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MODERNISME

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contesté ^e fait, la valeur de celle méthode pour arriver ciux vérilés fondamentales de l’ordre naturel ; mais cet aspect du problème est hors de notre sujet. Appliquée à l’ordre surnaturel, la méthode d’immanence a pour base ce que la vieille théologie appelle V appétit naliiret ilii surnaturel. Cet appétit, dit très bien le R. P. Gardeil, est le nœud vital du problème des rapi)orts de la nature et de la grâce (Dict. de Théologie, art. Appétit. En style courant, cela signifie que, des besoins et tendances de l’homme tel que nous le voyons, cette méthode prétend conclure avec une certitude, sinon spéculative, du moins pratique, à l’existence d’une révélation. Le Décret du Saint-Office, par lui même, ni ne blâme, ni n’approuve la méthode d’immanence, et en ce sens on peut dire,. sans crainte de se tromper, que le blondellisnie n’est pas condamné par le décret Lamentahili. Mais le même décret rappelle â tous les apologistes, qui veulent faire autre chose qu’une argumentation ad tiominem, ce que doit être la construction qu’ils élaborent. Et peut-être quelques-uns l’avaient-ils oublié ou perdu de vue.

La condamnation de la prop. aS aura un autre effet du côlé des théologiens traditionnels. Les positions des théologiens traditionnels se trouvent en effet singulièrement renforcées par l’acte du SaintOffice. Car toute la distribution de l’apologétique classique est commandée par deux vérités : i" Il doit exister des motifs de crédibilité capables de donner par eux-mêmes, pour tous les esprits, soit la certitude spéculative, soit la certitude pratique du fait de la révélation : ce sont les signes très certains et accommodés à toutes les intelligences dont parle le Concile du Vatican, D.-B., 1790, 1794 ('ôîg, lô^^) ; 2° L’ordre surnaturel ofi nous sommes est gratuit ; et bien que moralement nécessaire, la révélation n’est pas nécessaire de nécessité absolue. En soulignant la nécessité de la certitude avant l’acte de foi, le Saint-Otlice appelle l’attention de tous sur la première de ces deux vérités : celle que la méthode d’immanence laissait un peu dans l’ombre. L’apologétique classique ne fera qu’y gagner en autorité. De plus, par suite de ce rappel d’une doctrine qui leur était familière, les théologiens seront amenés à éparpiller moins leurs efforts sur des points de détail accessoires. La vraie question à débattre est fort bien posée par le décret Lamentahili ; il faut une apologétique qui nous amène à un jugement pratique moralement eerlain : les nouvelles apologétiques satisfontelles à cette condition essentielle ?

Un mot encore pour répondre à une question qui se pose sans doute dans l’esprit de beaucoup de lecteurs. Newman est-il condamné? Laissons de côté certaines interprétations des newmanistes français, qui ne sont pas l'œuvre de Newman, mais des gloses plus ou moins fantaisistes ; et parlons du seul Newman. Newman a bien écrit que les raisons spéculatives de croire se réduisent à des probabilités convergentes. Mais Nevman pensait arriver à la certitude morale, requise par le décret d’Innocent XI, par un jugement réflexe, fréquemment employé contre les déistes du xvm* siècle par l’apologétique protestante, etretrouvé par Newman chez le théologien catholique Eusèbe Amort. Ce qu’a écrit Newman est donc hors de cause.

S" L’interprétation pragmatique dn dogme. —

En même temps que la controverse immanentiste, nous avons eu dernièrement la bruyante question de M. Lb Roy : Qu’est-ce qu’un dogme ? Cette querelle se trouve terminée par la condamnation de la proposition suivante : 26. « Les dogmes de la foi ne doivent être retenus que dans un sens pratique, c’est à-dire comme règle commandant l’agir et non pas comme règle du croire. i> Ce qui est condamné dans cette proposition, ce n’est pas le pragmatisme en général (voir art. Pragmatisme), mais seulement l’application qu’on a voulu faire au dogme d’une certaine interprétation des doctrines pragmatisles.

Remarquons d’abord la forme exclusive de la proposition et la formule explicative qui la suit. Cette forme et cette addition restrictive étaient nécessaires pour ne pas atteindre, en même temps que M. Lb Roy, bon nombre de théologiens scolastiques. II y a environ huit siècles que dans les prolégomènes de la théologie (Sent., I, Prolog. ; Summa, I, q. i, art. 4) on a l’habitude de se demander si la théologie est une science spéculative ou une science pratique. La réponse commune est qu’elle est plutôt spéculative ; mais de très bons auteurs soutiennent avec ScoT et son école qu’elle est pratique. Leibniz, avec Bossuet, s’est rallié â cette opinion et il écrit : « Equidem Theologiam rere chrisiianani esse practicam constat, et primarium Cliristi scopum fuisse potius inspirare voluntati sanctitatem, quam intellectui immittere notiones veritulum arcanarum » (éd. Dutens, t. V, p. 1/12).

Dans ces termes, cette manière de voir est une de celles qui sont libres en théologie ; et on voit à simple inspection que celle opinion ne met nullement en question la croyance aux dogmes : elle la suppose expressément, et se contente de donner à la charité la première place dans l’intention divine. Si M. Le Roy, qui cite en sa faveur le scoliste Frassen, n’avait jamais rien dit de plus que l'école scoliste, Bossuet ou Leibniz, il n’y aurait pas eu lieu de condamner la proposition dont nous nous occupons. On a essayé en Allemagne de tirer Duns Scol au pragmatisme. Le docteur Parth. Minces, Ist Duns Scotus indeterminist ? a remis les choses au point très élégamment : les rencontres verbales ne sont pas signes certains de filiation, ni même de voisinage, d’affinité de système. (Voir Vazquez, fn I, disp. viii sqq.)

Il ne s’agit pas, dans la condamnation, du pragmatisme moderne en général. Le pragmatisme contemporain est un efl’ort, avoué ou inconscient, pour appliquer à la raison théorique la solution que Kant avait limitée à la raison pratique ; il cherche à eombatlre le scepticisme spéculatif, en démontrant ou en affirmant une réversion de valeur delà raison pratique sur la raison théorique. Cette méthode aboutit le plus souvent à la forme moderne du scepticisme qu’on appelle l’agnosticisme ; mais les pragmatisles catholiques prétendent par leur méthode atteindre la réalité des choses, et, sinon dans la connaissance naturelle, au moins dans l’acte slirnaturel de foi, entrer en relations avec le fond substantiel de l'être. De tout cela notre décret ne dit rien.

M. Le Roy, tout en admettant que le Credo affirme l’existence de réalités, ajoute que « le Credo ne nous donne de ces réalités aucune théorie représentative même rudimentaire ». Cela ne veut pas dire, comme on l’a cru, que le dogme n’a aucune valeur intellectuelle ; non, car M. Le Roy n’est pas agnostique. On veut dire simplement que l’acte vital qui est l’aele de foi, est un acte de connaissance, mais que ce cette connaissance exprime son objet en symboles d’action ; qu’elle le représente par l’action vitale qu’il provoque en nous ». (Dogme et Critique, p. 96). Ceux qui ont lu saint Jean de la Croix pourront, pour saisir M. Le Roy, se souvenir de ce qu’on y lit sur la connaissance mystique : connaissance réelle, où les symboles d’action font toute la représentation intellectuelle ccmsciente et communicable, mais où l’acte de connaissance n’emporte aucune pensée