Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/482

Cette page n’a pas encore été corrigée

951

MUSIQUE RELIGIEUSE

952

« revêtue » (/a rWestita voce alleluiando), sera plus

vivante que celle des vivants (in voce ossai pii’i clie la nostra viva). Cette assurance, le plus théologien des grands poètes n’a fait que l’emprunter au plus grand des thcologiens. Saint Thomas avait écrit d’abord : « Credibile qiiod posi resitrrectionem erii in sanctis laiis vocalis. (Il* U^", q. 13, art. 4) H est à croire qu’après la résurrection les saints chanteront les louanges de Dieu. »

Croyons-le donc, e*t soyons heureux de le croire. Pour la musique il n’est pas de plus glorieuse promesse et, pour les musiciens, de plus douce espérance. Le Verbe, qui s’est fait chair ici-bas, sera loué làhaut par des lèvres de chair et, seule de tous les arts, la musique au ciel survivra. Que dis-je, elle revivra plus pure et plus belle. Elle dépouillera tout ce qu’elle eut d’humain et de passager : la sensualité, la passion, la douleur ; mais ce qu’elle contient de divin et d’impérissable, l’ordre, la raison, l’amour, demeurera seul en elle et s’y épanouira pour jamais. Ainsi, comme les autres créatures, elle trouvera près de Dieu la plénitude, la perfection de son être, et l’alliance de la musique et de la foi, commencée dans le temps, se consommera durant l'éternité.

Quand on parle de la musique religieuse, quand on en étudie la nature, ou les caractères et l’histoire, il faut avant tout la partager en deux : la musique d'église, ou liturgique, d’une part ; de l’autre, la musique sacrée. La distinction est fondamentale. Elle est nécessaire et suffisante pour prévenir ou corriger les erreurs dans la doctrine et, dans la pratique, les excès ; pour assurer à la fois la dignité, la sainteté de l’art ecclésiastique et l’indépendance de l’art seulement religieux.

Il y a, chacun le sait, deux formes par excellence, bien qu’inégales entre elles, de la musique d'église proprement dite. Pratiquées successivement, puis ensemble, l’une et l’autre ensuite plus ou moins oubliées, dénaturées et corrompues, le temps paraît enfin venu de leur renaissance commune. La première de ces deux formes, par l'âge et par la parfaite convenance avec la liturgie, c’est le chant grégorien ou plain-chant ; la seconde, relativement jeune, mais qui déjà depuis quelques siècles a mérité d'être associée à l’autre, est la polyphonie vocale, appelée aussi le chant a cappella.

Le chant grégorien cependant l’emporte. Des raisons de plus d’une espèce en ont fondé la prééminence et l’assurent à jamais. L’histoire et la tradition nous l’imposent. Un maître en ces matières l’a fort justement rappelé : « Le chant grégorien, ce n’est pas seulement une forme de la mélodie religieuse, c’est la seule forme adoptée et prescrite par l’autorité. C’est le chant de l’Eglise. Donc il peut y avoir des chants divers, de forme différente, usités, goûtés, ici ou là ; il peut y avoir des chants exceptionnels pour diverses circonstances, des chants même approuvés par l’Eglise : il n’y a qu’un seul chant de l’Eglise : c’est le grégorien. " (.médée Gastouk : La musique d'église, Lyon, Janin frères, 191 1) Il le fut dès le commencement. X l’origine, il se constitua par la rencontre des deux éléments hébraïque et grécoromain. Il Eppure è nostra mamma 11, nous disait un jour le Souverain Pontife Pie X, en parlant de la religion d’Israël. « Malgré tout, elle est notre mère. » Les recherches et les découvertes récentes ont révélé mainte analogie entre le chant de la Synagogue et celui de la primitive Eglise. Il paraît désormais incontestable que dans la Jérusalem nouvelle, dans ses chants comme dans ses prières, quelque chose de l’ancienne a subsisté. Il est également certain que le christianisme naissant ne pouvait pas soustraire

sa musique plus que son architecture à l’influence de l’art gréco-romain. Dans l’ensemble comme dans le détail de l’ordre sonore, dans la mélodie, la rythmique, la métrique, un Gevært a montré tout ce que le chant de l’Eglise latine a retenu du chant de l’antiquité. Et s’il est vrai que ces deux sources ne sont pas également pures, ou plutôt si pas une des deux n’est d’une parfaite pureté, c’est peut-être que le christianisme voulut étendre même à la musique le caractère de la rédemption. Il a deux fois racheté le chant de l’Eglise nouvelle : de la gentilité et de l’imperfection de l’ancienne Loi. Dans cette opération deux fois salutaire, on peut trouver une double leçon. L’origine hébraïque du chant chrétien confirme les paroles de Jésus : « Je ne suis pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir. » L’origine gréco-romaine peut être prise pour un mémorial de la vocation des Gentils. Et puis, et surtout, il faut reconnaître ici la démarche habituelle du génie de l’Eglise, le don merveilleux et vraiment divin qu’elle a reçu de s’approprier, pour en vivre d’une Aie renouvelée et plus riche, les éléments étrangers, contraires même, dont on aurait pu craindre qu’elle risquât de mourir. En tout temps, en toute chose, elle a construit ses propres édifices avec les ruines que ses victoires avaient faites. C’est le cas de rappeler le triomphant exorde de Bossuet : » Nous lisons dans l’histoire sainte que, le roi de Samarie ayant voulu bâtir une forteresse qui tenait en crainte et en alarme toutes les places du roi de Juda, ce prince assembla son peuple et fit un tel effort contre l’ennemi, que non seulement il ruina cette forteresse, mais qu’il en fit servir les matériaux pour construire deux citadelles, par lesquelles il fortifia sa frontière. » (Voir l’ouvrage de M Gastoué : Les origines du chant romain ; Vantiphonaire grégorien, Paris, Picard, igo’j)

Après les origines, il suffira de rappeler, car tout cela vraiment est connu, les caractères qui font religieux entre tous le sentiment, ou, comme les Grecs auraient dit, Vélhos de l’art grégorien.

L’art grégorien n’est que chant. Telle est sa première marque et la raison première aussi de sa vocation rituelle. Il semble bien que la mélodie des lèvres humaines constitue la musique où le moins de matière se mêle à la parole pour l’appesantir, la contraindre ou l’altérer. On trouve dans saint Thomas la confirmation et la justification de ce privilège de la voix. Le théologien de la Somme ne se pose — pour j' répondre par l’affirmative — que cette question unique : « Utrum Deus sit Inudandiis per CANTUM. I) Quant aux instruments, il les bannit du sanctuaire, différant jusqu’au dernier jour l’intervention, alors, il est vrai, décisive, delà trompette, qu’il nomme a instrumentalis causa resurrectionis » (In IV'" sent., d. 43, art. 2, q. 2, etc.). Que si les instruments furent admis autrefois dans le temple, si le Psalmiste a commandé de « louer le Seigneur avec la harpe et de célébrer sa gloire sur le psaltcrion », c’est que le peuple juif, « ce peuple à la cervelle dure, étant plus obtus et charnel, avait besoin d'être excité par des instruments à grand fracas, de même qu’il fallait des promesses terrestres et l’appât des biens matériels pour l’attacher au Seigneur. » (11^, Ila<', q. 91, art. 2. ad 4") Mais 'e peuple chrétien, plus spirituel, doit se contenter de la voix. Elle est supérieure aux instruments, qui ne font que l’imiter, autant que l’original est au-dessus de la copie et que la réalité l’emporte sur l’apparence.

.4.ussi bien, la nature des choses et des lieux mêmes s’accorde avec la conception purement vocale de l’art liturgique. Il se trouve que les instruments ne sont pas plus à leur aise qu'à leur place dans une