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MYSTÈRES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

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vérité, Reitzenslein ne veut pas y voir le sens de connaissance intellectuelle en général, mais celui de vision. Il soutient que /vûîij n’a jamais dans les épîtres pauliniennes le sens de connaissance intellectuelle. C’est pourtant bien ainsi qu’il faut l’entendre dans la première épître aux Corinthiens, xiv, 6 : « Et maintenant, frères, si je venais à vous, parlant en langues, à quoi vous serais-je utile si je ne vous parlais pas ou par révélation, ou par connaissance, iv -/Mail, » Le sens est très clair : Paul prêchait aux Corinthiens ou ce qui lui avait été révélé par Dieu ou ce qu’il déduisait par son intelligence. Il ne s’agit pas ici de la vision de Dieu.

Examinons maintenant la valeur de l’hypothèse de Heilzenstein. Ses preuves sont presque toutes extraites des écrits hermétiques. Gomme nous rencontrerons encore des propositions appuyées sur ces écrits, il est nécessaire de se rendre compte de leur autorité par rapport aux épîtres pauliniennes. Et d’abord, à quelle époque remontent-ils ? Remarquons que le Corpus Uermeticiun est formé de livres divers et de fragments qui ne sont probablement pas de la même époque. Le plus complet : o Le Livre sacré » est un mélange de doctrines égyptiennes et d’idées grecques : « Il appartient, dit L. Ménard (Hermès Trismégistc, j). Lxxxiv), à cette période de rénovation religieuse produite par la rencontre de la philosophie grecque et des doctrines orientales et égyptiennes ; mais ce mouvement a duré plusieurs siècles… Il est probable que ce livre a dû être écrit après la naissance du christianisme. Pour le « Discours d’initiation », ordinairement appelé.-/sc/e/i/os, cela est certain, puisque, dans un passage, Hermès annonce, sous forme de prophéties, le triomphe du christianisme. On le croit écrit sous Constantin. » Ménard, qui a traduit en français les livres hermétiques, conclut qu’ils sont les derniers monuments du paganisme. W. Kroll (Hermès Trismegistus, dans Pauly-Wissowa, Uealencyklopddie), ne croit pas que le Corpus hermeticum renferme des pièces antérieures au i" siècle ou même du i siècle et regarde le m' siècle comme le terme moyen de la composition. Etant donnée cette date récente, est-il bien nécessaire de discuter les rapports qui pourraient exister entre eux et les épîtres pauliniennes ? On pense cju’ils ont peut-être rapporté quelques-unes des doctrines des mystères égyptiens ; c’est possible, mais comment distinguera-t-on entre ce qui est antérieur au christianisme et ce qui lui est postérieur ? Pour ne pas paraître fuir la discussion au moyen de cotte question préalable, examinons si vraiment il y a des rapports de dépendance de Paul à l'égard des écrits hermétiques.

Reitzenstein soutient que Paul, tout comme les mystères païens, emploie le terme //oj^i ; au sens de vision de Dieu. Or, il ressortira de l’examen des passages où se trouve ce terme, que jamais il ne signifie vision de Dieu. Son sens général est connaissance, II Cor., II, 14 ; X, 5, puis discernement, Rom., xi, 33 ; XV, il. Il est souvent joint à ctpiK ou à ùj.rfja-x, Rom., XI, 33 ; I Cor., xii, 8 ; Col., ii, 3 ; Rom., ii, 20. Lorsque Paul parle du /i/^ ; ac^ftv.i et du)o-/Ci yvcJKwî, il établit une distinction entre ces deux termes, mais quelle est-elle ? Il semble que c^fi-y. désigne l’objet de la science et /viTi ; sa connaissance.

Examinons les passages des épîtres pauliniennes où Reitzenslein soutient que /vSjtc ; a le sens de vision. La /vfjai ; était un don surnaturel et il était rangé par Paul parmi les autres charismes, I Cor., xii, 7, ss. : la parole de sagesse, de science, les guérisons, la prophétie, le discernement des esprits, tous dons transitoires qui sont accordés par le même Esprit, et cette manifestation de l’Esprit est pour

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l’utilité (de tous). Et que l’on remarque que -/vaii ; ne peut signifier vision, puisque c’est un don de i>arole,

La -/jCiyti d’ailleurs passera, comme tous les autres charismes. I Cor., xiii, 8-ii ; et il ressort bien qu’elle n’est pas la vision de Dieu dont il est parlé au ^ 12 :

« Soit les prophéties, elles seront abolies ; soit les

langues, elles cesseront ; soit la gnose, elle sera abolie. Car maintenant nous voyons dans un miroir, en énigme, mais alors nous verrons face à face. » En d’autres termes, en cette vie nous connaissons Dieu dans un miroir, celui de ses œuvres, Rom., I, 20, tandis que dans la vie future nous le verrons directement. La vision de Dieu est donc réservée pour l’autre monde, et saint Paul ne dit pas qu’elle nous déifiera.

Même dans le passage de l'épîlre aux Romains, 11, 20, où il est question du Juif qui prétend a^oir la forme de la connaissance et de la vérité, Reitzenslein soutient que cette /vari ; a le sens de vision, tandis qu’il est évident qu’il faut l’entendre dans le sens de connaissance intellectuelle.

Dans un autre passage, II Cor., iv, 6, Paul dit à ses lecteurs : a Car le Dieu qui a dit que la lumière resplendit hors des ténèbres, celui-ci a resplendi dans nos cœurs pour l’illumination de la gloire de Dieu en la personne du Christ. » Nous trouvons réunis ici les termes ^uzi^jj-ci et yii^ii, mais du contexte il ressort seulement que Dieu a resplendi dans le cœur des apôtres, afin qu’ils répandent la lumière de la science de la gloire de Dieu sur la personne du Christ. Il n’est pas question, comme dans les mystères, d’une lumière de vision qui déifie l’initié et le rend immortel. Saint Paul a d’ailleurs déclaré que nul homme n’a vu ni ne peut voir le Seigneur des Seigneurs, ov etSiv ciB-'t^ ùvdpoinoiv cùèz iSUv èùw.TCf.i, 1 Tûn., VI, 16.

Nous pouvons conclure que ce n’est pas à la liturgie des mystères que Paul a emprunté ses idées sur la gnose, connaissance des mystères du royaume de Dieu, que Jésus-Christ avait enseignée à ses apôtres ; et cela d’autant plus que nous pouvons en trouver les premiers linéaments dans l’Ancien Testament et dans la prédication du Seigneur.

Des textes que nous allons citer, il ressort que, pour les prophètes, la vision de Dieu était, en quelque sorte, expérimentale ; c'était une révélation de Dieu dans leur être intérieur. i< Je te fiancerai à moi dans la fidélité et tu connaîtras Yahvé », Osée, 11, 20. <i L’Esprit du Seigneur rejiosera sur lui, l’Esprit de sagesse et d’intelligence… l’Esprit de science, /m :  ! îu ; », Isaie, XI, 2. Cf. l’row, II, 5. Dans le Sermon sur la montagne, le Seigneur donne les conditions pour voir Dieu : « Heureux les purs de cœur, car ils verront Dieu », M t., v, 8. Ce n’est donc j)as par la science, -fCiiii, mais par la pureté du cœur qu’on verra Dieu.

Pour compléter cette étude, examinons la question de l’ascension de l'àræ au ciel, dont il est parlé dans la liturgie mithraïque, laquelle avait emprunté cette croyance au parsisme (Dikteuich, Milliruslilurgie, p. 180. F. CuMONT, Les mystères de Mitlira, p. 120, Paris, 1902). Depuis Platon, l’ascension de l'àræ vers un monde supérieur paraît avoir été un élément important dans les couches profondes de la religion grecque (Dieterich, op. cit., p. 199). Poseidonios, 135-51 avant J.-C, paraît l’avoir connue. Roiide (Psrche., II, 91) en a donné des exemples anciens. On l’a retrouvée aussi dans les livres hermétiques. Faut-il voir un souvenir de cette croyance dans le récit que fait saint Paul dans sa seconde épilre aux Corinthiens, xir, 1-6? « Il faut se glorifier ; cela ne convient pas, à la vérité, mais j’en viendrai à des