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NÈGRES (LA TRAITE DES) ET LES MISSIONNAIRES

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les moyens de se défendre qu’offre maintenant la 5.eience médicale. Si la ferveur des volontaires pour ces missions de martyrs n’a jamais faibli, les Supérieurs néanmoins étaient bien obligés de chercher à limiter les pertes depersonnel. Cependant de grandes dépenses d’hommes et de peine ont été faites pour les indigènes africains, par les Dominicains au Congo, dont ils furent les premiers apôtres (avant la iînduxV siècle), et surtout dans l’Afrique sud-orientale, où plusieurs périrent de la main des sauvages Cafres ; — par lesCapucins, depuis lô^o.dansle Congo et l’Angola ; — par les Augustins, dans le Zanguebar. Les Jésuites ont fait les plus grands sacrilices en faveur des Nègres, qu’ils sont allés trouver, pour leur porter la foi et la civilisation, tout le long des cotes de l’Afrique occidentale et sud-orientale, et souvent assez loin vers l’intérieur du continent, dans les bassins du Niger, du Zaïre, du Coanza, du Zambèse. Ils y ont eu aussi leurs martjrs, comme le Vén. P. Gonçalo de Sylveira (1561) et d’autres. Il fallut, pour leur faire quitter des postes si pénibles, qu’ils en fussent arrachés en 1769 par la violence du persécuteur Pombal.

III. Action indirecte. — Il nous reste à constater une action indirecte, par laquelle les missionnaires ont influé sur l’atténuation et puis la suppression de la traite. Nous avons dit que les théologiens du moyen âge admettaient, sous certaines réserves, qu’il pouvait y avoir encore un tratic légitime des esclaves dans les pays infidèles. Mais, dès le xvi « siècle, la traite des noirs est énergiquement condamnée par les théologiens les plus illustres, notamment par les moralistes les plus autorisés des ordres auxquels appartiennent les missionnaires d’Afrique. Que s’estil donc passé? On ne peut douter que cette opinion, qui rallia l’unanimité des docteurs catholiques au xvir siècle, ne se soit formée sous l’inspiration des missionnaires.

Un des premiers théologiens qui aient traité la question est le célèbre Molina, et il l’a fait avec une ampleur et une solidité remarquables (De justitia et jure, tract. II, disp. xxxiv et xxxv). Il conmience par des détails extrêmement intéressants sur la provenance des esclaves qui entraient dans la traite, sur la façon dont les marchands les acquéraient : en particulier, il signale les mauvais traitements qui étaient infligés à ces malheureux. Molina déclare expressément qu’il tient ses renseignements des missionnaires, surtout des Jésuites. Arrivant ensuite à la décision, il remarque que plusieurs docteurs étrangers à son ordre ont déjà condamné ce commerce comme un péché mortel. Quant à lui, voici son jugement. « Pour moi, écrit-il, le plus vraisemblable de beaucoup est que ce tralic d’esclaves achetés des infidèles (en Afrique) et transportés de là ailleurs est injuste et inique, et que tous ceux qui l’exercent pèchent mortellement, et sont dans l'état de damnation éternelle, à moins que l’un ou l’autre n’ait l’excuse de l’ignorance invincible, que je n’oserais, du reste, accorder à aucun d’entre eux. » En conséquence, ajoute-t-il, le roi de Portugal et ses ministres, ainsi que les évêques et les confesseurs des marchands d’esclaves, sont tenus d’examiner ces gens, et d’aviser à une répression eflicace de leurs injustices. La raison de cette conclusion, c’est que, d’après les faits connus, il y a présomption légitime que les nègres enlevés par la traite sont tous, ou presque tous, injustement réduits en esclavage.

Telle est la doctrine de Molina sur la traite des noirs. Il n’est pas inutile d’ajouter qu’il l’enseigna dans la principale chaire de l’université d’Evora, en Portugal, et que le liTe où il la reproduisit fut égale ment publié dans le pays qui avait inauguré ce honteux commerce, et qui à cette époque en avait encore en grande partie le monopole et en retirait de gros prolits.

Les mêmes conclusions furent soutenues avec non moins de fermeté par un autre professeur de théologie, Portugais et Jésuite, le P. Fernan Rebkllo, au commencement du xvii' siècle (Opiis de Obhgalionibiis jtistiliae, lib. I, quæst.io, Lugduni, 1608 ; approbation portugaise de 1606). Un peu plus tard, Thomas Sa>chez. le célèbre moraliste espagnol, si injustement vilipendé dans les Provinciales, se prononce encore avec plus de décision dans le même sens (Consilia moraha, lib. I, cap. i, dub. 4). Enfin, ces auteurs invoquent à l’appui de leur jugement les moralistes les plus estimés de l'époque, comme Ledbsma, Soto, Navahro, Mercado, Fr. Garci-v et d’autres.

Les décisions des théologiens en ce temps-là n'étaient pas de vaines paroles, condamnées à se perdre dans les régions de la théorie. Elles influaient |uiissamment sur l’opinion pul)lique et dictaient souvent la conduite des ministres et des souverains. En Portugal, de même qu’en Espagne, les théologiens étaient appelés dans les conseils royaux, pour collaborer aux instructions qu’on donnait aux gouverneurs et aux chefs militaires des colonies. Molina nous apprend, par exemple, qu’il a vu les instructions remises à des généraux chargés de deux expéditions dans le pays d’Angola et dans la région du Zambèse. Il atteste que ces instructions, élaborées avec le concours des conseillers spirituels de la couronne, contenaient tout ce qu’il fallait pour sauvegarder les lois de la justice à l'égard des indigènes.

S’il n’avait tenu qu’aux docteurs catholiques, inspirés par les missionnaires, letrafic des noirs aurait cessé d’exister au xvn « siècle. Si, au contraire, il ne fit que progresser et ajouter violences sur violences, c’est qu’il était tombé entre des mains que ni les décisions des théologiens catholiques ni les protestations des missionnaires ne pouvaient arrcler. On sait, en efifet, que les peuples protestants, et surtout les Anglais, qui ont tant fait de nos jours pour l’extinction de la traite des noirs, eurent le rôle le plus actif dans ce commerce inhumain, jusqu’au premières années du xixi^ siècle.

BiBUOGRAPBiB. — Outre les ouvrages indiqués dans l’article, on peut voir : Margraf, Kircke iind Sklaverei, ïiibingen, 1866 ; — P.J. Dutilleul, art. ^sc/ara^e dans le Dictionnaire de Théologie catholique : — liesoliitiones S. Ofjicii ad duhia circa Nigros, d. 20Mart.1686, dans Juris Ponii/icii de Propaganda Fide, Pars secunda, cnxxxiii, p. 226, avec des fautes rectifiées dans la note i, p. 628 ; cf. dxlvi, p. 286, Rome, 1909 ; — Ms. de la Bibl. nat. à Paris. F. Portug. 8, f. 266 : " Determinaciio de Letrados S. comq.condicoens se podia fazer guerra aos fSeys, da Conquisia de Portugal. Fala especial do Monomotapa. » C’est sans doute une des consultations auxquelles fait allusion Molina ; elle est datée du 25 janvier lôGg et signée de sept juristes, dont au moins un Jésuite. — Aux archives de l’archevêchc, à Malines (Belgique), se trouve un document portugais, intitulé Informaroes do captiveiro dos Cafres, et donnant les réponses de cinq anciens missionnaires du Zambèse, interrogés par le P. Michel de Amaral, visiteurdes Jésuites de l’Inde, le 30 mai 1709, pour savoir ; 1° si, en général, les esclaves exportés de r.frique australe avaient été faits légitimement esclaves ; 2° si les marchands, qui les avaient achetés pour l’exportation, examinaient avant les achats, pour n’exporter que ceux