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MORTARA (AFFAIRE)

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l’agriciilture en liien des lieux, le décret d’expulsion des Morisques. La noblesse de Valence garda les terres, mais perdit ses rentes. Les Espagnols ne tardèrent pas à s’etTrayer de leur solitude, et les Cortès de 1617 annoncèrent la ruine prochaine du royaume ; dès lors, en elTet, la décadence avait commencé.

Il est vrai que la sécurité intérieure de l’Espagne fut assurée du coup ; le brigandage, qui alongtemps été l’une des plaies de ce pays, ne disparut pas tout entier avec les Morisques ; mais il perdit ses agents les plus redoutables et en même temps son caractère de conspiration permanente avec l'étranger.

Nous ne connaissons pas le cliiit’re exact de la population expulsée, et les calculs varient depuis iSo.ooo âmes jusqu'à 900.000. Il est difficile d'édilîer une conclusion solide sur cette statistique de fantaisie. J’incline, pour ma part, à penser que le nombre des expulsés fût très élevé, de plusieurs centaines de mille.

En tout cas, il faut convenir que ce fut une grande perte matérielle pour un pays qui tendait à se dépeupler de plus en plus. La diminution des habitants chrétiens était due à des causes très diverses : l'émigration en Amérique ; les guerres européennes, qui tirent périr sur les champs de bataille d’Italie, de France, d’Allemagne et de Flandre, la (leur de la population raàle des deux Castilles ; la misère croissante produite par la ruine de l’industrie, les frais de guerre, les impôts excessifs, un certain dégoût du travail manuel et la banqueroute de Pliilippe II, furent les principaux agents de la dépopulation. L’expulsion des Morisques aggrava le mal, elle ne le créa pas ; antérieurement à l’expulsion et indépendamment d’elle, l’Espagne était déjà frappée dans sa vitalité. Le remède ne pouvait venir que du temps, d’une lente amélioration des conditions sociales du pays. Du moins l’avenir fut réservé, et l’expulsion empêcha une population exotique de se substituer peu à peu dans les campagnes aux laboureurs indigènes dont le nombre diminuait.

L'édit de Philippe III ne constituait pas, dans l’Europe du temps de la Réforme et des guerres de religion, un procédé anormal, isolé, unique. Les Electeurs protestants d’Allemagne avaient, au xvi' siècle, chassé de la Saxe, du Brandebourg et du Palatinat les catholiques lidèles qui étaient pourtant de race allemande aussi bien que les luthériens, et même les Electeurs palatins, devenus calvinistes, avaient chassé aussi les luthériens récalcitrants. Les lois draconiennes d’Elisabeth et, plus tard, le triomphe des puritains obligèrent une foule d’Anglais et d’Irlandais catholiques à s’expatrier. Vers la lin du xvii* siècle, la révocation de l'édit de Nantes mettait les protestants français en demeure de choisir entre l’exil et l’exercice public du culte calviniste ; cependant ces protestants étaient français eux-mêmes, quoique les alliances fréquentes de leurs ancêtres avec des gouvernements ennemis eussent pu laisser des doutes sur leur véritable nationalité. Aujourd’hui même, n’a-t-on pas vu les Polonais de la province de Posen privés par la loi prussienne du droit d’acquérir des terres sur leur propre territoire ? En France, il s’est trouvé une majorité sectaire pour prononcer la dissolution des congrégations religieuses, conlisquer leurs biens et contraindre les propriétaires légitimes à se disperser ou à chercher la liberté religieuse à l'étranger, comme les protestants et les Morisques. Le gouvernement maçonnique du Portugal, après avoir promis à ses administrés de leur faire connaître « la liberté dans son essence virginale », a fait connaître en réalité l’exil et la prison aux meilleurs des citoyens.

Ceci prouve que la violence et la méchanceté humaines sont de tous les temps ; seulement les victimes de la force sont plus ou moins intéressantes, et les restes des conquérants ou des insurgés maures ne pouvaient intéresser beaucoup les Espagnols du XVII' siècle. En somme, l’expulsion fut une mesure cruelle, désastreuse à bien des points de vue tant pour les expulseurs que pour les expulsés ; mais ce fut aussi l’aboutissement normal, inévitable peutêtre, d’une série de révoltes sanglantes et de procédés politico-religieux injustes ou maladroits. Les Maures vaincus aspiraient à l’indépendance, les Espagnols victorieux à l’unité nationale ; en agissant ainsi, les uns et les autres restaient iidèles à leur passé et à leur tempérament. Comme l’a écrit Vicente de la Fuente, « le caractère espagnol, trop impétueux, tend toujours à imposer son opinion plutôt par la force que par la conviction » (loc. cit., p. 891). Encore n’estil pas certain que les procédés de douceur eussent abouti à l’assimilation des tribus morisques ; et en tout cas, les complices ou approbateurs des iniquités d’aujourd’liui auraient mauvaise grâce à se constituer les avocats de la tolérance et de la liberté.

BiDUOGRAPUiB. — Outre les ouvrages cités dans le texte, on peut consulter A. de Circourt, Histoires des Mores miidéjares et des Morisques, Paris, 1846, 3 vol. in-S" ; Morel-Fatio, L’Espagne au XVl' et au XVII' siècle, Heilbronn, 1876 ; L’Eglise d’Espagne et les Morisques, Science catholique, mars et avril 1891 ; Damian Fonseca, Justa expulsion de los Moriscos de Espaita, Rume, 1612 ; Relacion de la expulsion de los Moriscos det reino de Valencia (nouvelle édition donnée en 1878 par la Société des Bihliophiles de Valence') ; Juan de Ribera, Instancias para la expulsion de los Moriscos, Barcelone, 1612 ; Marcos de Guadalajara, Mémorable expulsion y Justisiino destierro de los Moriscos de Espaùa, Pampelune, 1613 ; Florencio Janer, Condicion social de lus Moriscos, Madrid, 1867 ; Gams, Kirchengescliiclite on Spanien, III B. II AbtheiKp. 254et ss. ; H. Ch. Lea, The Moriscos of Spuin. Their Conversion and. Expulsion, Philadelphie, 1901.

Jules SouBEN, O.S.B.


MORTARA (AFFAIRE). — Cet article sera divisé en trois parties : 1° Historique de la question ; 1" Examen juridique et théologique ; 3° Conclusions.

I. Historique de la question. — Dans le courant de novembre 1867, Marianna Bajesi, de Bologne, ville des Etats ponlilicaux, informa spontanément l’autorité ecclésiastique que l’un des enfants de Salomon Mortara, juif originaire de Modène, avait été baptisé, en danger de mort, par une servante chrétienne, Anna Morisi. Le petitEdgar était revenu à la santé et avait alors sept ans environ. Anna Morisi fut aussitôt mandée par l’inquisiteur de Bologne qui procéda à une enquête minutieuse. II demeura établi que l’enfant avait été baptisé validement. Edgar fut enlevé à ses parent.-*, et Pie IX le fit entrer au collège de San Pietro in Vincoli. Les époux .Mortara reçurent l’autorisation d’aller l’y voir aussi souvent qu’il leur conviendrait.

L’acte de Pie IX devint l’occasion d’un concert de plaintes et d’injures contre le gouvernement pontifical dans la presse lil)érale et maçonnique du inonde entier. Tout partit à l’origine de la commission juive d’Alexandrie, en Piémont, qui protesta contre « l’acte cruel et barliare » dont avait été victime la famille Mortara. Elle réclamait « l’appui de