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MODERNISME

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réponses diverses sont faites par les libérau-s, dans les diverses confessions ; certains veulent réserver quelques croyances privilégiées, qu’ils estiment seules essentielles à la foi. C’est ainsi que M. Rashdall, définissait la position doctrinale de son parti, le broad chtirch : « Je pense que nous pouvons dire que nous adhérons aux trois principes essentiels de la religion chrétienne, la croyance à un Uieu personnel, à l’immortalité personnelle, et, sans vouloir restreindre l’idée de révélation à l’Ancien et au Nouveau Testament, à une révélation unique et souveraine de Dieu dans le Christ historique. » {The broad church party, dans Ckrislus in Ecclcsia, p. 385. Edinburgh, 190^). C’est, au catalogue près, la méthode des articles fondamentaux, chère aux anciens réformés.

La plupart des libéraux répudient cette thèse et acceptent franchement la logique de leur position : la religion chrétienne ne consiste pas dans l’adhésion à des dogmes, mais dans l’orientation du cœur et de la conscience (J. Kévillk, Le Protestantisme libéral, ^^. /|8et49, A. Sabatieu, Esquisse, p. a88) ; les lidéistes les rejoignent ici en enseignant

« le salut parla foi indépendamment des croyances », 

et il semble bien que cette position soit la seule que puissent accepter logiquement les modernistes. Ne nous onl-ils pas répété que la foi, étant d’un autre ordre que la science, n’avait rien à craindre de ses conclusions, quelles qu’elles fussent ? Ne nous ont-ils pas dit que les formules du passé et celles de l’avenir ont été et seront également légitimes, pourvu qu’elle » respectent lidèlemcnt " les besoins de la religiosité évangélique ? » ou encore que la question capitale n’est pas : Que croit-on ? mais : Comment croit-on ? » (Gebert, Katholischer Glaube, p. 74)

On aura l’indiscrétion de les pousser d’un peu plus près, et de leur demander, par exemple, si on peut encoi-e être chrétien sans croire même à l’existence de Jésus-Christ. L’hypothèse n’est pas chimérique ; nous savons que, dans l’Eglise luthérienne, certains pasteurs n’ont pas reculé devant cette négation, et, récemment encore, un professeur américain, M. W. B. Smith, écrivait un livre pour démontrer que Jésus n’a point existé (Der VurcUristlicheJesus riebst aeiteren l’orstiidien ziir Entstehiin^sgeschichte des l’rcliristentunis (Giessen, 1906), et le savant professeur de Zurich, M. Schmiedel, l’honorait d’une préface louangeuse. Au reste, les protestanls lidéistes ne reculent pas devant cette conséquence et suivent jusque-là leur principe de l’indépendance de la science et de la foi'. Je ne vois pas comment les catholiques modernistes, s’ils veulent être logiques et sincères, peuvent se dérober à cette conclusion. Mais quiconque soutient cette thèse, doit être logique Jusqu’au bout, et se dire simplement libre penseur ; il doit surtout être sincère et ne point accréditer par son altitude une croyance qu’il ne partage plus.

1. « La foi est-elle conciliable avec l’absence de toute croyance en.Îésus-Christ ? Pour pousser les choses h l’extrême, un homme qui penserait que Jésus-Christ n’a jamais existé, peut-il avoir la foi qui sauve ? M. Ménégoz a le courage de prononcer un oui qui eût, à coup sûr, étonné saint Paul. D’api'ès le professeur de Paris, si un homme qui a donné son cœur à Dieu a l’esprit assez mal fait pour rcToquer en doute toute 1 histoire de Jésus et ion existence même. Dieu ne le condamnera pas pour cette bizarrerie intellectuelle. Il ajoute, non sans une certaine désinvolture : Au paradis, cet original verrait qu’il s’est trompé et se jetterait aux pieds du Seigneur. » fBABUT, De la notion biblique et de la notion symbolofidéiste, de la foi justifiante, cité par Doumergue, Les Èlapei du fidèisme, p. 16, n. 1.)

M. F. Buisson écrivait à ses amis du Protestant : a Si vous n’avez et ne voulez avoir ni credo, ni catéchisme, ni pape, ni synode, si vous ne croyez ni à l’infaillibilité d’un homme ou d’un livre, ni à l’immortalité d’aucune doctrine ou d’aucune institution, ayez le courage de vous appeler de votre nom, vous êtes des libres penseurs Vous pouvez être des libres penseurs religieux ; les deux mots ne se contredisent que pour des oreilles catholiques. Toujours est-il que vous appartenez bel et bien à ce que Sainte-Beuve appelait le grand diocèse du bon sens. Soyez logiques en le reconnaissant. Mais c’est plus, bien plus que la logique qui vous fait un devoir d’aller prendre voire place là où elle est réellement ; c’est la probité. Le pire danger que coure le protestantisme libéral, son seul danger grave, — mais il l’est mortellement, — c’est d’encourir le reproche de manquer de sincérité pour avoir manqué de netteté. Et il n’y a qu’un mo3'en d’y parer, c’est de mettre lin à toute équivoque en vous laïcisant sans réserve et sans ambages, n (Libre pensée et Protestantisme libéral, p. /J’i)

Ce réquisitoire, sans doute, n’atteint directement que les protestants ; mais les catholiques progressistes ne risquent-ils point de se laisser entraîner à de pareilles inconséquences ?

Sans sortir du présent, nous avons le droit de leur demander si leur conduite est conforme à leurs principes. Ils pensent que nulle formule dogmatique, même délinie, n’est infailliblement vraie ; ils n’accordent au dogme aucune vérité absolue, sinon en tant qu’il nourrit notre vie religieuse ; et cependant ils protestent de la plus grande vénération pour ces énoncés dogmatiques ; ils les tiennent pour

« sacrosaints ». et digues de tout respect. Mais comment

justitient-ils cette attitude ? Quoi qu’on en puisse dire, un dogme n’est pas un sacrement, une délinilion de l’Eglise n’est pas un simple rite ; si on ne lui reconnaît pas en elle-même une valeur de vérité, pourquoi la répèle-t-on ? pourquoi la tient-on pour sainte ? On nous dit que les formules dogmati-,

ques sont bienfaisantes et protectrices ; mais com- !

ment ? Ce n’est pas, je pense, comme des formules magiques, par la prononciation matérielle des syllabes ; c’est donc par lasignilication qu’elles portent, par le jugement qu’elles traduisent ; et si on prétend que ce jugement intellectuel n’a point une valeur de vérité absolue et infaillible, de quel droit en impose-t-on l'énoncé?

Les mots ont un sens ; on ne peut pas me faire I redire : a Le Christ est Dieu », comme on peut me prescrire l’ablution baptismale ou la fraction du pain, simplement pour développer ma vie religieuse, pour me rattacher par un rite et un signe extérieur à la société chrétienne' ; si le Christ n’est pas Dieu, en effet, selon le sens propre et naturel de cette formule, ni l’Eglise n’a le droit de me l’imposer, ni moi je n’ai le droit de la répéter ; ce serait une tyrannie, d’une part, et un mensonge, de l’autre.

Supposons, cependant, quelesmodernistes sachent 1 régler toujours scrupuleusement leur attitude sur |

1. « Parmi eux (les dogmes), quelques-uns, comme la 1

divinité du Christ, sont fondamentaux dans le sens où certains rites — le baptême ou la fraction du pain — sont, ' fondamentaux, unissant entre eux les époques et les na- ' ; lions, formant un noyau permanent autour duquel se groupe un ensemble d’usages variables, et servant de signe extérieur et effectif de l’unité de l’esprit intérieur qui unit tout, w G. Tyrkell, The rigitts and limita of tlieology. {Quarter ly Ret’iew, p. 486.) Dans Scylla and Charybdis, p, 234, cette assertion est maintenue, à cela près que le rôle prêté ici à quelques dogmes, eet là attribué ù tous.