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MONISME

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d’identité. L’esprit, comme dit M. Paulhan, est une fonctiuu de la matière ; mais la matière est une conception de l’esprit. Qu’on cesse donc de nous demander comment l’esprit, qui est plus, sort de la matière, qui est moins. Il n’en sort pas, il la pénètre. Avant d’apparaître et de se manifester par les pUénomènes de pensée consciente, il existait déjà dans l’univers physique à l'état de pensée inconsciente, qui en dirigeait l'évolution, et l'état conscient n’est que le dernier terme où est venue aboutir cette évolution, n

Malgré les protestations que le sens commun fait entendre contre cette dernière conception de la théorie unitaire, il est facile de montrer qu’elle est l’aboutis'^ement naturel et, pour ainsi dire, nécessaire de tout monisme pleinement logique. La doctrine exige, en elVet, par délinition le rejet de tout dualisme objectif, par suite de la distinction réelle, non seulement de l’intini et du Uni, mais de l’esprit et de la matière. D’autre part, le matérialisme absolu s’est montré aussi impuissant à faire dériver le mental du physique, que l’idéalisme strict à ex[)liquer l'étendue par le psychique. Il ne restait donc d’autre ressource, si on ne voulait supprimer ni l’un ni l’atltre, que de les identilier. Il serait aisé d’interpréter déjà dans ce sens plusieurs des systèmes précédemment exposés, spécialement ceux de Vacherol, de Noire, de Charles Lemaire et de Clémence Royer. En tout cas, c’est le parti auquel s’arrêtent, plus ou moins explicitement, presque tous les monistes contemporains, ceux surtout qui se sont spécialement préoccupés du point de vue philosophique de la théorie.

i) Ajoutons néanmoins que, sous cette communauté de doctrine, se retrouvent encore bien des nuances, dues en grande partie, semble-t-il, aux habitudes d’esprit dominantes des différents auteurs. Quelques-uns craignent tellement de dédoubler la réalité, qu’ils en viennent à la supprimer, si du moins on prend à la lettre leurs délinitions successives de l’esprit et de la matière. Qu’on se rappelle laformulede M. Paulhan, citée par Mgrd’Hulst. C’est une impression semblable que laisse, à une première lecture, L’Histoire du matérialisme de Friedrich-Albert Lange (1826-1875. Geschichte der Materialismus, Iserlobn-Leipzig, 1866-1875 ; traduction de B. Pommerol, Paris, Reinwald, 1 878- 1 880). L’auteur semble vouloir y montrer tour à tour que la pensée peut se réduire à une modification du i>liénomène matériel, puis, que la matière n’est qu’une création de l’esprit ; si bien que certains critiques, comme Gonzalez, font de Lange un simplematérialiste (///stoire de la phil., traduct. Pascal, Lethielleux, 1891, t. IV, p. 235), tandis que d’autres, avrc plus de fondement d’ailleurs, voient en lui un idéaliste décidé. Enlin M. Max VERWonN (né en 1863). dans la préface de sa Plirsinlofiie générale, affirme d’abord : « Si je m’en tiens toujours et uniquement au seul fait incontestable que le monde matériel est ma propre représentation, j’aboutis, par une plus mûre réffexion, à la conclusion que, seule, mon àme existe réellement » (Allgemeine Physiologie, 18g5, p. /|r) ; puis, quelques pages plus loin (p. 53) : « Jamais il ne se trouvera pour la physiologie un autre principe d’explication des phénomènes vitaux que celui de la physique et de la chimie, relatif à la nature inanimée. »

2) Le plus souvent toutefois, il y a effort réel pour identilier « le dedans et le dehors » sans sacrifier ni l’un ni l’autre ; mais, même dans ce cas, l’un des deux tend presque toujours à dominer. Ainsi chez beaucoup d’auteurs, encore férus de préjugés scientistes, on se trouve en définitive vis-à-vis d’un matérialisme honteux qui se voile à peine çà et là de quelques

formules plus ou moins spiritualistes ; par exemple, chez il. Emile Fehrière (/.a cause première d’après les données expérimentales, Alcan, 1897) ; chez M. Lucien Arréat, qui écrit : « Tout ce qui existe se résout, pour le monisme moderne, en atomes qui sont à la fois matière, vie, esprit, en éléments substantiels où résiderait, comme dans le germe, la puissance de tout développement ultérieur s> (/.es croyances de demain, Alcan, l8g8, p. 135) ; chez le médecin belge Ch. HmioN (Essai de synthèse évolutionniste uu monaliste,.lcan, 1900) ; chez M. André Cresson (Les bases de la philosophie naturaliste, Alcan, 1907), qui a d’ailleurs la modestie, rare dans cette école, de ne proposer son interprétation du monde qu'à titre d’hypothèse ; enfin, tout récemment, chez M. L. Bardonnkt, dont le néomonisme, beaucoup plus dogmatique, sinon mieux étayé, se résume en cette affirmation péremptoire : Il La mécanique des choses est en même temps l’esprit des choses. « (L' Unii-ers-Organisme, Paris, Ficker, 1914)

Quelques philosophes au contraire, surtout parmi les psychologues, mieux pénétrés de l’impuissance absolue de tout matérialisme à expliquer la conscience, se trouvent par là même rejetés vers l’idéalisme, tout en se défendant de faire du phénomène matériel une pure création de l’esprit ; mais, s’ils se rapprochent par cette orientation générale de leur pensée, ils ne laissent pas d’accuser, eux aussi, de singulières divergences dans la conception qu’ils se font du sujet et de la nature de l'évolution universelle, non moins que dans la méthode qu’ils adoptent pour établir ou exposer leur système. Au lieu de nous perdre dans cette variété de théories, souvent aussi peu viables qu’arbitraires, nous résumerons celles qui peuvent passer pour les plus représentatives par leur originalité ou leur notoriété.

a) En Italie, le premier et le plus connu des défenseurs du monisme du double aspect est un prêtre apostat, devenu positiviste intransigeant, Roberto Ardigo (né en 1828). Dès 1877, il exposait toute une cosmogonie dans un ouvrage dont le titre ne laisse guère deviner les visées philosophiques (l.a formazione naturale net fatto del sislema solare, Padoue). L’auteur ne fait qu’y transformer en monisme athée l'évolutionnisme spencérien, d’où il commence, dans ce but, par exclure l’Inconnaissable : c’est en effet, d’après lui, pour n’avoir pas été fidèles jusqu’au bout à la vraie méthode empirique et pour s'être laissé inconsciemment dominer par les préjugés d’une métaphysique désuète, que les écoles positivistes anglaises aussi bien que françaises ont posé des bornes infranchissables à la connaissance humaine. A la notion injustifiée de l’inconnaissable il faut substituer la notion de [inconnu et tenir pour certain que la science fera constamment reculer cet inconnu. Dès maintenant, nous pouvons affirmer qu’il n’y a ni Absolu, ni Cause première, ni transcendant d’aucune sorte ; il n’y a mêuie ni sujet, ni objet : ce sont là autant d’abstractions, sous lesquelles nous rangeons les phénomènes perçus et parfaitement connaissables ; il y a le fait, que nous donne seul la sensation immédiate ; le fait est divin, l’explication est humaine (La dutlrina spenceriana deULnconoscibile, Rome, 1899).

Que nous apprend donc du monde, d’après Ardigo, la science positive ? Elle nous dit que le fond des choses, l'être est l’indistinct, infini et éternel, soumis à une évolution incessante et rigoureusement continue, dont la loi absolument générale et universelle est la différenciation croissante ; au reste, ce devenir des choses consiste dans le passage incessant, non seulement de l’indistinct au distinct, mais encore du