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MODERNISME

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condamnée à demeurer sans réponse si nous accordions les fonsses prémisses.

Cependant certains bergsoniens et modernistes ont reculé devant l’abîme ouvert du pantUéisme, et voici comment ils cliercbent à éviter les excès qui en découlent logiquement.

Certes, ils ne reviendront plus à l’existence de Dieu par aucun raisonnement. Ce « vieux jeu de l’intellectualisme » est à leurs yeux périmé irrévocablement.

« Les preuves imaginées par la pliilosophie

scolastique pour démontrer l’existence de Dieu, et tirées du mouvement, (1 « la nature des clioses liiiies et conlinsfentes, des degrés de perfection, de la théologie de l’univers, ont aujourd’hui perdu toute valeur… II était par conséquent naturel que l’on recourût, pour la démonstration de l’existence de Dieu, ou mieux pour la justillcation de la foi dans le divin, au témoignage de la conscience. » (Programme des modernistes, p. iig)

Notez bien qu’il ne s’agit pas de découvrir en notre conscience un simple sentiment, tei que le besoin du divin, car un sentiment ne prouve rien sans un raisonnement. Saint Thomas lui aussi fait souvent appel aux instincts du creur, tel que notre désir de l’inlini et de la béatitude. Mais après avoir posé en majeure : un inslinci de la nuluve n’est jamais trompeur, desideriiim nalune non est inane, il le prouve aussitôt et le légitime par la raison. Ici rien de semblable, puisque les modernistes ont banni la raison et soigneusement fermé toutes les issues du raisonnement, — malgré l’autorité des Conciles nous enseignant que « la droite raison démontre l’existence de Dieu », recta ratio fidei fandamenta demonstral. (Concile du Vatican, Gonst. Dei filius.)

C’est donc par une véritable intuition mystique, ou expérience religieuse opérée à l’aide d’un sens spécial, produisant un contact direct ineffable avec Dieu, qu’on nous propose de découvrir sa présence au plus intime de nous-mêmes. (Programme des modernistes, p. I14, 116, 121.)

Et c’est sur ses illusions décevantes d’une intuition normale de Dieu ou d’un contact naturel et direct de son Etre, que le moderniste ijrétend sérieusement élever, ou relever de ses ruines la Théodicée I

Loin de nous payer de mots, soyons francs, et avouons que cette prétendue intuition de l’Etre divin — an moins dans l’ordre naturel et universel — n’existe point, et que ce que l’on nous propose est au fond un acte de foi aveugle qui crée son olijct, et non pas un acte de vision. L’Encyclique l’a fort bien renuirqué lorsqu’elle conclut :

« Le phiio.soplie (moderniste) admet la réalité divine

comme ohfet de foi : mais cette réalité, pour lui, n’existe pasailleursque dans l’âme même du croyant, c’est-à-dire comme objet de son sentiment et de ses affirmations : ce qui ne sort pas, après tovil, du monde des phénomènes. Si Dieu existe en soi, hors du sentiment et hors des allirmalions, c’est de quoi il n’a cure ; il en fait totalement abstraction » (Encycl. Pascendi, p. 18).

Et voici sa conclusion logique : « L’objet de la science, c’est la réalité du connaissable ; l’objet de la foi, au contraire, la réalité de l’inconnaissable. Or, ce qui fait l’inconnaissable, c’est, en un mot, l’absence de toute proportion entre l’objet et l’intelligence. Mais cette disproportion, rien au mcmde, même dans la doctrine des modernistes, ne peut la faire disparaître. Par conséquent, l’inconnaissable reste et restera éternellement inconnaissable, autant au croyant qu’au philosophe. La religion d’une réalité inconnaissable, voilà donc la seule religion possii)lo. Voilà qui suffit, et suraliondamment, à montrer par combien de routes le modernisme

conduit à l’athéisme et à ranéantissemen de toute religion. » (Encycl. Pascendi, p. 62.)

Ainsi l’agnosticisme philosophique conduit tout droit à l’agnosticisme religieux.

2" Après le dogme de l’existence de Dieu, c’est celui de la spiritualité et de l’immortalité de r « nieA((maine qui va logiquement succond)pr.

Puisqu’on a commencé par bilVer la notion de substance et de causalité, la subslantialilé de notre àmc, sa simplicité, n’ont même plus de sens. Notre àme ne serait donc plus un agent qui demeire sous le Ilot mobile de ses opérations, — comme notre conscience nous l’atteste avec une évidence saisissante ; — elle ne serait qu’une action sans agent un mouvement continu, ou la lile et la suite de nos événements de conscience. Mais comme dans ce perpétuel écoulement rien ne reste le même, notre identité personnelle a disparu, avec l’agent qui demeure, l’âme subsistante.

Un exemple concret va faire saisir plus clairement notre pensée. Lorsque je dis : « Tel enfant devient un honmie », il est clair qie je n’attribue pas le qualillcatif « homme « au sujet « enfant ». Ma phrase est donc elliptique ; elle sous-entend le véritable sujet : tel être humain, Pierre, qui était enfant, devient homme. Supprimer ce sujet serait un véritable non-sens.

M. Beugson dissimule mall’embarras quelui cause cette objection. « Quand nous disons que l’enfant devient homme, écrit-il, gardons-nous de trop approfondir ( !) le sens littéral de l’expression. Nous trouverions que lorsque nous posons le sujet « enfant », l’attribut « homme y> ne lui convient pas encore, et, lorsque nous énonçons l’attribut « homme », il ne s’applique déjà plus au sujet « enfant ». La réalité, qui est la transition de l’enfance à l’âge mîir, nous a glissé entre les doigts… La vérité est que, si le langage se moulait ici sur le réel, nous ne dirions pas : l’enfant devient homme, mais // y a dei’enir de l’enfant à l’homme… Devenir esl un sujet. Il j)asse au premier plan. U est la réalité même… » (L’Evolution créatrice, p. 338.)

En vérité voilà une explication originale, dont l’esprit humain ne s’était point encore avisé. Ce n’est plus « monsieur Pierre » qui d’enl’ant devient homme, mais u monsieur Devenir » puisqu’il est, nous dit-on, le sujet et la seule réalité. Et comme ce « devenir » est impersonnel, n’a[)partenant à personne

— ce que M. Bergson exprime fort bien en disant :

« Il y a devenir >, comme on dit il pleut ou il

neige, — concluons que personne, dans le dit changenienl, n’a passé de l’enfance à l’âge mùr 1

Conclusion si contraire au sens commun, qu’elle suliit à réfuter la négation de ce sujet un et permanent, sous le flux de ses opérations, que nous appelons notre àme.

Sa spiritalité et son immortalité ne sont pas moins compromises que sa personnalité. Une pure action se déroulant dans le temps n’est pas nécessairement simple ni spirituelle, car elle a des parties au moins virtuelles : présent, passé, futur, et elle peut être dépendante de la matière au point de ne pouvoir agir sans son concours.

A plus forte raison dans l’hypothèse bergsonienne où matière et esprit ne sont que des directions divergentes d’une même action, suivant qu’elle progresse ou qu’elle recule, « l’extra-spatial se dégradant en spatialilé « , ou réciproquement, le spatial progressant en extra-spatial. D’où les célèbres formules :

« le physique n’est que du psychique inverti », « la

tension de l’esprit et l’extension de la matière ne sont que deux moments du même él.-in vital qui se fait ou se défait. »