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MODERNISME

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il sent qu’il approche de la lumière, et ce Credo si simple et, pour rincro3’ant, si pauvre, lui apparaît chaque jour plus riche de vérité et de vie. Il ne s’arrête point aux images symboliques qu’il reiilerme’, il ii’encliaine point non plus sa foi aux systèmes humains que queh|ues-uns de ses énoncés rappellent ; il va droit an sens que l’EjjIise a donné une fois pour toutes à ses formules, et que son enseignement au lorisé lui fait connaître.

Ainsi, plusieurs des définitions conciliaires qui ont pour objet les sacrements, sont énoncées en fonction de la théorie de la matière et de la forme. Le catholique n’est point obligé, pour s’y soumettre, d’adhérer à la physique d’Aris’ote. Le principe qui doit nous guider en cette matière, c’est la règle formulée par le concile du N’atican et rappelée plus haut : k dogmatum is sensus pcrpeluû est retinendu ; , quem semel declaravit Suncta Mater Ecclesia » ; or on constate que lors même que l’Eglise emprunte certains termes à des systèmes philosophiques ou théologiques, elie ne les emploie pas dans la rigueur de leur sens technique, et par suite n’enchaîne point notre foi à une construction systématique. C’est dans ce sens que Frauzelin ((/e Eucharistia^t. ^9 ! ]), après avoir exposé ! a théorie des accidents, coricluait ainsi sa thèse sur les espèces eucliaristiques ; « Veritas theologîca physîcæ realitatis specierum ab hac aut quavis nlia speciali explicatione philosophica modi non pendet ; gratulabimur ergo ei, qui modum aptiorem et probabiliorem nos docueril. dummodo reipsa sit integræ vei-itatis theologicæ explicatio. » — Sur ce point, qui est très délicat et qui ne peut être traité en quelques lignes, que le lecteur me permette de le renvoyer à deux articles de la Reloue pratique d’Apologétique^ 15 mai 1907, pp. 19’i-197 ; 15 juillet 1907, pp. 527-535.

Le catholique regarde cette adhésion aux dogmes comme obligatoire, et, par conséquent, comme nécessaire au salut. Il n’oublie point certes que Dieu, qui veut le salut de tous, n’exige de tous que ce qu’ils peuvent faire, et qu’il excuse l’ignorance invincible de ceux qui n’ont point adhéré aux vérités révélées faute de les avoir pu connaître ; mais il sait aussi que quiconque a connu suUisamment la révélation et ses preuves, a le devoir de lui donner son adhésion, et qu’il ne saurait dans la suite avoir aucun motif légitime de la rétracter.

Pour le moderniste, au contraire, les formules que l’Eglise propose à ses fidèles, ne sont point des énoncés irréformables ; elle sont l’expression plus ou moins heureuse des expériences religieuses des chrétiens ; elles renferment de la vérité et de l’erreur, c’est un rainerai où l’or est mêlé à bien des scories, mais peut-être n’en pouvons-nous pas avoir de plus riche ici-bas. (G. ïyurell, A inuch-abused letter, p.’ ; 8 sqq.) Elles sont bonnes et bienfaisantes pour notre âme, en tant qu’elles y provoquent et qu’elles y nourrissent le sentiment religieux. Aussi les meilleures d’entre elles ne sont point ces énoncés intellectuels, qui nous donnent l’illusion d’une connaissance, mais dont l’àme se lasse vite, quand l’illusion s’est dissipée ; ce sont ces symboles familiers tpii, sans prétendre percer le mystère, en donnent à l’àme l’impression. « Les récils de la naissance de Jésus, disait Sabatier, ne sont que de la poésie ; mais combien cette poésie est plus religieuse et plus vraie que les définitions du symbole Quiciimque’^l »

1. C’est une expression de ce genre que nous trouvons, par exemple, dans la descente aux enîcYs ; le catholique n’est pns obligé de croire que les enfers sont au-dessous de la terre et que Noire-Seigneur y est descendu.

2. Esquisse, p. ilO. Cf. Bvssoti, Lilire pensée et Protestantisme libéral, p. 33 : « Il se trouve qu’à nos yeux la gronde supériorité des quelques pnroles auxquelles se réduit l’enseignement authentique de Jésus, c’est d’être volontairement des images, des allégories, des paraboles.

Tyrrell décrit ainsi le Credo qu’il rêve : o Dans l’état de choses idéal dont nous pouvons approcher chaque jour davantage, on devrait avoir un Credo vivant et croissant, un ensemble de dogmes et de mystères qui refiélerait et incarnerait la croissance, le développement spirituel de la conimunauté ; il serait un, non par la cohérence logique d’un système, non d’après la valeur littérale de ses propositions et de ses articles, mais par la cohésion des manifestations diverses d’un même esprit ; ce serait un Credo vivant et flexible qui représenterait les besoins spirituels de la masse, les besoins passés des plus avancés, les besoins futurs des plus retardataires’. »

Le chrétien respectera ces formules et s’en servira, car, outre le secours qu’il y trouve pour sa vie spirituelle, il leur doit encore d’être uni aux chrétiens de toutes les nations et de tous les temps, mais encore faut-il que ces formules soient pour lui un secours et non un fardeau. Il peut arriver et, d’après beaucoup de modernistes, il est arrivé en effet, que la plupart des formules que l’Eglise nous propose, soient aujourd’hui stériles ; elles ont pu jadis féconder la foi, parce qu’elles étaient en harmonie avec les besoins religieux et les habitudes intellectuelles des chrétiens d’alors ; aujourd’hui, nous dit-on, elles ont perdu pour nous toute signification ; nous ne pouvons les penser ni en vivre. Que doit faire alors le chrétien, sinon agir, autant qu’il est en lui, sur son Eglise, pour l’amener à desserrer l’étreinte de cette plante parasite et morte qui étoufi’e le christianisme ? S’il n’y peut réussir, il saura du moins revendiquer pour lui et pour ceux qu’il pourra atteindre, la pleine liberté chrétienne, et briser la contrainte que la théologie prétend lui imposer. (ÏYnnELL, A much-abused lelter^ p. 87 sqq. ; lH^lits and limits of Theology. Qiiarterly Hevietv, p. 490 ; atténué dans Scylla and Charybdis, p. 289)

Cette attitude pratique, qui est parfaitement logique avec le reste du système, est l’attitude même des protestants, et nul ne peut s’y méprendre. Pour mettre ce point mieux en lumière, rappelons encore ici la doctrine catholique, et voyons quel est, d’après

des métaphores fnmilières qui parlent au cœur et à l’imagination, mais qui sont foncièrement réfractaîres à une cristallisation dogmatique : Dieu est « un père, » les hommes sont ses « enfants ». Essayez donc de faire une théologie rigoureuse avec ces mots père et enfant ! Essayez donc de leur donner un sens piécis, une définition en règle ! N importe, ils sont clairs pour le sentiment… » C’est, il me semble, dans le même sens que Tyrrell, étudiant l’expression de la révélation, oiiposait la « pure imagerie » dont la valeur est, en grande partie, permanente, aux catégories ou conceptions intellectuelles qu’il juge précaires. [Théologisme, Reçue pratique d’apologétique, 15 juillet 1906, p. 510 ; reproduit dans Scylla and Charijbdis, p. 358 ; cf. Lex credevdi, p. I’13, 14’i|.

1. The righis and ttniits of theologq (Quarlerly Review, p. 488, Throuoh Scylla and Charybdis, p. 237). Si l’on veut pleinement apprécier le caractère de cette doctrine,-on peut la comparer à ce jugement d’un théologien protestant :

« Au sens catholique de ce mot, le dogme est

une croyance officiellement définie, promulguée et imposée par l’autorité conijiétenle, c’est-à-dire par l’Eglise. Il va de soi que cette notion ne pouvait passer telle quelle dans le protestantisme. L’esprit même de la réforniation est en contradiction formelle avec l’idée d’une doctrine qui sei-ait imposée de l’extérieur par n’importe quelle autorité. Le dogme protestant doit êti-e, selon Lobstein, l’expression et l’affirmation scientifique de la foi protestante, d’une manière qui réponde aux intérêts de l’époque actuelle et de la génération présente. » (M. GocutL, W. Ilerrmaitn, p. 283.) Entre ces deux conceptions du dogme, très justement opposées, il est aisé de reconnaître quelle est celle à laquelle adhère Tyrrell.