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MONISME

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sens du bien et du mal, c’est, déclare-t-il sans ambages, une particularité de notre cerveau qui résulte, comme nos autres caractères, des hérédités ancestrales. » (Limites du connaissable, p. 131) Peu d’années après, il précisera encore : la biologie générale, cette science universelle, la seule légitime d’après lui, la biologie ignore le bien, le mal, la justice, la responsabilité, le mérite : elle répudie toutes les notions qui sont la base d’une organisation sociale. Parler d’un individu responsable est, en biologie, une absurdité. " (De l’homme à la science, préf., p. vi) Inutile de nous demander ce que Le Danlec pense de la religion : la réponse est donnée par le titre même d’un de ses ouvrages déjà cité, l’Athéisme. Si le mot de religion est conservé par lui, c’est, nous l’avons vu, pour en faire honneur à la biologie telle qu’il l’entend, c’est-à-dire, suivant l’exemple de M. Hæckel, à ce monisme pour lequel il a écrit tant d’articles et tant de livres.

Il n’entre pas dans notre sujet de discuter les hypothèses scientiUques qui y sont exposées, parfois agrémentées d’attaques sans indulgence à l'égard des adversaires : un savant, qu’on ne saurait soupçonner d’incompétence en cette matière, a cru pouvoir, à propos d’un mémoire sur VHérédité, qualilier en ces termes sévères le procédé habituel de l’auteur : ï Fournir des explications verbales qui n’expliquent rien, vagues et simplistes, sans se soucier des objections capitales, qui restent dans l’ombre, et des lacunes énormes, qui restent béantes, i (Yves Uelage, Année biologique, 1902, p. lvii) Quoi qu’il en soit de ce point, passant condamnation sur les théories strictement biologiques, discutons la construction philosophique qu’on prétend élever sur ce fondement : quelques courtes remarques suffiront à en montrer l’irrémédiable inconsistance. L’auteur eùt-il rigoureusement démontré, ce qu’il est loin d’avoir fait, ce que personne d’ailleurs ne pourrait faire, que les phénomènes de la vie végétative s’expliquent tous par les seules lois de la matière, de quel droit étendrait-il son interprétation purement mécanique aux manifestations, si évidemment supérieures, de la sensation et de la pensée ? On ne se débarrasse pas de ce redoutable problème en iniligeant, contre l'évidence des faits, à la vie consciente tout entière, dont la puissance s’exerce si visiblement sur la direction du déterminisme matériel, l'éliciuette A'épi^/ie'/io/iièHe, qui d’ailleurs, supposerait elleaussi, bien qu'à un autre titre, la négation des lois rigides de ce même déterminisme dont on se fait un argument. (Voir, sur ce point secondaire. Eludes, t. CXVIIl, Conscience et monisme, p. 313, 314)

De plus, la méthode analytique, chère à F. Le Dantec, et qui l’amène à combattre ce qu’il appelle l’erreur individualiste, a le défaut de méconnaître, et de laisser par suite sans explication, le problème de l’unité et de l’identité, incontestables pourtant, de l'être vivant. Enlin et surtout, a-t-on donné la raison suffisante de l’existence d’une machine, pour avoir fait l’analyse de tous les éléments qui la composent et exposé la théorie de son fonctionnement ? Dans la prétendue démonstration de son monisme, il y aune question que ce fécond écrivain a obstinément laissée dans l’ombre, et c’est justement la principale, la question des origines : origine, sinon de la matière qu’il suppose éternelle, au moins de son mouvement, origine de la vie, origine de la conscience, origine de la pensée, origine de la morale, de la société, de la religion ; croyait-il avoir tout dit en affirmant que toute réalité, étant susceptible de mesure, a nécessairement son explication dernière dans les éléments matériels ? L’affirmation ftit-elle aussi vraie qu’elle est manifestement fausse, elle resterait une pure affirma tion, nullement une explication des choses, tant qu’elle n’aurait pas montré comment le plus peut spontanément sortir du moins. Peut-être, après tout, l’auteur qui a été capable d'écrire sur le problème de la mort les pages étonnantes publiées récemment par la Iteyue philosophique (février 1916), n’a-t-il jamais compris le véritable sens de ce mot de problème en science pas plus qu’en philosophie.

C. — Si nous avions à faire ici 1 histoire complète du monisme biologique, il faudrait, aux noms plus représentatifs de MM. Hæckel et Le Dantec, en ajouter bon nombre d’autres, sinon toujours de pliilosophes proprement dits, du moins de naturalistes, de tous ceux, pourrions-nous dire, qui ne croient pas à un Dieu personnel. Sans doute la plupart, se limitant d’ordinaire au point de vue scicntiiique, se contentent, dans leurs ouvrages, de supposer clairement les postulats du monisme : ainsi, en France, Alfred Giard, MM. Yves Delage, F. Houssay, CuKNOT ; les Allemands BiirscHLi, Driesch, Ostwalu, le Suédois Svante Arhhénius, le biologiste américain Jacques Loeu. Mais c’est ouvertement que d’autres professent la philosophie athée et unitaire et s’en font les vulgarisateurs. Bornons-nous à citer les plus connus.

1) — a) En Allemagne, David Strauss (iSoS-iS’jii), le trop fameux auteur de la Vie de Jésus, publiait peu d’années avant sa mort un dernier ouvrage sous ce titre : L’ancienne et la nouvelle foi (187a). Le premier, parmi les philosophes allemands, il y faisait une adhésion retentissante à l'évolutionnisme hæckelien et, trente-sept ans après avoir renié le Dieu de l’Evangile, il en venait à répudier même le Dieu personnel du théisme. Il n’apportait d’ailleurs à la doctrine nouvelle que son nom et un enthousiasme aveugle pour la science expérimentale, sans enrichir le monisme d’aucun argument, ni même d’aucune conception nouvelle.

b) Trois ans plus tard, Ludwig Noire (1829-1889) donnait à son tour son grand ouvrage, Der monitisclie Gedanke (Leipzig, 18^3) suivi d’autres publications qui, tout en révélant de notables changements dans sa pensée, le montrent constamment fidèle à l'évolutionnisme absolu. Quelques passages empruntés à La l’ensée monistique donneront une idée suftisante des vues de Noire : « La matière, y lisons-nous, est l'être, la substance, le principe éternel, que la science poursuit jusque sous sa forme la plus simple, dans sa première manifestation à laquelle on donne le nom d’atome. L’atome ne contient rien de plus que les deux attributs primordiaux et constants de l'être, le mouvement et le sentiment » (p. 68). a Le sentiment ne se développe que par l’efTet du changement, lia pour propriété essentielle de se modifier sous l’action du temps, c’est-à-dire par la répétition fréquente des mêmes impressions » (p. 49). -^u reste, l'élément substantiel et fondamental des choses, tel que l’entend Noire, rappelle plutôt la monade leibnizienne que l’atome du pur matérialisme : « Cha<[ue être, nous dit-il encore (p. laS), est une monade dont l’essence intime est exclusivement de nature spirituelle, dont le corps est une matière en mouvement, un composé mécanique qui doit sa forme, sa grandeur à l’action du principe spirituel, auquel il est associé. » Mais une telle interprétation du monisme n'équivaut-elle pas à un véritable dualisme ? Quant aux théories biologiques et transformistes de l’auteur, elles ne sont guère que la reproduction de celles de Hæckel, dont Noire accepte, les yeux fermés, les hypothèses les plus hasardées.

c) Sans rester aussi lidèle, il s’en faut, aux postulats darwiniens, Eugen DiiHRiNO, le philosophe aveugle (né en 1833) qui eut en 1875 son heure do