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MONISME

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ce qui ne peut résister au plus sommaire examen. Parviut-on à réduire lapparenle discontinuité du monde matériel, comment nier la distinction réelle des vivants, spécialement des animaux, entre eux ? (Juel sophisme surtout prévaudra jamais contre la conscience immédiate qu’a chacun de nous de sa personnalité individuelle et autonome’.' Les phénoménistes sont ingénieux, il est vrai, à poursuivre ce qu’ils nomment « l’illusion du moi substantiel » ; mais il suUit de les lire pour constater qu’ils ne parviennent à le supprimer en paroles qu’en le présupposant de fait à toutes leurs explications. (On peut consulter surce point Mgr Meucier, Psychologie, y éd., Louvain, igoô, t. 11, p. 238 s.)

Cette multiplicité incontestable d’êtres si divers n’a rien, encore une fois, qui ne s’accorde avec la doctrine d’un Dieu réellement distinct de ses créatures, dont il a voulu faire, à dilïérents degrés, autant d’images de son existence substantielle ; mais comment la faire cadrer avec rh, vpotbèse du monisme, même d’un monisme qui laisserait subsister, dans l’unité de l’ensemble, toutes les différences de l’ordre phénoménal ? Comment expliquer 1 apparition soudaine et successive, au sein du grand Tout, de ces innombrables consciences dont chacune s’allirme comme une substance aussi différente des autres, que vraiment une et toujours identique à elle-même ? En ap|ieler à une « sjnthèse de sensations associées », à une (1 relation de relations », à un « l’oj’er de coordination », à « un centre de perspective », à o l’idéeforce du moi tendant à se réaliser elle-même », — n’est-ce pas expliquer par un jeu de miroirs la production de la lumière ?

e) Coniradictiun dans le progrès immanent de l Etre. — Toutefois l’absurdilé de la thèse de l’immanence absolue n’apparaît peut-être nulle part plus évidente que dans son interprétation de l’évolution progressive des choses. Sans doute Vacuehot n’avait pas tort, dans son premier ouvrage, de rejeter le principe alexandrin (.de i procession, en contradictiou manifeste avec la réalité » (Ecole d’Alexandrie, t. III, p. 32^). « La Nature, ainsi que nous le révèle l’expérience, va du pire au meilleur, non du meilleur au pire ; elle passe de l’être inorganique à la vie, de la vie à la pensée… » (p. 328) Quelque contestable que soit l’universalité de celle loi, impossible, en elfet, de nier que, dans le monde tel que nous le révèle la science moderne, la vie a succédé à la pure matière inorganiiiue et quc l’homme raisonnable est l’un des derniers venus, sinon le dernier, parmi les êtres vivants. Mais ce fait suUirait à lui seul pour exclure l’hypothèse que « le monde ])orte en soi sa raison d’être, en d’autres termes, que la cause des choses est immanente au système dont elles font partie » ; car, dans une telle théorie, l’Etre nécessaire se donnerait à lui-même les perfections qu’il n’a point, ce qui équivaut à nier les principes rationnels les plus évidents.

Cette contradiction, on s’ingénie en vain de toutes manières à l’atténuer ou à la dissimuler. On fait remarquer que le passage de l’état moins parfait à un état plus parfait se réalise par progrès lent et continu, conçu sur le modèle de l’organisme vivant qui, d’abord germe informe, évolue par degrés imperceptibles jusqu’à son complet achèvement ; on s’elforce ainsi d’estomper jusqu’aux contrastes les plus criards, ceux qui opposent par exemple le minéral au vivant, 1 homme à la brute. De plus, on proteste parfois, comme le fait Vacukrot, a que les [ « liénomenes, les èlres, les règnes, les époques se succèdent, mais ne s’engendrent pas. Chaque progrès d’un être à un être, d’un règne à un rogne, d’une époque à une époque, ne peut s’expliquer que par le développement

d’une puissance nouvelle, cachée dans les profondeurs de l’Etre universel, et qui arrive à l’expansion à son heure après une certaine préparation. » (Z, û Mélapliysiqiie et la Science, II, p. 652) Enfin l’on assure que l’évolution laisse immuable le fond de l’Etre, l’Absolu indéliniræntfécond, dontellen’alTecte que les modalités éphémères. — Ce ne sont là manifestement que vaines échappatoires. Si infiniment lente, si rigoureusement immanente, si exclusivement phénoménale qu’on imagine cette évolution, il n’en reste pas moins que, dans la thèse anticréationiste, tout comme dans la doctrine de la création, l’Etre par soi est seul la raison sutlisante de l’univers tel qu’il apparaît ànos yeux ; dès lors, c’est de ce quasinéant chaotique mis, sous un nom ou sous un autre, par le monisme, à la place du Dieu créateur, qu’il faut faire sortir tour à tour l’ordre, la vie, la conscience personnelle, la science, l’art et la moralité ; n’est-ce pas tirer le plus du moins et renier le principe de causalité ?

Conclusion. — On le voit, de quelque côte qu’on aborde le monisme, qu’on s’en prenne, soit à l’idée qu’il prétend nous donner de l’Etre nécessaire et de sa nature, soit aux explications qu’il peut fournir de l’évolution des choses, de leur dilïérencialion, de leur progrès, toujours on se ti-ouve finalement acculé à d’inévitables contradictions. Ces contradictions au surplus, loin de rester indépendantes les unes des autres, ne sont, à vrai dire, que diverses traductions du même postulat irrationnel, nécessairement sous-enlendu par la théorie, quand il n’est pas formulé en termes exprès. Se déclarer moniste, c’est, qu’on le veuille ou non, substituer à la métaphysique de l’Etre l’hypothèse du devenir absolu ; mais n’est-ce pas, par le fait même, professer avec Renan que le possible, comme tel, est en état de se réaliser par lui-même ? En d’autres termes, n’est-ce pas, en dernière analyse, affirmer que le néant explique l’être ?

Après ce qui a été dit, il nous semble superflu de montrer en détail sur combien de points l’évolntioBnisme immanent, expressément condamné par le concile du Vatican (voir Denzinger-Bannwart, 1803), est en opposition directe, avec l’enseignement catholique. Sans même parler des dogmes qui ne nous sont connus que par la révélation, et qui n’ont plus de sens dans le système unitaire, ’Trinité des personnes en Dieu, élévation de l’homme à l’état surnaturel, péché originel, Incarnation et divinité de Noire-Seigneur, Iléderaption et économie actuelle du salut ; — -à s’en tenir aux seules vérités religieuses accessibles à la raison, existence d’un Dieu personnel. Providence, obligation morale et sanction, spiritualité et immortalité de l’àme, il n’en est pas une seule que le monisme, aussi bien que l’athéisme, ne nie explicitement ou implicitement. Peut-être sera-t-il plus utile d’attirer en Unissant l’attention sur une dernière remarque. Si, comme on l’a dit avec raison, il esl diflicile, pour qui est au courant de la doctrine révélée, d’admettre la création et la Providence sans être logiquement conduit jusqu’à l’acceptation du catholicisme intégral, en revanche il est impossible, dans l’état actuel de la science, de rejeter le dogme de la création sans adopter, sous une forme ou sous une autre, le monisme évolutionniste ; impossible aussi, nous croyons l’avoir montré, d’admettre le monisme sans faire violence aux exigences les plus impérieuses de la raison, sans répudier le principe de raison sutlisante et le principe même de non-contradiction.

BiBuoGHAPHiB. — Outre les nombreux auteurs cités au cours del’article, on pourra utilementconsulter.