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être une révélation de l’expérience, n’en trouve pas moins son explication dans la raison… Si le Dieu de la théologie est la perfection en acte, le Dieu de la cosmologie est la perfection en puissance. Donc le progrés est inhérent à la réalité, de même que la perfection l’est à l’idéal. » (p. b3fi).u reste, ce mouvement progressif n’est pas livré au hasard, puisquil n’est pas moins dirigé que déterminé par l’idéal même à réaliser : « A toutes ses phases et dans toutes ses directions, l’Etre universel procède du simple au composé, de l’abstrait au concret, de l’inorganique à l’organique, du moindre être à l'être plus complet… L’Etre cosmique, le Dieu vivant aspire sans relâche et sans repos à la perfection idéale ; sa loi est de s’en rapprocher, sans jamais pouvoir y atteindre. » (p. 624)

Est-il besoin de discuter pareil système ? Nous pourrions nous en dispenser d’après l’adage connu

« quod i ; ratis afprmatur, gratis negatur », cette théorie de l’Etre réel n'étant, pas plus que celle du Dieu

idéal, appuyée d’aucune preuve : tout est donné comme évident pour la raison, guidée par les données de l’expérience. Mais ces prétendues évidences s’imposent-elles vraiment à l’esprit ? Ne lui apparaissent-elles pas plutôt comme une série d’atlîrraations gratuites ou contradictoires ? Pour commencer par la dernière, comment concevoir que 1 Etre universel se développe en vue d’un but qu’il ignore ? « L’Idéal n’existe pas en soi ; il n’est pas substantiellement distinct du monde, puisque le monde est sa réalité ; enlin, il n’est pas antérieur au monde, puisqu’il est, non à l’origine des choses, mais au terme de leur développement… Comment la sollicitation de l’Idéal, qui n’est pas encore en acte, peut-elle éveiller de leur obscure torpeur les puissances de l'être indéterminé ! » (Caro, Idée de Dieu, p. 201-252) Invoquer, pour résoudre la difficulté, la loi du progrès, c’est « opposer à une question sérieuse un mot, au lieu de satisfaire l’esprit par une idée » (17'., p. 2^7) : la loi du progrès continu des choses, fût-elle moins contestable et moins contestée qu’elle ne l’est, ne nous apprendrait jamais pourquoi le monde évolue ; elle se bornerait à exprimer dans quel sens il évolue.

D’autre part, en appeler à la virtualité de l’Etre pour expliquer son actualisation, et ajouter que le Dieu de la cosmologie est lu perfection en puissance, c’est évidemment affirmer ce qui est en question ; c’est, chose plus grave, l’aflirmer en dépit des protestations du sens commun, qui, au nom même du principe de raison suffisante, se refusera toujours à faire sortir le plus du moins et l’acte de la pure puissance. En vain Vacherot cherche-t-il à prévenir l’objection. Dès son premier ouvrage il déclarait :

« De ce que la Nature va du pire au meilleur, de l'être

à la vie, de la vie à la pensée, il faut bien se garder d’en conclure que le pire engendre le meilleur, que la vie et la pensée ont pour principe la pure matière. Ce serait confondre la cause avec la condition, le principe avec l’antécédent nécessaire. » (Histoire de l'école d’Alexandrie, t. 111, p. 330) Et il ajoutait :

« Le vrai et seul principe de toutes ces créations successives de la Nature, de tous ces règnes qui s'éelielonnent depuis le minéral jusqu'à l’homme, c’est l’Etre

infini, universel, dont tout procède, dans lequel tout rentre, et qui, dans son inépuisable fécondité, produit, par un progrès continu, la matière, puis l'âme, puis l’intelligence… » (p. 331) Cette explication a beau être répétée, en termes d’ailleurs moins clairs, dans /.a Métaphysique et lu Sciencr (t. II, p. 650 et sulv.) ; elle n’en reste pas moins un déli à la raison humaine. Aucune pure puissance, même « cachée dans les profondeurs de l’Etre universel i> (ib., p. 652), même décorée, en vue du rôle à jouer, du titre de

virtualité, n’est capable, pour employer l’argument même de l’auteur contre le matérialisme vulgaire, <( d’engendrer ni l'âme, ni l’intelligence, par la raison très simple qu’elle ne peut produire plus qu’elle ne contient » (Histoire de l'école d' Alexandrie, III, p. 330) ; et avec Ravaisson « on demandera… comment on peut comprendre qu’une existence toute virtuelle puisse d’elle-même, par elle seule, devenir réalité. On demandera ce que c’est que d'être virtuel seulement, et si c’est être. On demandera enlin si l'être inUni de M. Vacherot, en qui il veut mettre toute la force efficace qu’il refuse à son Dieu, si cet être, réduit à une virtualité, n’est pas, comme ce Dieu, une pure conception, entièrement semblable, à ce titre, à toutes ces substances de la métaphysique vulgaire auxquelles on veut le substituer, et si enfin il ne se réduit pas, comme l’a dit M. Lacuelibr dans un article de la Revue de l’Instruction publique (23 juin 1864)…, à l’abstraction de l'être en général, c’est-à-dire à laplus vide de toutes les abstractions. » (La phil. en l<'rance au XIX" siècle, p. 126)

Le Dieu réel de Vacherot ne supporte donc pas plus l’examen que son Dieu idéal. Au reste, le double échec de sa tentative était une conséquence inévitable de la méthode même qu’il avait adoptée, comme le montre M. I’arodi dans deux articles de la Revue de Mélupliysique et de Morale (18yg, p. 463 et ^32), dont on ne peut par ailleurs admettre ni l’inspiration franchement kantienne, ni les principales conclusions. Vouloir, comme le prétendait l’auteur de l.a Métaphysique et la Science, « adopter en lin de compte le positivisme, tout en y superposant une philosophie véritable ; mieux encore, incorporer la métaphysique à la science » (Parodi, p. 739), en un mot tenter une « métaphysique » purement « positive » et, pour cela, « juxtaposer les deux conceptions et les maintenir au même titre » (p. 740), n’est-ce pas s’acculera une « position intenable « i (p. 739) Car II si la métaphysique doit exister, ce n’est pas la science qui peut la contrôler et la légitimer, mais bien plutôt elle qui peut légitimer et contrôler la science » (p. 466). Cependant, < ; dominé… par le double sentiment de la vérité métaphysique et de la réalité scientifique, Vacherot hésitera sans cesse entre eux : ne voulant jamais sacrifier l’un à l’autre, et ayant pour plus liaute ambition de les concilier en faisant à chacun sa juste part, il ne parviendra justement pas à les concilier, parce qu’il se refuse à toute subordination entre eux » (p. 468) : de fait, « sans en avoir bien conscience, c’est le point de vue métaphysique qu’il sacrifie au point de vue scientifique » (p. 467). D’ailleurs « distinguer la réalité que nous donnerait l’expérience de la vérité que nous donnerait la raison, n’est ce pas leur ôter à l’une et à l’autre toute autorité, car, qu’est-ce qu’une réalité qui ne serait pas vraie, ou une vérité qui ne correspondrait pas au réel ? » (p. 73g)

Ce qui étonne, ce n’est donc pas l’insuccès de l’entreprise, c’est l’illusion de Vacherotàcesujet, illusion qui lui a fait écrire cette phrase déconcertante :

« Que ma théologie soit vraie ou fausse, au nioiiis

me rendrez-vous cette justice qu’elle est intelligible sur tous les points. » (La Métaphysique…, t. II, p. 596) Lui, si méprisant d’ordinaire pour la théologie orthodoxe, et qui ne voit dans la scola'^tique qu' (( un chapitre très curieux, des plus curieux peut-être de l’histoire de l’esprit humain travaillant dans le vide et sous le joug de la théologie » (p. 203) ; lui, si sévère pour les philosophes de génie qui auraient, à l’en croire, « réuni de force des mots qui hurlent d’effroi de se voir accouplés, pour essayer de nous faire comprendre un Dieu incompréhensible et même impossible dans les conditions