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MORISQUES (EXPULSION DES)

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de fanatisme, qui désolaient par leurs pirateries les plus belles contrées de l’Europe méridionale. Depuis la chute de Constantinople, l’empire ottoman était devenu une puissance maritime redoutable ; au moment raomc où les montagnards des Alpujarras se soulevaient, Philippe II préparait la cainpat, 'ne qui se termina en lôyi à Lépante par la victoire des flottes chrétiennes alliées.

Les pirates des Etats barbaresques ne se privaient pas de faire des descentes sur les côtes d’Andalousie et de Valence, et ils trouvaient dans leurs frères d’Espagne des compagnons pour les renseigner sur le coup à faire, des guides pour les conduire dans des lieux qu’ils connaissaient mal ; la razzia accomplie, les pirates se rembarquaient avec les produits du vol et les esclaves chrétiens capturés, pendant que les Morisques rentraient tranquillement chez eux ou parlaient avec les pirates s’ils ne se sentaient plus en sécurité. Ceci n’est pas un tableau d’imagination, c’est une peinture fidèle de la situation, telle que la représentent Escolano (Œcarfa, etc., 001.1760, 1766), les lettres de saint Thomas de Villeneuve à Philippe II et autres documents de l'époque. Ce qui décida le duc de Lerme à rédiger l'édit, ce fut la découverte d’intrigues secrètes des Morisques auprès des Etats barbaresques pour obtenir leur concours en cas de révolte.

Les rois d’Espagne avaient cru que, pour mettre fin à un étal de choses aussi dangereux, il était nécessaire que les Morisques entrassent dans la société chrétienne, et, sans espérer beaucoup de la première génération baptisée, ils avaient pensé que ses descendants seraient sincèrement catholiques. C’est pourquoi ils ne reculèrent pas devant l’emploi des moyens de coercition. Il y avait des précédents historiques : Charlemagne s’en était servi contre les Saxons, Stefner et Tliankbrand contre les Islandais païens, Olaf Tryggvason, roi de Norvège, contre ceux de ses sujets qui s’opposaient à l’introduction du christianisme, et quoi qu’on doive penser de ces violences, il faut convenir que les résultats avaient été heureux. En Espagne, au contraire, ils furent détestables, parce que les rois chrétiens avaient en face d’eux une race sémitisée, complètement différente de la nation espagnole et, comme tous les peuples musulmans, à peu près irréductible ; l’apostolat conquérant, qui avait triomphé dans quelques branches de la race germanique et Scandinave, devait fatalement échouer contre la résistance des Morisques.

Peut-être, cependant, serait-on venu à bout non de la première génération, mais des suivantes, sans l’aliment que la présence des escadres liarbaresques el les descentes des pirates fournirent au fanatisme religieux et politique des anciens maîtres du sol. D’autre part, les vieux chrétiens refusaient de s’unir aux nouveaux par des alliances, de crainte de souiller dans leurs enfants la pureté du sang espagnol, de sorte que les villages morisques, en dépit de leur prétendue conversion, demeuraient à l'état de communautés fermées.

Certes, il eût été désirable que les Espagnols tolérassent les anciens conquérants du sol, comme les Russes tolèrent encore aujourd’hui les descendants des Tartares et leur laissent le libre exercice de leur culte. Toutefois, on peut se demander si les Espagnols du xvi « siècle étaient disposés à faire ou même à comprendre ce sacrifice. Depuis la prise de Grenade et l'établissement de l’Inquisition, la marche, autrefois si lente, vers l’unité nationale s’opérait à une allure accélérée, et le catholicisme avait si profondément pénétré les idées et les mœurs que l’unité espagnole ne semblait réalisable que dans

l’unité catholique. Comme la Castille et l’Aragon s'étaient unis pour ne former qu’un seul royaume, ainsi clirétiens et Maures devaient, aux yeux des hommes d’Etat, se fondre en un seul peuple, et ce peuple ne pouvait être <iue catholique,

La tolérance du culte mahométan dans l’Espagne d’alors faisait l’efTet d’un anachronisme. C'était l'époque du développement complet de la race, ce moment unique dans la vie d’une nation où elle réalise tout ce qu’on est en droit d’attendre d’elle, et par un privilège singulier, la plénitude de la foi et le triomphe de la sainteté coïncidaient avec le maximum de la puissance politique et du génie artistique de l’Espagne. La nation espagnole était, par ses missionnaires et ses soldats, le champion du catholicisme dans les deux mondes, et la foi avait acquis en elle un degré d’intensité que des croyants dégénérés auraient peine à comprendre. Pendant l’insurrection de 1670, des milliers de femmes et d’enfants espagnols tombèrent aux mains des Morisques révoltés ; tous sans exception sul)irent le martyre, et dans cette foule, qui pouvait se racheter de la mort en reniant le Christ, il ne se rencontra pas un apostat.

D’autre part, il y avait dans le tempérament espagnol une énergie farouche et une absence de sensibilité qui aboutissaient facilement à des actes de cruauté sauvage comme ceux que le bienheureux évêque de Chiapa, Barthélémy de las Casas, a si justement reprochés à ses compatriotes à l'époque de la conquête du Nouveau Monde, C'était sans doute un elTet, devenu héréditaire, de la grande guerre de huit siècles entre chrétiens et musulmans ; cette perpétuelle croisade avait endurci les cœurs et bronzé les tempéraments. Quelle qu’en fût d’ailleurs l’origine, cette disposition existait, et les Espagnols n'éprouvaient pas, à l'égard de vaincus, toujours redoutables, cette pitié que des écrivains, étrangers aux implacables passions de la race et à ses longues rancunes, souhaiteraient qu’ils eussent possédée.

Quant au rôle de l’Eglise d’Espagne dans cette douloureuse histoire, il a toujours été subordonné à la volonté du chef de 1 Etat. L’Inquisition, qui avait procédé avec rigueur contre les judaïsants et les luthériens, se montra en général indulgente pour les Morisques, bien qu’elle n’ignorât nullement leurs dispositions secrètes. De nombreux et saints personnages, depuis Hernando de Talavera jusqu'à saint Thomas de Villeneuve et à Juan de Ribera, s’occupèrent de leur conversion avec douceur ut sollicitude. Lorsque le grand Inquisiteur Bernardo de Sandoval, frère du duc de Lerme, voulut obtenir de Paul V un bref autorisant et approuvant rex[)ulsion, il fut repoussé avec perte ; le pape entendait laisser au pouvoir civil toute la responsabilité de cet acte.

Clément VII avait délié, il est vrai, Charles-Quint du serment que celui-ci avait prêté, comme roi d'.ragon, d’observer le fuero de Monzon qui prohibait toute innovation concernant les Morisques d’Aragon et de Catalogne ; mais il l’avait fait à son corps défendant et après avoir résisté aux sollicitations du roi, défenseur du catholicisme dans l’empire et maître de Naples en Italie, En cette circonstance comme en beaucoup d’autres, l’Eglise servit d’instrument à la politique du gouvernement espagnol ; elle n’en tira aucun profit et en souffrit plus qu’on ne saurait dire. C’est l’inconvénient ordinaire d’un régime à prétentions césariennes de réduire l’Eglise au rôle de servante, tout en la cond)lant d’honneurs,

m. Conséquences de l’ejspulsion. — Le gouvernement espagnol paya cher, par la ruine de