Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/465

Cette page n’a pas encore été corrigée

917

MONISME

918

1 Ce qu’on ne peut sui)poser, aflirnie-t-il après avoir réfuté l’idéalisme absolu, ce n’est pas l’annihilation de tout être pensant, au sens propre du mol, mais de tout être qui n’aurait absolument rien des éléments psychiques que nous découvrons en nous-mêmes par la conscience ou pressentons dans la subconscience. Ce qui n’ollrirait plus absolument rien d’analogue à noire existence psychique, ce qui n’en pourrait èlre conçu comme une diminution ou une amplilicalion, n’est pas pour nous concevable d’une conception positive : c’est un X qui ne peut pas se distinguer de zéro. » (/151jr « ’S5C…, p. i’)) Ici encore, comment n’a-t-il pas vu que la distinction très siuqde qui vient de lui servir à renverser victorieusement le sophisme des idéalistes tiré de la nécessité de la pensée, se retourne contre lui, dès qu’on la transpose en termes de i’olonté de cunscience ? « Si je suppose l’absence de toute volonté de conscience, pouvons-nous lui dire en empruntant ses formules (voir ih.), je ne place pas cet anéantissement au moment même où j’ai conscience, ce qui serait en effet contradictoire, mais avant que moi et tous les autres êtres conscients ayons commencé d’avoi- conscience, ce qui n’est nullement contradictoire. » De ce que nous nous atteignons directement par la conscience comme êtres psychiques, il ne suit en elTet nullement, la raison fondée sur l’expérience nous l’atteste, que toute réalité en nous et hors de nous nous apparaisse comme psychique : pour la pensée normale, le contradictoire du néant, c’est l’être, ce n’est ni l’idée-force ni la volonté de conscience.

(/)L’évolutionnisme, pour justifier, dans la question de l’unité de l’être, le passage du subjectif à l’objectif, recourt à une considération d’un autre genre : la connaissance étant le terme de la lente évolution du cosmos et les organes qui nous mettent en communication avec l’extérieur étant à la fois tirés de l’étofTe même des choses et façonnés par la longue interaction de l’objet et du sujet, la nature du réel se révèle nécessairement dans le mental qui en dérive, ou, pour parler plus exactement, le second n’est que le premier prenant pleine conscience de lui-même. Nous avons rencontré ce raisonnement chez Ardioo, et Fouillée à son tour ne se lasse pas de le répéter : « Le fil de l’analogie avec notre conscience ne nous abandonne jamais, nous dit-il, dans le labyrinthe de la Nature… L’intelligence n’est pas en dehors du reste, en dehors du réel ; elle est le réel même parvenu à l’existence pour soi » (Esquisse…, p. Lxii), et plus loin : « L’âme entière est la réalité même parvenue au plus haut point de son évolution. On a donc le droit, quand on interprète le monde, de placer au fond des choses le germe de tout ce que nous trouvons développé en nous-mêmes. » (ib, , p. Lxiv ; comparer Evolutionnisme…, p. lxxxii) Nous ne prétendons pas au reste que, en invoquant ainsi l’explicaticn évolutionniste de la connaissance pour justifier l’accord qu’ils affirment, sur cette question du monisme, de l’être avec la pensée, nos adversaires aient l’intention d’apporter un argument proprement dit, qui constituerait une pétition de principe trop évidente, cette explication supposant nécessairement la vérité même de l’Iiypothèse qu’il s’agit d’établir. Leur seul dessein est sans doute de faire ressortir la cohérence interne de leur système. Si l’intelligence humaine, veulent-ils dire apparemment, est, comme nous l’admettons, le terme dernier de l’évolution de l’être primitif, rien d’étonnant qu’elle porte l’empreinte et qu’elle garde comme l’obsession de l’unité réelle de son principe.

Même entendue dans ce sens, l’interprétation proposée nous paraît insoutenable, tant elle dénature les vraies données de l’expérience. Autant, en effet,

la conception harmonique de l’ensemble des choses à laquelle tend naturellement notre esprit répond, comme nous le remarquions plus haut, à l’idée d’un plan extérieur réglant l’influence réciproque d’êtres essentiellement difl’érenls, autant elle écarte l’hypothèse de l’évolution nionistique. Nos adversaires ont coutume de traiter d’illusion anthropomorphique la doctrine des causes finales telle que l’admettent ceux qui croient à la Providence divine ; mais, de bonne foi, ne s’imposc-t-elle pas à une raison exempte de préjugés comme la seule explication valable du cosmos ? Surtout n’y a-t-il pas anthropomorphisme bien moins justifiable dans la prétention de transporter à l’univeis entier la finalité purement immanente qui nous apparaît comme le privilège exclusif de l’être pensant ?

e) De plus, s’il est vrai, comme le remarque E. Boi-RAC, que « lebutde toutsyslème philosophiqueest de ramener la multiplicité infinie des choses à l’unité d’un principe qui les explique », impossible de nier, en présence de la diversité des interprétations proposées, que la tentative apparaît singulièrement laborieuse, dès lors qu’on entend demander ce principe au monde lui-même. Insistons sur cet argument de fait, dans lequel les monistes mêmes ne peuvent refuser de voir une grave objection contre leur hypothèse : ce sera le résultat le plus fructueux, et peut-être l’excuse des développements qu’on a cru devoir donner à l’exposé des systèmes. Ce que Cousin disait, il y a un siècle, de la a. guerre civile du panthéisme », es.1 toul aussi vrai de son succédané actuel, le monisme. On a pu le constater : d’accord pour écarter la solution déiste, nos adversaires cessent de s’entendre dès qu’il s’agit de la remplacer et de ramener, dans ce but, l’opposition apparente des phénomènes à l’unité réelle d’une existence s’expliquant par elle-même. Les uns, mutilant la connaissance, ou bien n’admettent d’autre donnée objective que celle qui tombe sous les sens et qualifient sommairement 1 autre d’épiphénomène ; ou bien, tout au contraire, pour se débarrasser de l’élément matériel, le réduisent à une représentation subjective et à un concept idéal. Les autres, faisant profession d’accepter tout le donné, veulent nous persuader que la réalité, sous les deux aspects en apparence irréductibles qu’elle revêt pour les sens et ])our la conscience, demeure au fond identif|ue à elle-même : suljterfuge aussi vain que les précédents. La pluralité foncière du monde fait éclater de toutes parts le monisme conceptuel sous lequel on prétend l’emprisonner ; la rupture dont on pense avoir eu raison en un point reparaît soudain ailleurs : bref, la multitude même des explications qui se succèdent et souvent se combattent ne fait que mettre en plus vive lumière le peu de vraisemblance du postulat initial commun. Comment, en effet, expliquer et la difficulté inextricable du problème et la diversité des solutions apportées, si le monisme ontologique est la vérité ? Comment, si l’être saisi sous la succession incessante et prodigieusement variée des phénomènes est unique, ne trahit-il sa vérilalile nature par aucune propriété, aucun attribut universel et constant ?

f) Ce problème insoluble, il s’est trouvé sans doute, de temps à autre, des philosophes pour tenter de le supprimer, en mettant audacieusemenlsur le compte d’une illusion la multiplicité des êtres réels : c’est leur prétendue distinction qui, loin d’être une donnée de l’intuition immédiate ou une exigence de la science, constituerait, à en croire certaine école contemporaine, un pur postulat, le postulat du niorcetage. (voir Bergson, Matière et Mémoire, 2" éd., Alcan, 1900, p. 218, 219)