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MUSIQUE RELIGIEUSE

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église. L’acoustique des nefs est infailliblement funeste au solo non moins qu’à la symphonie. Deux seules voix instrumentales, celle de l’oryuc et celle de la cloche, l’une au dedans, l’autre au deliors du temple, sont dignes de se mêler, pourvu qu’elles ne l’étoulTent point, au concert des lidèles, et de s’y mêler saintement.

Après la vocalilé pure, un caractère essentiel du plain-chant est la verbalité. Tandis que noire moderne polyphonie demande à l’harmonie, aux timbres, la vérité et la variété de l’expression, la mélodie grégorienne l’obtient de la seule parole. Elle n’est pas la parole « mise en musique », mais la musique issue, jaillissant de la parole, oùelleétait contenue et cachée. La parole ici, loin d’être l’esclave, ou seulement la servante des sons, en est la maitresse et la reine. Et son règne est conforme aux principes, aux lois de l’ordre chrétien. Saint Thomas encore a dit : « La Création est la voix du Verbe et toutes les créatures sont comme un chœur de voix qui répètent ce même Verbe. » (In /"’Sent., d. 27, q. 2, art. a, q. 2 ad 3™) Dans l’attache et la soumission au Verbe consiste la dignité, la sainteté du cliant. Le Verbe, le Verbe seul, est <i au commencement » de l’art grégorien.

Entre cet art et son objet, ou sa fin, il y a d’autres convenances encore. Le plain-chant, en même temps que vocal, est homophone ; ne se seivant que des voix, il fait d’elles toutes une seule voix. L’unisson nombreux, voilà peut être la forme sonore la plus capable d’exprimer et de créer l’unité : non seulement l’unité des fidèles entre eux, mais celle de chacun, son unité spirituelle et tout intérieure. Loin départager l’àme, cet art la rassemble. Il la fait concorder, concourir en toutes ses parties et de toutes ses forces. « Qu’ils soient un comme mon Père et moi nous sommes un. » Les voix de l’unisson grégorien sont unes de cette manière, et cela constitue encore une fois entre l’objet de la musique d’église, lequel est divin, et cette musique même, une nouvelle et divine conformité.

L’antiquité de l’art grégorien en accroît aussi le caractère religieux. Plus que tout autre chant, le plain-chant est contemporain de ce qu’il chante ; ce mode d’expression parut en même temps que l’ordre des idées, des sentiments qu’il exprime, et c’est beaucoup, pour qui célèbre les choses éternelles, de les célébrer sur le mode le plus ancien, le plus proche du temps où ces choses furent révélées.

Contemporain du christianisme, le plain-chant en est égaleuient un peu le compatriote. Des souilles de l’Orient ont passé, nous l’avons vu, dans les mélodies primilives de l’Eglise. Aucun charme ne leur manque, ni celui du lointain, ni celui du mystère. Parce qu’elles sont anonymes, elles sont humbles. Il semble ainsi qu’une vertu s’ajoute à leur beauté. Tout ce qu’elles eurent des hommes, ne fût-ce qu’un nom, a péri. Elles n’ont gardé que ce qui leur vint de Dieu. Dieu enfin, qui voulut cet art impersonnel, le voulut aussi populaire, semblable à la foule, pour laquelle et ([uelquefois par laquelle il fut créé. Entre les chants de l’Eglise et les chants du peuple, au Moyen Age, les échanges furent nombreux. Il ne faut pas s’étonner, encore moins s’indigner de telles rencontres. Au contraire, il convient que l’art chrétien par excellence, le plusprès d’être divin, ne soit pas celui des grands et des habiles, mais celui des ignorants et des petits, de ceux auxquels le royaume de Dieu a élé jiromis.

Après avoir défini la nature du chant grégorien, faut-il en résumer l’histoire ? On sait, et le nom seul d’un saint Ambroise en témoigne, que ce chant a précédé saint Grégoire. Il était, et depuis fort

longtemps, avant d’être nommé. Le répertoire romain des mélodies ecclésiasliques est formé de pièces dont une partie iuiportanle, sinon la plus grande partie, existait avant le vu" siècle (Gastoué). Mais ce répertoire, antérieur au Pontife, et qui devait lui survivre et se développer après lui, la mission, ou l’une des missions du grand pape fut de l’ordonner et de le codifier. On a disputé parfois cet honneur à saint Grégoire. Il paraît impossible de ne pas le lui reconnaître aujourd’hui. L’œuvre de Grégoire ne fut pas seulement de fixer, de rassembler, mais (déjà !) de réformer. Cette œuvre, dans un esprit et par des moyens pareils, l’Eglise, à travers les âges, n’a pas cessé de la poursuivre. Toujours favorable au progrès, conslamment sévère aux excès connue aux défauts, elle a veillé sans relâche sur un mode de beauté qu’elle avait fait et qu’elle entendait conserver sien. Envers et contre tout, elle a su tour à tour le garder et le développer. Nombreuses furent les vicissitudes du chant grégorien, tantôt florissant et glorieux, tantôt — quelquefois par sa faute — en danger et près de périr. La reforme de saint Guégoire eut d’heureux et durables effets. Tout fut grégorien dans l’Eglise, et le fut avec pureté jusqu’au ix° siècle. Alors les abus se reproduisent et de nouveau la Papauté doit sévir. La bulle /l’e.t una de saint Léon IV assure pour deux cenls ans le retour à l’ordre ancien. Mais voici qu’il se trouble de nouveau. La polyphonie était née. Consciente d’abord, puis orgueilleuse et comme enivrée de son génie, elle menace de détrôner la uionodie grégorienne. Par une décrétale célèbre, Jean XXll, au xiv « siècle, en veut corriger les excès. Elle se réforme et se purifie ; elle suscite les maîtres qui feront sa gloire et le xvi= siècle voit son triomphe. Alors le chant grégorien, par esprit de réaction et croyant ainsi peut-être se mieux défendre, se jette dans un excès de sécheresse et de rigueur. Le xvii" siècle le néglige, à moins qu’il ne le corrompe, et le grand musicien qu’est notre Du Mont n’ose lui-même en retracer qu’une ombre. Le xviii" siècle et la première moitié du xix* paraissent en achever la ruine. Pour la musique d’église, les temps sont venus que Lamennais déplorait avec éloquence :

« Au temple succéda le théâtre, image d’une société

qu’abandonnait l’esprit austère du christianisme ancien. Les hommes n’habitaient plus les régions idéales du dogme ; las du calme des cieux, de la contemplation du Beau et du rai dans leur source éternelle, il leur fallait le mouvement de la terre, ses vives émotions, ses enivrants prestiges et ses illusions passionnées. » (Esquisse d’un philusophie) L’Eglise témoigna tro[) d’indulgence à de profanes désirs et longtemps elle souffrit un triste partage entre les excès de la musique du monde, ou du

« siècle », et les débris de sa musique à elle, contrel’aile

et méconnaissable.

Elle ne devait pourtant pas s’y résigner toujours. Vers le milieu du siècle dernier, les fils de saint Benoît lui présentèrent de nouveau l’idéal grégorien dont leur génie de savants et d’artistes avait su reconnaître et restituer les traits immortels. On fut longtemps sans croire au ujiracle de celle résurrection. Quand on n’en put douter, on voulut en empêcher l’elîct. Pour l’attester, pour en assurer le triomphe, il ne fallut rien moins que la volonté d’un Pape, d’un Pape musicien. Pie X a été celui-là, et l’admirable Molu propria du 22 novembre igoS,

« code juridique de la musique sacrée », établit ou

rétablit enfin dans la musique de l’Egliise l’excellence et la suprématie du chant grégorien restauré.

Nous disons l’excellence, et non le privilège, le

Pontife lui-même ne l’ayant pas dit. Un autre mode,

i une autre catégorie de l’idéal sonore garde son rang