Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/462

Cette page n’a pas encore été corrigée

911

MONISME

912

nous supposons des activités de même ordre, parce que nous n’y voj’ons rien de ce que nous concevons comme mental et conscient. Erreur, ces forces n’ont rien de réel ; sous les apparences mccaniques sB cachent des réalités mentales ; le mécanisme, c’est-à-dire tout le matériel, est une sorte de fantasmagorie, tout au plus un rellel, une ombre chinoise. Le mécanisme n’est pas, il n’agit pas : il représente. Toujours la philosophie de fanlaisie substituée à la philosopliie d’observation ! » (Les idées-forces de M. Fouillée. Etudes, t. LXl, p. ; lo5)

Avant de quitter le monisme des idées-forces, n’est-il pas permis de se demander si le champion d’un pareil système était en droit de se montrer aussi âpre qu’il avait pris l’habitude de l’être à l’égard des philosophies opposées à la sienne, sans se faire toujours scrupule d ailleurs de les dénaturer pour en triompher plus aisément ? Dans un écrit que nous avons déjà cité, le dernier peut-être qui soit sorti de sa plume, il se gendarme contre les divers inconnaissables que certains modernes invoquent comme suprême raison des choses, « Force imaginée par Spencer, … vouloir-vivre diabolique comme celui de Schopenliauer, … je ne sais quel divin essor de vie non moins mystérieux, … substance des anciens, X transcendant qu’on n’a plus le droit d’appeler volonté… » (Ke^’. pliil., t. LXXIII, p. 72) et leur oppose victorieusement sa « volonté de conscience » ; mais ce « certain vouloir spontané, au delà duquel l’analyse ne peut descendre)), il areconnu autrefois qu il est « impossible de le délinir » et que son opération « doit échapper non seulement à la délinition, mais à la représentation proprement dite » (E>olutionnisme…, p. xLii)- S’il en est ainsi, comment se distingue-t-il « des noumi nés inaccessibles, principes cachés dans un éternel abîme » dont il ne veut à aucun prix (art. cité, p. 72) ? Il nous répondra sans doute que vouloir, à la différence des inconnaissables, est du moins saisi immédiatement en nous par la conscience. Fort bien ; mais alors, pourquoi avoir toujours parlé avec tant de dédain du Créateur admis par le spiritualisme en le qualifiant, très injustement d ailleurs, d’  « Homme éternel » (Efolutionnisme..,. p. xlix) ? Ce reproche d’anthropomorphisme, fût-il mérité, ne se retournet-il pas contre 1 hypothèse qui explique la chute des corps par une « volonté de conscience » ? Relevons enlîn, toujours dans le même article, cette confession qui a son prix : « Quant à l’existence du multiple au sein de l’unité, sans laquelle il n’y aurait pas de monde, c’est le mystère premier, qu’aucune philosophie ne peut ni nier ni expliquer. » (art. cité, p. 73) Nous concédons volontiers que la coexistence de l’un et du multiple, ou mieux de l’inlini et du fini, du nécessaire et du contingent, reste pour la raison humaine un mystère, idenliipie d’ailleurs à celui de la création ex niliilo, à la((uelle l’auteur déclarait préférable « même l’hypothèse la i)lus grossière » (Ai’enir de lo métaphysique, Alcan, 1889, p. 5, note). Seulement il nous semble évident que ce mystère se transforme dans lout monisme, quel qu’il soit, en une inéluctable contradiction, contradiction dont la tentative avortée de Fouillée est, pensons-nous, une confirmation éclatante.

d) A Fouillée il est tout naturel de joindre un autre philosophe qui lui était étroitement uni par les liens de la famille et de la doctrine, Jean-Marie GuYAU (1 854-1 888). Plus sociologue, il est vrai, que métaphysicien et moins logicien que psychologue, âme de poète et d’artiste plutôt qu’intelligence pénétrante et, somme toute, en dépit des affirmations de ses admirateurs, littérateur brillant plus peut-être que penseur de marque, il ne s’est pas tant

préoccupé de réduire en système cohérent ses idées sur le monde que de fonder ce qu’on a appelé depuis une « philosophie des valeurs ». On n’en trouve pas moins chez lui l’alUrmalion du monisme à « double aspect », toutefois sous un concept nouveau ; bien qu’il souscrive dans une certaine mesure à l’hypothèse des idées-furces (Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, 4° éd., Alcan, 1896, p. 108), il croit trouver dans la fie « une notion plus humaine peut-être, plus subjective, mais, après tout, plus complète et plus concrète ((ue celle de mouvement cl de force » (Irréligion de l’avenir, ! , ’éd., Alcan, 1890, p. 433).

C’est donc dans l’idée et dans la réalité de la vie que se résout, d’après lui, le prétendu dualisme de l’esprit et delà matière. Au surplus, ce mot de vie, remarquons-le, Guyau ne le prend pas dans le sens biologi(iue du monisme transformiste, mais « en un sens psychologique, ou même plus que psychologique, comme objet et sujet d’expérience immédiate à la racine de tout phénomène externe ou interne, de toute sensation, de toute idée, de tout ce que présuppose ce que nous éprouvons quand nous disons : Je me sens vivre. » (FouiLLiiE, l.a doctrine de la vie chez Guyau, liev. de mélaiili. et de morale, t. XIV, p. 530) Vie, dans ce sens, dit avant tout spontanéité interne » (/7^, p. ôi’j) et aussi « fécondité » (p. 522 et Irréligion…, i).438). Cette théorie moniste n’est donc " ni un pan-mécanisme, ni un pan-dynamisme, ni un pan-psychisme ; elle est un pan-animisme » (FouiLLiiiî, ih., p. 629). Entendons-le d’ailleurs nous exposer brièvement lui-même son interprétation personnelle (Irréligion…, p. 437) : « L’unité fondamentale que désigne le terme de monisme n’est pas pour nous la substance une de Spinoza, l unité absolue des Alexandrins, nila force inconnaissable de Spencer, encore moinsunec » ((se/in « /e préalablement existante comme dans Aristote. Nous n’aflirnions pas non plus une unité de figure ou de forme qu’offrirait runiers. Nous nous contenions d’admettre, par une hypothèse d’un caractère scientifique en même temps que métaphysique, l’homogénéité de tous les êtres, l’identité de nature, la parenté constitutive. Le vrai monisme, selon nous, n’est ni transcendant ni mystique, il est immanent et naturaliste. Le monde est un seul et même devenir ; il n’y a pas deux natures d’existence ni deux évolutions, mais une seule, dont l’histoire est l’histoire même de l’univers. Au lieu de chercher à fondre la matière dans l’esprit ou l’esprit dans la matière, nous prenons les deux réunis en cette synthèse que la science même, étrangère à tout parti pris moral ou religieux, est forcée de reconnaître : la vie. La science étend chaque jour davantage le domaine de la vie, et il n’existe plus de point de démarcation fixe entre le monde organique et le monde inorganique. Nous ne savons pas si le fond de la vie est

« volonté », s’il est « idée », s’il est « pensée », s’il

est sensation », quoi(]ue avec la sensation nous approchions sans doute davantage du point central ; il nous semble seulement probable que la conscience, qui est tout pour nous, doit être encore quelque chose dansledernier desêtres, et qu’il n y apas dans l univers d’être pour ainsi dire entièrement abstrait de soi. Mais, si on laisse les hypothèses, ce que nous pouvons affirmer en toute siireté de cause, c’est que la vie, par son évolution même, tend à engendrer la conscience ; le progrès de la vie se confond avec le progrès même delà conscience, où le mouvement se saisit comme sensation. Au dedans de nous, tout se ramène, pour le psychologue, à la sensation et au désir, même les formes intellectuelles du temps et de l’espace ; au dehors de nous, tout se ramène, pour le