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MUSIQUE RELIGIEUSE

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A cette foi religieuse — nous parlons de la nôtre, de la foi catholique — la musique de théâtre ellemême, en plus d’un chef-d'œuvre, a rendu lénioii ; nage. Elle ne l’a pas fait tout de suite. Les musiciens dramatiques du xvn' et du xviii' siècle n’ont guère demandé qu'à l’antiquité, grecque ou romaine, des sujets et des héros. C’est au romantisme, et aa romantisme français, qu’il était réservé d’introduire dans l’esthétique de l’opéra le christianisme, et l'égli.se même. l)n a très justement appelé Meyeububr un grand liturgique. Il est vrai que par le sujet du drame et par la façon dont il est traité, par le caractère du principal motif— ou leitmotiv' — musical (lequel n’est autre que le choral luthérien Eine /este Barg), les Huguenots pourraient passer pour le type et le chef-d'œuvre de l’opéra protestant. Mais nous venons ds voir aussi tout ce qui, jusque dans le genre du choral, est venu de nous, de notre art, et doit lui revenir. Et puis n’oublions pas que le musicien Israélite des Huguenots était déjà celui de

« ce grand drame catholique de Robert » (George

Sand). Bientôt après il allait être celui du Prophète, l’architecte d’une cathédrale sonore, et faire voir — Wagner l’a dit, autrefois — « comment il faut, sur le théâtre, parler des choses de Dieu ».

Plus d’un l’a fait voir encore après Meyerbeer. C’est le GouNOD de Faust (scène de l'église), de Homéo et Juliette (allocution nuptiale de Frère Laurent) ; voire de Polyeucte (duo de la prison). Enfin et surtout, c est Wagner, qu’il serait juste d’appeler avec Nietzsche, mais pieusement et non par ironie, le musicien de la rédemption. L’idée, ou le dogme, du sacrifice expiatoire est à la base, au sommet aussi d’un chef-d'œuvre comme Tannhàuser, et de cet autre chef-d'œuvre, supérieur encore, qu’est Pars if al.

Il y a plus, et, si l’on poursuivait l’analyse de ces différents exemplaires de la musique sacrée au théâtre, on y rencontrerait parfois une inspiration non seulement religieuse, mais liturgique, le sentiment et l’usage même, instinctif ou volontaire, des formes que pour sa propre musique, la plus pure et la plus pieuse, nous avons vu l’Eglise élire et consacrer. Parsifal en particulier nous offre la plus sublime représentation que l’Eglise ait jamais rencontrée (en dehors du sanctuaire) de ses mystères les plus sublimes. Et pour les représenter, la musique n’a trouvé rien de mieux que de revenir — sans rien sacrifier, il est vrai, de son génie moderne, — de revenir, par un libre mais fidèle retour, aux deux formes de l’art ecclésiastique : la monodie grégorienne et la polyphonie alla Paleslrina.

Les scènes religieuses de Parsifal ne comportent pas un solo, par un morceau qui sente le théâtre, ou seulement le concert ; pas un éclat, pas même un soupçon de ce style profane où se développe et s'épanouit pour elle-même une musique étrangère — quand elle n’y est pas opposée — aux paroles ainsi qu’aux rites sacrés. L’orchestre même, — l’orchestre de Wagner ! et de sa dernière partition 1 — ne craint pas, à l’occasion, de s’effacer devant la voix, ou mieux, car l’ensemble des scènes est choral, devant les voix ; tantôt devant leur unisson et tantôt devant leurs accords. Mais il est un instrument ou du moins un organe sonore, et vraiment d'église, dont cet orchestre a reconnu et subi volontairement ici la souveraineté sainte : c’est la cloche. Lamennais, dans sa Philosophie de l’art, avait défini le caractère grandiose et surnatjirel de la cloche ; Wagner, dans Parsifal, l’a rendu sensible et magnifiquement réalisé.

Parmi les thèmes religieux de Parsifal, celui qu’on peut nommer le principal, parce qu’on l’entend

Tome III. l !

d’abord et que peut-être, en ampleur comme en beauté, il surpasse tous les autres, ce thème approche du type grégorien. Il en possède les caractères essentiels. A peine accompagné, il n’est que mélodie ; il n’existe et ne vaut, du moins en son premier état, que par la succession et non par la combinaison des notes. Par le rythme — auquel il obéit plutôt qu'à la mesure, — pai' le mode, il est quasi grégorien encore. Enfin, par le sentiment ou parVéthos, il est vraiment surnaturel et comme divin. Aussi Wagner l’a-t-il choisi pour traduire les paroles de la consécration. « Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang. » Paroles saintes entre toutes, si redoutables à la musique, qu’elles lui sont même interdites par la liturgie, et que, dans la réalité du sacrifice, le prêtre les parle à peine et les prononce tout bas. Jean Sébastien Bach les avait chantées avant Richard Wagner. Mais le musicien de Parsifal l’emporte ici sur celui de la Passion selon saint Matthieu, et c’est l’honneur du génie, ou de l’idéal grégorien, qu’une mélodie qu’il inspira nous paraisse, plus que toute autre, digne du plus grand de tous les mystères et de tous les miracles chrétiens.

Cette mélodie est un unisson. Et le chœur des chevaliers, sur un rythme de marche, en est un autre encore. Mais bientôt, à ces chants homophones, d’admirables polyphonies vocales répondent et font équilibre. Partout, en ces pages véritablement liturgiques, partout et toujours dominent les voix. Les voix, non l’orchestre, expriment tous les degrés et tous les modes de la prière, de la méditation, de l’adoration et de l’extase. Elles prient, elles ne font que prier. Et voici que leur prière, qui tout à l’heure se rassemblait, pour ainsi dire, en une seule coulée sonore, se divise maintenant, se décompose en subtils accords. De mystérieux, de mystiques murmures promettent au martyre d’Amfortas le sauveur

« innocent et pur, instruit par la compassion ».

Telle ou telle phrase, polyphonique aussi, l’est avec plus d’abondance et se développe davantage. Ailleurs, un thème très court, mais très caractéristique, est tout simplement la formule d’un Amen en usage dans l’Eglise de Dresde. Enfin, de plus en plus il semble que des harmonies sixtines remplissent et fassent chrétienne, catholique, presque romame, la chapelle du Montsalvat.

C’est ainsi que la musique de théâtre, en l’un de ses derniers chefs-d'œuvre, ne s’est pas contentée d'être d'église par l’esprit ou par l'àme. Elle a voulu l'être, avec plus d’exactitude et de fidélité, par la forme, par le style même et rendre hommage non seulement à la foi, mais à la liturgie.

Entre la religion et la musique nous avons essayé de montrer quel ensemble de rapports forment depuis l’origine un échaii ; , e et pour ainsi dire un commerce esthétique et sacré. L’une et l’autre en retirent profit et gloire. Dans l’ordre sensible, dans le domaine de la forme — et d’une forme, on l’a vii, plus étroitement unie que celle des autres ai’ls au fond, ou à l’idée religieuse, — l’Eglise ne saurait trouver un serviteur comparable au chant. Mais aussi de quel prix elle a paj'é ses services ! Que ne doit pas la musique à la religion et à l’Eglise I Que ne leur rendrait-elle pas, pour tant de biens qu’elle en a reçus 1 Les saints, les docteurs, l’ont honorée et défendue ; ils l’ont protégée contre tous, au besoin contre elle-même. Comme les autres arts, peinture ou sculpture, la musique liturgique, ou seulement sacrée, a trouvé dans l’histoire et dans la doctrine, dans les événements, les dogmes et les textes religieux, le sujet et l’inspiration de chefsd'œuvre sans nombre. Elle est redevable à la foi

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