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MODERNISME

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l’histoii-e du domine, avouait-il, ne soulève aucune difficulté nouvelle devant l’intelligence du croyant… Si le problème (cbristologique) se pose de nouveau… c’est par suite du renouvellement intégral qui s’est produit et qui se continue dans la philosophie moderne. » (Autour d’un petit livre, p. 129, 202, etc.). Et il explique lui-même, dans le même ouvrage, comment cette philosophie révolutionne de fond en comble toutes nos antiques notions de la Personnalité divine, de la Création, de la Hévétation, de l’Incarnation, de la Rédemption, en un mot de tous les dogmes.

« Le j)rogTès des sciences exige, semble-t-il, que l’on

réforme Ise concepts de la doctrine chrétienne sur Dieu, la Création, la Révélation, l’Incarnation, la Rédemption. » (Prop. 64, décret Lamentabili).

El dans ses lettres intimes, il dit encore plus clairement : « La question qui est au fond du problème religieu.K dans le temps présent, n’est pas de savoir si le Pape est infaillible, ou s’il y a des erreurs dans la Bible, ou même si le Christ est Dieu, ou s’il y a une Révélation, — tous problèmes surannés, ou qui ont changé de signilication, et dépendent du grand et unique problème, — mais de savoir si l’univers est inerte, vide, sourd, sans âme, sans entrailles, si la conscience de l’homme y est sans écho plus réel et plus vrai qu’elle-même [en un mot du problème philosophique d’un Dieu personnel.] Du oui ou du non il n’existe pas de preuve que l’on puisse appeler péremptoire… » — Et il termine ainsi cette lettre :

« Vais-je verser dans le monisme, dans le panthéisme ? Je l’ignore. Ce sont des mots (I). Je tache

de parler des choses. La foi veut le théisme ; la raison tendrait au panthéisme. Sans doute, elles envisagent deux aspects du A-rai, et la ligne d’accord nous est cachée. » (Quelques lettres, p. l^b. 48. C’est nous qui soulignons) — Un peu plus loin, p. 167 : Ce n’est pas l’origine de tel dogme en particulier qui est en cause maintenant, c’est la philosophie générale de la connaissance religieuse. »

Il est clair, en effet, qu’une fois la personnalité de Dieu supprimée et la possibilité de son action dans le monde méconnue, le sui-naturel est un non-sens, et la religion chrétienne tout entière doit être alors interprétée par une méthode naturaliste. La critique de Renan était partie de ce même postulat philosophique, pour aboutir aux mêmes négations.

De son coté, M. Le Roy necacliait nullement son adhésion pleine et entière à la philosophie « nouvelle », dont il est devenu l’un des plus brillants et des plus officiels interprèles. El nous montrerons plus loin comment, par exemple, sou fameux article : <( Qu’est-ce qu’un dogme ? » n'était qu’une simple application de la théorie chère à leur école sur la vérité en général ou la valeur purement pragmatiste et symbolique des dogmes de la raison et de ceux de la foi.

Nous pourrions en dire autant de tous les modernistes notoires, et l’Encyclique a mille fois raison de constater que toujours et partout, en théologie, en histoire, en exégèse, dans toutes leurs tliéories modernistes, a c’est le philosophe qui ouvre la marche » et le savant qui suit. — « La méthode du moderniste théologien est tout entière à prendre les principes du philosophe et à les adapter au croyant ». — « De même que l’histoire reçoit de la philosophie ses conclusions toutes faites, ainsi de l’histoire la critique ». — « Du commencement à la un, n’est-ce pas Va priori ? Sans contredit, et un a priori où l’hérésie foisonne. « (Encyclique Pascendi. lbid., p.^-^, 4^, 49, 51, etc.) — « Que leur histoire, que leur critique soient pure œuvre de philosophe, que leurs conclusions historico-critiques viennent en

droite ligne de leurs principes philosophiques, rien de plus facile à démontrer. » (Ibid, p. 4^). — « C’est d’une alliance de la fausse philosophie avec la foi qu’est né, pétri d’erreurs, leur système. » p. 67.

Ces citations suffisent pour montrer clairement l’importance d’une élude du modernisme au point de vue philosophique. C’est aller ainsi jusqu'à la racine du mal et y pratiquer, en l’extirpant, l’opération la plus salutaire. Sans elle, au contraire, tout le reste serait vain.

Une telle étude, il est vrai, ne va pas sans difficultés. Non seulem-ent- pour cette raison générale qu’elle suppose chez les lecteurs une sérieuse culture philosophique — oiseau rare chez nos contemporains, plus adonnés à l’hisloire et aux sciences qu'à la métaphysique ; — mais aussi pour une raison très spéciale, que l’Encyclique s’est bien gardée de passer sous silence, à savoir l’aspect ondoyant et protéiforme de celle philosophie « nouvelle », qui refuse obstinément de se préciser en formules et en thèses, comme dans un code ou un manuel classique, et même de se i>résenter à nous en synthèse complète.

« C’est comme une tactique des modernistes, —

tactique en vérité fort insidieuse, — de ne jamais exposer leurs doctrines méthodiquement et dans leur ensemble, mais de les fraguienter en quelque sorte et de les éparpiller çà et là, ce qui prête à les faire juger ondoyants et indécis, quand leurs idées, au contraire, sont parfaitement arrêtées el consistantes ; il importe ici, avant tout, de présenter ces mêmes doctrines sous une seule vue, et de montrer le lien logique qui les rattache entre elles. » (Encyclique Pascendi, Ibid., p. 'j.)

Mais avons-nous le droit d’organiser en un système philosophique des théories éparses que l’adversaire refuse d’organiser ? — A ce scrupule, l’Encyclique a déjà répondu, et nous répondrons à noire tour que nous n’avons la prétention de rien organiser nous mêmes, mais seulement de montrer aux yeux de tout esprit sincère, que la simple juxtaposition de ces membres épars du modernisme révèle en lui l’unité d’un même organisme, et un plan d’ensemble parfaitement cohérent. N’a-t-il pas sufil à Cuvier pour reconstituer son Palæotherium magnum de quelques fragments retrouvés épars el incomplets ? Plus heureux que lui, nous possédons tous les membres du monstre nouveau, et leur groupement d’après les lois naturelles les plus incontestables, n’est plus qu’un jeu pour la raison. Au demeurant, le lecteur sera juge si nos rapprochements sont forcés, contre nature, ou au contraire parfaitement logiques et spontanés.

Resterait une autre question préliminaire. ' A quelle philosophie faut-il rattacher les théories modernistes ? "Toute la suite de ce travail le montrera surabondamment. Après l’avoir lii, il sera aisé de conclure : c’est à cette philosophie nouvelle 0, qui en France, a désormais pris nom de Bergsonisme. Elle-même paraît inconlcslablement issue de la philosophie allemande et luthérienne, de Hegel et de Kant, parmi les modernes, et aussi d’HÉRACUTE parmi les anciens ; quoique les amateurs d’arbres généalogiques aient déjà esquissé des lignes de filiation autrement nombreuses, compliquées et souvent hypothétiques, dont il serait oiseux de discuter ici les vraisemblances.

Ce sera, disons-nous, la conclusion de ce travail, et si nous croyons utile de la laisser entrevoir dès le début, c’est pour mieux orienter ceux qui nous liront en leur donnant de suite un Ul conducteur.

Nous aurons donc constamment à viser des théories de l'école bergsonienne, laissant de côté, bien