Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

79

MAHOMET

80

1. c, I, 122^-1225.) Cet accord a un caractère plutôt politique que religieux. Ce furent, surtout, les conditions politiques spéciales à Médine, qui rendirent possible de faire de l’Islam un essai comme système politique ; et une fois qu’on l’eut essayé et trouvé satisfaisant, il eut nécessairement comme conséquence l’adhésion des Arabes.

Mais, avant de suivre Mahomet à Médine, voyons, d’abord, quels étaient les points principaux de la doctrine qu’il avait prêchée à la Mecque. Son monothéisme n'était pas des plus purs. Allah n'était autre que la divinité suprême des Arabes païens, auquel il avait donné des attributs monothéistes. C'était un dieu, considéré d’abord comme tout-puissant, puis comme tout-miséricordieux, mais qui ne continuait pas moins à rester le Maître de la Ka’ba de la Mecque, attaché à un sanctuaire païen, et qui allait même, à une certaine époque, comme nous l’avons vu, jusqu'à tolérer en sa présence des divinités de moindre importance. Il communique avec le monde au moyen des prophètes, conçus à l’origine comme autant de messagers, envoyés chacun à sa propre nation pour la convertir de l’idolâtrie par la menace de terribles fléaux, et métamorphosés plus tard en IVabis, lumières brillant dans les ténèbres, modèles de vertu et de perfection. Le plus illustre parmi ces Aahis fut Jésus, le lils de Marie. L'élément eschatologique est celui qui ressort davantage dans toute la doctrine prêchée à la Mecque : la certitude de la résurrection, les terreurs du jour de jugement, les souffrances de l’enfer et les joies du Paradis. C’est ce qui permet à de grandes autorités en la matière comme ^YELLHAUSE^' (Reste Arabischen Heidentums, p. 234 sq.) et Snouck Hurgronje (Revue de l’Histoire des Religions, XXX, p.i^g sq.) de déclarer que l’Islam, dans sa forme primitive, avait un caractère chrétien plutôt que juif, bien que les éléments juifs aient tenu une plus grande place dans les révélations faites à la Mecque que les éléments chrétiens. A côté de cette aspiration vers l’au-delà, caractéristique du christianisme d’Arabie, et de l’absence d’un attachement scrupuleux à l’idée strictement monothéiste caractéristique des Juifs, on a, comme preuves de l’influence du christianisme sur l’Islam, lélévation de Jésus au-dessus des autres prophètes, la pratique des prostrations pendant la prière, les veilles de nuit à l’instar des moines chrétiens et le mot araméen l’nrqân, o salut », qui désigne les révélations du Coran (v. cependant Noblueke, Neue Beitriige ziir semitischen Spraclniissenschaft, p. 28, qui revendique à ce mot une origine arabe ; du sens littéral, décision, viendrait révélation : = décision divine). De plus, Mahomet, à cette époque, nourrissait des sentiments de sympathie à l'égard des chrétiens de l’empire byzantin, alors en guerre contre les Perses, et chercha un refuge pour ses disciples persécutés chez le roi chrétien d’Abyssinie. Il est probable, aussi, que la plupart des anecdotes concernant les prophètes, et d’autres éléments juifs lui parvinrent par des canaux chrétiens. Quoi qu’il en soit, il ne consulta guère, lui-même, les sources apocryphes ou autres (v. cependant Schwally, op. cit., p. 134), mais obtint presque tous ses renseignements, par des ouï-dire, ou au moyen d’intermédiaires, comme l'étaient les Hanifs et les Ahl-adh-Dhikr (conteurs populaires).

IV. Vie et enseignement â Médine. — Mahomet nous est apparu jusqu’ici à la Mecque comme un prédicateur religieux à la recherche de disciples. Dès qu’il se voit solidement établi à Médine, il se présente à nous sous l’aspect tout différent d’homme politique, d’organisateur religieux et de guerrier. Ce fut pendant les deux premières années de son

séjour à Médine que l’Islam fut fondé comme religion et comme Etat.

Le prophète, à la tête de ses soixante-dix disciples, émigrés comme lui, et d’un nombre peu considérable de néophytes, devait, d’abord, arriver à un modiis vivendi avec l’immense majorité de Juifs et de païens de Médine. Jusqu'à quel point il réussit dans cette œuvre bien difficile, nous l’apprenons d’un document très important, manifeste plutôt que contrat, rédigé par Mahomet lui-même, dans le but d’arranger les affaires intérieures de Médine. Son contenu, arrivé jusqu'à nous, grâce à Iun-Ishaq, est de nature à exclure toute possibilité d’invention musulmane postérieure. Il proclame, en termes exprès, l'égalité, la plus complète, de droits et de condition, entre Mahométans, païens et Juifs de Médine. Les Quraish, seuls, sont les ennemis de Dieu, que personne ne peut ni aider ni protéger. On y voit Mahomet, lui-même, investi des pouvoirs de paciticateur, de juge et de chef d’armée dans la nouvelle communauté. Il a eu bien soin de laisser son programme religieux dans l’ombre. Dans ce document il n’est question que d’une union des différents partis de Médine pour se prêter un secours mutuel dans un conflit, non de religion mais de race, contre les Quraish. Parmi les alliés, on tolère la loi du talion, mais l’homicide est interdit. Il nous paraît plus vraisemblable, d’accord, avec Wellhausen, Cætani et d’autres critiques, de rattacher ce manifeste à la fin de la première année de séjour de Mahomet à Médine. Il semble s’y montrer soupçonneux à l'égard des Juifs ; il n’espère plus leur conversion, comme il l’avait fait les premiers mois. Le document contient encore plus d’une allusion aux hostilités avec les Quraish. De plus, le prophète n’aurait pu acquérir immédiatement cette autorité. D’un autre côté, le ton général en est trop conciliant, les prérogatives de Mahomet y sont exprimées d’une façon trop modeste et les allusions à la guerre sont trop vagues, pour pouvoir supposer qu’il ait été rédigé après la bataille de Badr. Ce manifeste est important, surtout parce qu’il met dans une lumière bien évidente l’opportunisme politique de Mahomet. Bien que, très probablement, encore intimement convaincu que sa cause est la cause d’Allah, au lieu, cependant, d'être dévoré par un zèle religieux, il n'éprouve aucune difticullé, ni à mettre de côté momentanément son programme religieux jusqu’au jour où il se sentira capable de l’imposer, ni à se liguer avec des païens contre les Quraish païens (v. sur ce document, Wellhausen, Skizzen und Vorarheiten, IV, pp. 67-83, Cætani, Annali, I, pp. Sgi-^oS).

A un autre point de vue, son programme religieux l’occupa beaucoup pendant les deux premières années qu’il passa à Médine, car ce fut alors qu’il lui donna son organisation complète. La prière, qui avait été recommandée et récitée à la Mecque, devint obligatoire et s’accompagna d’un grand nombre de me- _ nues observances. L’aumône ne vise plus uniquement les pauvres, mais devient, aussi, contribution au trésor de guerre. Le jeune, si jamais il se pratiqua à la Mecque, ne devint obligatoire qu'à la période médinoise. D’abord, on se content » d’un jour par an — du Yôm-Kippôr, « jour d’expiation », juif — pendant lequel on ne pouvait ni manger ni boire quoi que ce soit. Dans la suite, on retendit au mois complet de Ramadan, proliablement pour imiter le carême chrétien, comme il était observé alors en Orient. Le lien religieux remplaça le lien de la tribu ; les émigrés (Muhndjirûn) se choisirent, chacun un frère, parmi les aides (Ansdr) de Médine, Cette grande innovation était un moyen très pratique de soutenir et protéger les exilés. Bien que généralement