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MUSIQUE RELIGIEUSE

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Elle est encore un signe assez sensible, un assez clair symbole de sympathie et d unanimité. So[irano, contralto, ténor et basse, toute l’étendue, tous les degrés et tous les timbres de la voix humaine sont compris en ces quatre voix. Et parce que jamais, ou prescpie jamais, dans le clianl a cappella, elles ne se séparent, parce que l’interprétation personnelle, égoïste, qu’est le iû/o, leur est interdite, leur concert fraternel et doublement religieux est encore une adiniralile expression, par la musique, non seulement de la foi, mais de la charité.

Nous disons par la musique et surtout par elle, car léchant alla Paleslrina — sa nature polyphonique en est cause — ne saurait être un serviteur de la parole aussi lidèle et soumis que le chant grégorien. Il laisse moins entendre le texte. Il lui donne moins de valeur et de relief. Sans jamais le contredire, il l’enveloppe toujours et quelquefois il le voile. Mais, si la polyphonie est inférieure au plain-chant pour ce que nous avons nommé plus haut la verbalité, pour la vocalitc pure elle l’égale. Elle aussi ne sait et ne veut que chanter. Elle ne se sert que des voix et des voix cachées, mystérieuses ; elle redoute et défend que le moindre spectacle détourne l’attention des lidèles et trouble leur piété.

Et puis, de l’art palestrinien comme de l’art grégorien, 1 idée, ou plutôt le sentiment, est l’objet à peu près unique. Indifférent aux dehors, cet art, qui ne fait aucune place au i monde », n’accorde presque jamais rien non plus à l’univers et à la nature. Art de prière et de méditation, il se recueille et se concentre plutôt qu’il ne se déploie, il est admirable moins par l’étendue que par la profondeur. « Tôt ou tard », disait le philosophe, « on ne jouit que des âmes ». Le mot pourrait être la devise du chant alla Paleslrina comme du chant grégorien, et parce que ces deux genres ou ces deux modes de la mmi(iue en sont les plus spirituels, les plus intérieurs, ils en sont aussi les plus religieux.

Par le Mota proprio de 1908, le chef de la religion a renouvelé, confirmé leur privilège tant de fois séculaire. « C’est plus qu’une réforme », s’écrièrent alors quelques vendeurs chassés du temple : « c’est une révolution ». Non : seulement un retour, et qui s’accomplit sans aveuglement et sans injustice, dans un esprit de tolérance et de liberté. La preuve en est qu’après avoir partagé le service de l’Eglise entre le chant grégorien et la polyphonie alla Paleslrina, l’au^juste législateur prend soin d’ajouter ceci :

« L’Eglise a toujours reconnu et favorisé le progrès

de l’art, en admettant au service du culte tout ce que le génie a su trouver de bon et de beau dans le cours des siècles, sous la réserve des lois de la liturgie.

« En conséquence, la musique plus moderne est

admise à l’église, offrant, elle aussi, des compositions que leur bonté, leur sérieux et leur gravité ne fait pas indignes des cérémonies sacrées. »

Le.yfoiu proprio s’attache ensuite à caractériser, par des traits généraux, l’esprit au moins de ces compositions. Pour le définir en quelques mots, ce serait peut-être assez de dire qu’il doit se rapprocher le plus possible de l’esprit grégorien ou palestrinien tel que nous venons de l’analyser. Ainsi l’Eglise n’interdit, selon sa coutume, ni le mouvement, ni le progrès. Hospitalière à la musique même contemporaine, même nouvelle, elle subordonne seulement à certaines conditions, à certaines convenances, l’octroi de son hospitalité. Par de telles décisions elle fixe l’art liturgique et ne le fige point. Elle en prévient les erreurs et les écarts sans en rompre le cours, sans en arrêter la vie. Elle lui procure la condition ou l’état le plus favorable : celui de la liberté

sous la loi. Omnia inslaurare in Chrislo. Quand le Souverain Pontife se fut donné cette devise et cette mission, il voulut que la musique même en éprouvât, et sans tarder, l’eltet. Moins de quatre mois après son avènement, Pie X édictait (ces mois sont les siens) le « code juridique de la musique sacrée ». Au printemps de l’année suivante (avril lyo^), fidèle tout le premier à ses proprescommandements, le Pape célébrait dans Saint-Pierre une messe solennelle où se mêlaient au plain-chant diverses pièces, anciennes et modernes, de style i)alestrinien. Ce jour-là, je me souviens qu’un détail de la cérémonie me parut le symbole de la réforme ordonnée et comme un présage aussi que tôt ou tard elle s’accomplirait. La messe s avançait. Les yeux baissés sur un admirable missel, qu’avaient enluminé pour lui, dans l’exil, nos moniales de Solesmes, le Pape achevait de chanter la Préface. Le cardinal-diacre qui l’assistait tourna la page du Sanctas et le Saint-Père y vit une lyre d’or où le Clirist en croix élait étendu. La miniature exquise dut charmer, peut-être retenir un instant le regard du Pontife dont la main ferme et douce venait de replacer sur la lyre l’image du Grucilié.

Maintenant, si nous passons de l’église à la salle de concert d’abord, puis à la salle de théâtre même, combien de fois, depuis trois cents ans, l’une et l’autre ne s’est-elle pas ouverte au soulUe de l’esprit religieux ! Dans l’ordre extra-liturgique, aussi vaste et plus libre que l’autre, l’étude, non plus des principes mais des œuvres, ou des chefs-d’tcuvre seulement, serait infinie. Il n’est pasjusqu’à la niusiquede chambre qui n’ait subi, recherclié de pieuses influences. Dès le xvii’siècle, Kuhnau, l’un des créateurs de la sonate, composait pour le clavecin des sonates

« bibliques » sur des sujets tirés de l’Ecriture. Plus

tard, beaucoup plus tard, l’adagio du quinzième quatuor de Beethoven portera ce titre ([ue nous traduisons de l’italien : « Chant d’actions Je grâces offert à la Divinité par un malade guéri, dans le mode lydien ». Le répertoire de Varia d’Italie ou du lied allemand abonde soit en cantiques spirituels, soit en pelits poèmes ou tableaux religieux. Enfin — et nous prenons au hasard du souvenir ces exemples éloignés et divers — parmi les compositions pianistiques de Liszt le diptyque de Saint François d’Assise prêchant aux oiseaux et de Saint François de Paule marchant sur les flots occupe une place d’honneur.

Ainsi les choses de la foi ne sont étrangères à aucun des genres de la musique. Elles occupent même, elles remplissent deux de ces genres tout entiers, et non des moindres, la cantate sacrée et l’oratorio. Nous ne saurions, bien entendu, raconter ou seulement résumer ici l’histoire ni de l’un ni de l’autre. Les origines et le développement, les maîtres et les chefs-d’œuvre en sont connus. On sait que saint Philippe dk Néri fut le fondateur à la fois de l’Oratoire et de l’Oratorio. « Il aimait fortement la musique), a dit son plus éminenl biographe, « et elle fut toujours à la tête de ses pensées. » (Vie de saint Philippe de Néri par S. E. le cardinal C.iPK-CBL ^THO, archevêque de Capoue ; trad. de P. Bezin, 1 vol., l’aris, Poussielgue, 1889) Oui, même de ses pensées monastiques, et dans le premier chapitre des constitutions de son ordre il est écrit : « Musico concentu excitentur ad cœlestia conlemplanda. U faut, par le chant en commun, s’exciter à la contemplation des choses célestes. » Au nombre de ses amis et pénitents, saint Philippe compta non seulement Pa-LBSTRiNA, qui mouTUt entre ses bras, mais l’un des premiers parmi les musiciens de l’époque, le premier