Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/458

Cette page n’a pas encore été corrigée

903

MONISME

904

distinct à l’indistinct. La distinction se manifeste à nous de devix manières : dans l’espace, elle porte sur la matière et produit des formes et des figures nouvelles ; dans le temps, la distinction porte sur la force et donne naissance à des phases diverses et à un rytlime spécial. Miiis, dans sa réalilé, le fait est à la fois et indivisiblemenl force et matière, la force correspondant à l’aspect temps ou succession, la matière à l’aspect espace ou coexist<nce. — De niêiue, le sujet el l’objet ne sont que des ])roduits de l’activité mentale, dus au jeu de l’associalion ; les données primitives, loin de les supposer, sont les matériaux qui servent à les former. Ainsi les distinctions, qu’elles portent sur la matière ou sur la force, sont purement subjectives et ne rompenl en aucune manière la continuité de la réalité. Inutile donc d’imaginer quelque cause extérieure que ce soit pour expliquer l’action d’une partie de la matière sur une autre ou la liaison d’un moment de la force avec un autre moment : la réalité de l’indistinct fonde la solidarité de toutes les parties de la malière aussi bien que l’homogénéité de tous les instants successifs où se déploie la force. Inutile aussi d’imaginer une Providence ou une linalité : ce sont là encore des illusions dues aux limites actuelles de l’humaine connaissance. Le chaos absolu n’est ([u’une conception abstraite comme celle delà matière sans forces : qu’on remonte aussi haut que l’on veut, on trouve toujours la matière dans un état déterminé et se préparant, par l'établissement d’un ordre qiielconque, à l'établissement d’un ordre su|iérieur. Pour qu’un être existe, il faut sans doute (]u’il ait trouvé des conditions favorables et, celles-ci disi)araissant, il disparaîtra avec elles ; mais l’ordre est dans le détail, il ne s'étend pas à l’ensemble. Bref, pour conclure encore par les paroles mêmes de M. A.Espinas, de q>ii nous nous sommes surtout inspiré dans le résumé qui précède : « On peut dire du système Ardigo que c’est un mécanisme où le monde sans Dieu est gouverné pour le mieux par le hasard. » (Pliiluso/)hie expérimentale en Italie, Revue philosoiihiijue, janvier 1879, p. 37)

A l’exposé de cette cosmologie rudimentaire, bien gratuitement portée par l’auteur au compte de la science, fût-elle positive, on peut se demander tout d’abord ce qui la distingue du plus vulgaire matérialisme. Mais, à y regarder de plus près, le peu que nous en avons dit sudit à montrer qu’elle linil par se résoudre, comme celle de Lange, en un idéalisme absolu. Les déterminations qui font pas'^er le continu de l’indistinct au distinct sont, en eiïel, i Pieuvre de la seule pensée, non pas de la pensée en général, mais de l’esprit de chaque homme, tel qu’il se trouve à un moment donné, à un point de l’espace, dans un état particulier, en raison de l'évolution antérieure et des conditions présentes de l’ensemble. Cette pensée au reste est identique à la nature même sur laquelle elle s’exerce, multiple el successive comme elle. Se représenter l’esprit comme un être simple qui entrerail en communication avec une matière extérieure, c’est le condanmer à ne rien savoir, puisqu’il ne pourrait sortir de lui-même pour aller contrôler dans la réalité la conformité île ses conceptions avec leur objet. Force est donc de lui attribuer la multiplicité et la succession qu’il met dans la matière et dans la force. D’ailleurs, n’est-il pas nature lui « aussi, puisqu’il fait partie de ce monde qu’il se représente ? Quoi d'étonnant dès lors qu’il se rattache, en tant t|ue ilislinct. à l’indistinct universel, qu’il soit un fragment du double continu qui fait le fond des choses'.' Quelle est, en dernière analyse, la ïialure de cet ensemble, de ce continu, de la réalité fondamentale se manifestant ainsi par son

évolution même sous ce double aspect d’espace et de temps, de matière et d’esprit ? A ces questions, d’après Ardigo, il n’y a point de réponse : expliquer en elTet, c’est distinguer ; par suite, vouloir expliquer le continu, c’est le sup[)rimer en le déterminant. ! La seule chose qu’on puisse dire, c’est qu’il s’impose comme la condition préalable de toute pensée et que c’est de lui que se dégagent simultanément les deux distincts qui s’ojjposent comme moi et nan-mui.

N’insistons pas sur la parenté évidente de plusieurs de ces assertions étranges avec celles qu’on lit chez les panthéistes allemands. Contenions-nous de noter pour le moment que vouloir expliquer la détermination de l’indistinct par le travail d’un esprit qui lui demeure identique, c’est, à leur exemple, transporter la contradiction au sein même de l'être.

b) Celle absurdité inhérente à tout monisme est peut-être moinsapparen le dans une autre cosmologie ébauchée à la même époque que celle d’Ardigo. Un mathématicien anglais d’un certain renom, métaphysicien à ses heures, le professeur William-Kingdon r.Lii’i'ORD (1845-1879) publiait en janvier 1878 dans le Alirtd, « sur la nature des choses en elles-mêmes ii, un article qui (it sensation. Partant de l’analyse de la conscience humaine, il prétendait, parune dialectique d’ailleurs des plus arbitraires, pouvoir en conclure à l'élément primordial des choses. Gel élément, qui est représenté dans notre esprit comme matériel, serait en réalilé sentiment (feeling), mais sentiment rudimentaire et inconscient et pourrait être appelé mind-slull', cette expression, sans équivalent en français, signilianl surtout, semble-t-il, que l'étoffe, pour ainsi dire, dont tout est fait, est de nature psychique. Pour établir cette conclusion, l’auteur part du parallélisme |)sycho-physiologique, qu’il croit scietitiliquement établi comme fait universel ; cet antécédent posé, il cherche à montrer, au moyen d’un raisonnement d allvire malhénmtique, basé sur les propriétés des proportions, que ce parallélisme est en réalité une identité rigoureuse.

Nous ne nous attarderons pas à l’exposé et à la réfutation de cette déduction bizarre : on a montré {lieiue philosophique, 1883, t. II, p. 488) que, en renversant les termes de la proportion établie par l’auteur, on conclurait tout aussi légitimement à une réalité dernière purement matérielle ; et c’est encore là peut-être le moindre défaut de cette argimientat on. Nous nous contenterons de remar<|uer que les démonstrations mathématiques n’ont pas cours en ])hilosophie el que, au surplus, le raisonnement de l’auteur est fondé sur un double postulat, non seulement gratuit, mais évidemment faux : celui de l’universalité du parallélisme et celui du subjectivisme kantien. Aussi le véritable intérêt de l’hypothèse du mind-stu/f de Clilïord, c’est, tout en rappelant par plus d’un point les idées de Schopenhauer, de fournir, autant et mieux encore que l’indistinct d’Ardigo, comme la première ébauche du monisme qui allait, (imdqu’S années plus tard, être développé par un philosophe français, sous le nom d'évolutionnis’me des idi’es-forces.

c) C’est à exposer et à défendre ce système qu’Alfred Fouillée (i 838-1 g 12) a consacré toute son activité pliilosophique et la plupart de ses très nombreux écrits ; on le trouve encore résumé dans un ouvrage posthume, Esquisse d’une interprétation du monde ( ban. 1918), qui a été j>ublié par les soins d’un de ses anciens élèves, Emile Boirac, et auquel nous ]>ouvoiis demander la pensée délinilive de l’auleur.

I : (>ttp pensée est résumée dans le nom même de la théorie, nom qui sert de titre au livre principal où elle est expressément formulée (//e’o/H(/oHnisme des idées-forces, Alcan, 1890). Nous croyons utile de