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MONISME

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toiile autre peut-être, traduit la distinction à laquelle nous nous arrêtons, tandis que pour le panthéisme Dieu seul ou l’Absolu existe réellement et se fait monde, pour le monisme, c’est le monde qui existe par lui-même et devient Dieu.

m. Monisme humanitaire et sociologique. —

De cette déilication de la nature, c’est généralement l’homme lui-même que, sous une forme on sous une autre, le monisme athée prétend faire bénéficier. Ce dessein était nettement proclamé, au siècle dernier, par les apôtres de ce que, dans sa première édition, notre dictionnaire appelait le panthéisme mystique des socialistes. Le vrai fondateur du système fut, on le sait, Henry de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825) et les représentants de l’école les plus fameux après lui, deux autres Français, Cliarles FouniHR (1772-183^) et Pierre Leroux (1797-1871). Tous trois sans doute se montrent prodigues, dans leurs écrits, du nom divin, de même qu’ils conservent bien des termes ou des formules empruntés à l’Evangile et au catholicisme. Mais ce langage à teinte religieuse a été, le plus souvent, vidé par eux de son sens traditionnel et légitime, pour servir en réalité d’enveloppe à « une forme nouvelle de l’athéisme, l’athéisme humanitaire ».(C.4.ro, Etudes morales sur le temps présent, 4" édition, Hachette, 1879, P- t*’) P’"s voilé chez Pierre Leroux, en qui cei tains croient même reconnaître un déiste (voir Hei’iie néoscolastii/ue, 190^, p. 380), il est manifeste dans le pkvsicisme des premiers ouvrages de Saint-Simon et dans l’immoralisme hylozoique de Fourier. Au reste, les questions métaphysiques tiennent peu de place dans les élucubrations de ces « Messies positivistes » : ce qu’ils cherchaient surtout dans l’atlirniation de l’identité de Dieu et de l’homme, de l’esprit et de la matière, c’est une base théor : que à la révolution sociale qu’ils rêvaient, ou à la religion nouvelle qu’ils se flattaient de fonder (voir Caro, Ouvrage cité, 2 « étude : les Religions nouvelles — l’Idolâtrie humanitaire).

A ces noms on pourrait joindre ceux non moins fameux d’Auguste Comte (1798-1857) et de Joseph Proudhon (1809-1866) : le premier en effet, malgré ses préjugés positivistes contre le problème des origines, se propose de « construire une religion presque mystique, en prenant pour base un matérialisme absolu » (Caro, ib., p. 78). Quant à Proudhon, qui n’a guère parlé de Dieu que pour le blasphémer avec sa violence coutumière de langage, si son athéisme apparaît çà et là pluraliste plutôt que moniste, il n’en professe pas moins le principe hégélien de l’éternel devenir ; bien plus, il admettrait volontiers, lui-même nous l’assure, l’hypothèse d’une « substance amorphe, que l’on pourrait nommer assez heureusement le pantogène », d’où » seraient sorties toutes choses » (l’hilosnphie du Progrès, Bruxelles, 1853, p. 49) ; nous avons là déjà, peu s’en faut, la formule du monisme aujourd’hui dominant, tel que nous le retrouverons tout à l’heure. En résumé, ce fut une ambition commune au socialisme et au positivisme de la première moitié du xix" siècle, que de remplacer l’antique adoration du Dieu personnel parla religion de l’Humanité elle culte du Progrès. (Caro, ib., 3’étude : La Religion positiviste)

La même prétention de substituer à Dieu l’homme, ou plutôt l’Etat, se retrouve chez les socialistes contemporains ; mais, en général, ils se préoccupent moins encore que leurs devanciers de fonder sur des arguments rationnels ou sur une doctrine philosophique définie les droits absolus qu’ils revendiquent pour l’individu ou pour la société.

Il n y a pas lieu, croyons-nous, de faire, sous ce

rapport, une place à part au sociologisme positiviste dont Emile Di-rkheim (1858-1917) était naguère en France le chef incontesté : sans doute la thèse qu’il s’était donn « mission de faire triompher, l’identification [irétendue du phénomène religieux avec le fait social, suppose, nous ne dirons pas le dogme (cette école faisant profession d’ignorer toute métaphysique), du moins le postulat moniste ; mais, si ce postulat est sous-jæent à la théorie tout entière, il n’est nulle part, ((ue nous sachions, expressément énoncé, à plus forte raison appuyé d’un essai de démonstration.

Aussi, pour trouver un terrain de discussion au sujet de la nature et de l’évolution du monde, ce n’est pas aux sociologues, mais aux philosophes proprement dits ou du moins aux savants qu’il faut nous adresser. Même chez ceux-ci, il est vrai, le but avoué ou secret des théories professées sera toujours la substitution de l’homme au Dieu des siècles de foi ; du moins la donnera-t-on comme la conclusion plutôt que comme le point de départ du système.

Au reste, si les monistes s’accordent à exclure tout Etre transcendant, ils varient presque à l’infini sur la notion qu’ils se font, soit de l’élément primordial unique des phénomènes, soit de l’évolution grâce à laquelle il revêt à nos yeux tant de formes diverses, route classification sera donc ici encore, on le comprend, plus ou moins discutable. Le P. Klimkb, dans l’ouvrage déjà mentionné, distingue en premier lieu le monisme phénoménal du zaonisme transcendantal. puis subdiise l’un enmatérialiste et spirilualiste, le second en rationaliste, cosmulogique et éfvlutionniste. Quoique rationnelle, cette division, sans échapper d’ailleurs à toute objection de principe, — le monisme transcendontal pouvant par exemi> ! e, non moins que l’autre, s’inspirer soit du matérialisme, soit du spiritualisme, — a surtout l’inconvénient de comprendre plusieurs formes proprement panlhéisliques. Aussi, renonçant à la tentative peut-être chimérique de renfermer dans des cadres rigides la mnltiplieité si variée des interprétations unitaires et sans autre but que d’aider à la clarté de l’exposé et de la discussion, nous nous contenterons de les ranger, dans les paragraphes suivants, sous quelques qualifications générales, d’après le caractère qui semble prévaloir en chacune d’elles.

IV. Monisme idéaliste. — Pour les idéalistes absolus, tout ce qui existe se résout en phénomènes mentaux, dont les phénomènes dits matériels ne sont qu’une création illusoire ou une manifestation extérieure. Dans cette théorie, suivant le mot du littérateur psychologue américain Ralph- Waldo Emerson (1808-1882), « la matière est de l’esprit mort » (yataral flistory of intellect) et « le monde est de l’esprit précipité » (Nature. Cf. M. Ddgard, Emerson, Paris,.A.. Colin, 1907 ; p. l ! ^ ! ^^i) ou bien encore, pour employer la formule de Félix Ravaisson (iS13-igoo) : « La nature, pourrait-on dire, estcomme une réfraction ou dispersion de l’esprit » (I.a philosophieen Franceau XIX’siècle, a^édition, Hachette, iS85, p. 271). M. Jules Lachelier (né en 1832) croit de son côté pouvoir ainsi conclure sa thèse du Fondement de l’induction (Alcan, 1907, p. 102) : « Tout être est une force et toute force est une pensée qui tend à une conscience de plus en plus complète d’elle-même » ; ailleurs, il nous dit que l’homme seul « compose ce mirage permanent qu’il appelle le monde extérieur » (ib.. Psychologie et Métaphjsique. p. 140). Bref, « |)Our l’idéaliste, il n’existe absolument que des représentations, les unes sensibles et