Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/469

Cette page n’a pas encore été corrigée

925

MONISME

926

semble toujours flotter la pensée de VacLerot, comme de la plupart des monisles : « le monde est l’Etre par soi » — « le monde est le résultat de l’évolution de l’Etre par soi ». Ces deux formules sont loin d’être synonymes : de ce que le chêne est le résultat de l’évolution du gland, il ne suit pas que le chêne soit le gland. Prenons-les toutes deux pour ce qu’elles valent et posons à nos adversaires le dilemme suivant :

Ou. bien on s’en tient strictement au premier énoncé : « le monde est l’Etre par soi » ; l’Absolu, dans ce cas, ne se distingue pas réellement de l’universalité des choses et n’est qu’un pur concept, isolé par abstraction des phénomènes divers et contingents que révèle l’expérience, tout au plus une formule exprimant la loi générale du progrès, comme l’attraction universelle exprime la loi générale du mouvement matériel. Dans cette hypothèse, le vrai problème de l’origine des choses n’est même pas abordé et la prétendue eiplicalion du cosmos au moyen de l’évolution n’est que l’histoire, telle que la science s’essaie à la reconstituer, des transformations successives par lesquelles ce cosmos est lentement arrivé à l’état actuel. Il reste, pour le philosophe, à chercher, en dehors du monde, la cause du monde lui-même et de son évolution, ou bien, si l’on n’admet pas de cause de ce genre, à montrer que, aux yeux de la saine raison, la prodigieuse fécondité de la nature peut s’expliquer par elle-même. — En d’avitres termes, s’en tenir à la question du « comment », sans aborder celle du « pourquoi », c’est faire de la science, non de la philosophie ; n’admettre la légitimité que de la première, c’est se déclarer positiviste, par suite nier la métaphysique et mutiler l’intelligence ; mais prétendre résoudre les deux en identiliant la seconde avec la première, comme semblent parfois le vouloir nos adversaires, c’est un véritable escamotage (voir DE Broglie, Le Positivisme et la Science expérimentale, Inlrod., p. vi-xvi. Consulter aussi Fonshgrive, De la niiture et de la valeur des explications, lievue philosophique, nov.-déc. igiâ).

Ou bien, et c’est, croyons-nous, la véritable pensée de la plupart des monistes, on admet la seconde des formules proposées : « le monde est le résultat de l’évolution immanente de l’Etre par soi ». Autrement dit, on se fait fort de montrer que, du Principe premier des choses, si rudirænlaire qu’on se le représente, a pu, par progrès insensible et purement autonome, sortir l’admirable complexité que nous révèle rex[)érience. Pour y arriver, on allirnie que l’état actuel du monde était de toute éternité en germe dans l’Etre nécessaire, on nous parle, à propos de celEtre, de « puissance », de « virtualité », de « formule créatrice », de « ressort interne » : bref, on le dote a priori de toute l’activité requise pour produire notre univers. Qu’on le remarque en e(Tet : cette puissance du germe, destinée à une évolution si merveilleuse, ne peut se concevoir, pour employer le langage de l’Ecole, comme une pure puissance passive, telle qu’est, par exemple, dans la matière l’inertie, a[>titude à recevoir le mouvement, mais impuissance absolue dés qu’il s’agit de le produire ou de le modilier. Non ! l’Absolu doit être doué d’une virtualité proprement dite, d’une réelle énergie, d’un pouvoir positif et vraiment créateur : ne lui faut-il pas tirer de ses seules ressources internes les richesses inépuisables du monde intellectuel et du monde sensible ? Plus encore ; au cours de son déveloiipement, il a besoin, sous une forme ou sous une autre, d’une idée directrice, de cette loi idéale du progrès à réaliser, dont nous a parlé Vacherot, ou de la linalité immanente invoquée par les hégéliens. Que la satisfaction de ces exigences soit aisée dans

la doctrine d’un Dieu infiniment parfait, c’est ce qui, de nouveau, ne paraît guère contestable : sans doute, pour nos intelligences bornées, le concept de création garde son mystère, l’ordre du monde décourage, par sa merveilleuse complexité, les recherches infatigables de la science, le problème du mal surtout est loin de livrer tous ses secrets ; du moins la puissance et la sagesse qu’atteste l’univers n’ont rien qui répugne à la notion d’un Dieu infini. Mais comment en doter, sans contradiction, un Etre en soi qu’on 8, au préalable, vidé de toute perfection actuelle et, ainsi que nous l’avons montré, assimilé à un quasinéant ? Gomme on l’a souvent remarqué, un des procédés familiers au monisme, c’est, après avoir afiirmé l’inutilité d’un Dieu créateur, d’en garder les principaux attributs, pour en faire honneur au fantoche d’absolu par lequel il prétend le remplacer. Au dixhuitième siècle, quand l’incrédulité était encore dans l’enfance, c’est la Nature, c est-à-dire une pure abstraction qui jouait ce rôle ; aujourd’hui que l’athéisme a grandi et prétend avoir sa métaphysique, est-ce vraiment beaucoup mieux qu’on nous offre, sous le nom d’Etre en soi, pour porter le formidable héritage de la toute-puissance et de la pensée universelle ?

c) Contradiction dans l’idée d’évolution de l’Etre par soi. — Passons néanmoins condamnation sur cette double absurdité d’un Etre en soi essentiellement déliclent et d’une virtualité hors de toute proportion avec la nature qu’on en gratifie. Reste que cette virtualité, pour s’exercer, suppose un changement dans l’être qui passe ainsi de la puissance à l’acte ; et voilà derechef la contradiction installée au sein de l’Absolu, « l’Etre nécessaire étant nécessairement immuable ». Au sujet de cette dernière assertion, nous renvoyons à la démonstration péremptoire qui en a été donnée à l’article déjà cité sur la Cré.4.tion(co1. 726-’ ; 30). Cette démonstration empruntera d’ailleurs une lumière nouvelle aux considérations qui suivent immédiatement.

d) Contradiction dans la différenciation de l’Etre par soi. — L’un des plus anciens et des plus fameux problèmes de la philosophie est celui de l’an et du multiple, problème qu’on voit surgir dès l’origine de la métaphysique grecque, et sur lequel, au commencement de ce siècle, Ernest Navillb croyait devoir ramener encore l’attention des philosophes contemporains, dans l’allocution d’ouverture du Congrès de Genève à laquelle nous avons déjà fait un emprunt : (I La question, y disait-il, est de trouver un monisme qui ne soit pas exclusif delà nmltiplicité, c’est-à-dire qu’il faut trouver une détermination de l’unité qui renferme dans l’unité même du principe du monde l’idée de la multiplicité possible des existences. Sans cela, on se trouve en présence de l’argumentation de Parménide : La raison affirme l’unité de l’être. Si l’être est un, d’où pourrait procéder le multiple ? Qu’y a-t-il en dehors de l’être ? Rien. On ne peut pas admettre que le non- être, qui n’est rien, produise la division de l’être. La raison ne trouve donc aucun moyen de comprendre l’origine du multiple. Ce que nous appelons le monde dans la diversité de ses existences n’est donc qu’une illusion. » (Congrès inlernatiofial. .., p. /|6)

Que la distinction con(, ’ue par l’esprit entre les différents êtres soit, sinon une illusion, du moins

« le produit d’une élaboration mentale opérée en vue

de l’utilité pratique et du discours » (Le Rov, Revue de met. et de morale, 1907, p. 135), — ce qui nous parait seulement une façon plus nuancée de faire entendre la même chose, — c’est, nous avons eu l’occasion de le signaler, une thèse chère à certains philosophes contemporains, moins apparentés d’ailleurs à Parménide qu’à Protagoras ; mais c’est aussi