposés et commencé de couver sur son genou en sortant de la mer ; de là résulta la séparation du

« Ciel sublime », du n Soleil radieux », de la « lune

éclatante », des étoiles, des nuages et de la terre, o mère de tous les êtres «. Plus tard encore, Luonnotar modela la terre ; puis enCn, plusieurs siècles après que la mer l’eût rendue féconde, elle donna naissance au principal héros du Kalevala, au savant runoia ou chanteur de runot, Waïnamoïnen.

Luonnotar est donc l’agent de la création ; mais elle ne peut rien faire par elle-même. Au-dessus d’elle, en effet, comme au-dessus des autres dieux secondaires, et des runoiat, et des hommes ordinaires, existe un dieu suprême, Jumala, que le poème appelle également Ckko. Jumala, « la demeure du tonnerre », c'était avant les temps du Kalevala le nom du dieu mâle, du dieu du Ciel, dont il a été question plus haut ; c’est devenu ensuite le nom générique de toutes les divinités, encore que ce nom ait été surtout accolé à celui d’Ukko, « le vieillard ». Celui-ci

« habite au haut du Ciel et règne sur les nuages » ; 

il K supporte le monde ». Il n’agit pas toujours par lui-même, jusque dans les circonstances les plus importantes, mais rien ne se fait que de son assentiment. Il préside à I’ohutc de la création, et c’est à lui que tout le monde a recours : Luonnotar pour être délivrée de sesangoisses, Waïnamoïnen pour obtenir la venue de la pluie, <i l’eau des hauteurs du ciel, le miel des sources éthérées, sur les germes qui poussent, sur les semences qui croissent et se développent ». Ainsi donc, Juraala-Ukko permet la venue de tous les événements qui se produisent dans le monde, et c’est