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MODERNISME

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les sacrements. Le « modernisme » ne lui conteste pas ces pouvoirs ; mais il les comprend mal. En général, il les diminue injustement ; quelquefois il les exagère, comme si l’Eglise pouvait supprimer ce qui a été déterminé immédiatement par Dieu lui-même, faire prévaloir des lois nouvelles sur les lois divines, un dogme nouveau sur le dogme ré élé.

1° Pouvoir d’enseigner ou magistère

1° Objet des définitions de l’Eglise. — Prop. 5 :

« Puisque le dépôt de la foi ne contient que les vérités

révélées, à aucun égard il n’appartient à l’Eglise de juger les assertions des sciences humaines. »

On suppose ici que le domaine des « vérités révélées », qui appartient sans conteste au jugement de l’Eglise, et le domaine des « sciences humaines » n’ont jamais entre eux aucun point de contact, aucun terrain commua. C’est inexact : telle vérité a été révélée, qui appartient en même temps, par exemple, à la philosophie, comme la survivance de l'àme, ou à la science des origines du monde et de l’homme, comme l’unité de l’espèce humaine et sa descendance d’un seul couple, vérité impliquée dans le dogme du péché originel. Aussi le concile du Vatican prévoit-il le cas d’une contradiction apparente entre la foi et la raison sur un terrain commun (session lii, chap. ij)> et condamne-t-il cette opinion : (( Les sciences humaines doivent être traitées avec une telle liberté, que leurs assertions, même quand elles contredirent la doctrine révélée, peuvent être retenues comme vraies, et ne peuvent être proscrites par l’Eglise. » (Can. 2).

De plus, s’il est vrai que le « dépôt de la foi n ne contient, à parler strictement, que les » vérités révélées », encore fallait-il, pour la bonne garde de ce dépôt, que l’Eglise put protéger par ses explications authentiques et ses jugements infaillibles d’autres vérités, tellement liées de leur nature avec les vérités révélées, que la négation des unes entraîne la négation des autres (Cf. L. Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, Paris, 2' éd., 19 13, p. 38 et suiv.). Des vérités si étroitement liées à la révélation, vous n’en rencontrerez pas dans certaines sciences, comme les mathématiques, mais bien dans certaines autres, comme la philosophie. Quand l’Eglise protège une vérité de ce genre et condamne l’erreur opposée, elle n’entre pas elle-même nécessairement dans la discussion scientifique, mais partant des principes supérieurs de la révélation, elle voit que telle conclusion doit être erronée ; de même qu’un observateur, vérifiant avec son télescope la région du ciel où, à la suite de longs calculs, un mathématicien avait supposé la présence d’un astre, lui dit : Il doit y avoir erreur dans vos calculs ou dans votre point de départ : l’astre n’est pas là. Direction toute négative, qui ne supplante ni ne supplée dans le savant dirigé « ses principes propres ni ses méthodes particulières, et lui reconnaît une juste liberté », tout en jugeant parfois telle ou telle de ses assertions (Vatican, loc. cit.).

2° Genèse des définitions de l’Eglise. — Prop. 6 : a Bans la définition des wérités. I’Ecclesia discbns et l’EccLBsiA DoCENS collaborent de telle façon qu’il ne reste à celle-ci qu'à sanctionner les opinions communes de celle-là. »

Il est vrai que VEcclesia docens (Concile œcuménique, ou Pape seul), pour définir une vérité controversée, attend que la lumière soit suffisamment faite parle travail privé de l’t'cclesia discens, qui renferme les exégètes, les théologiens, les canonistes, tous ceux qui cultivent la science sacrée et ses annexes. Dieu n’a pas promis de nouvelles révélations aux chefs de la hiérarchie, ni ne leur a donné la science

infuse ; il veut qu’ils emploient le travail humain pour discerner ce qui est contenu dans le dépôt de la foi, et ce qui lui est connexe, et quelles opinions lui sont vraiment opposées. L’Eglise laisse travailler ses pionniers, laisse mûrir les questions partiellement nouvelles, et ne se presse pas de définir..u moyen âge, les grandes universités, comme celle de Paris, centralisaient ce travail préparatoire, examinaient et jugeaient provisoirement les doctrines nouvelles. Plusieurs erreurs tombaient ainsi, sans qu’ensuite il fiit besoin d’une définition de l’Eglise.

Mais il ne faut pas, avec la proposilion condamnée, 1°) réduire l’Eglise enseignante à n'être qu’un simple appareil enregistreur des conclusions du travail privé. Le Pape et les évêques ont leur activité propre ; ils peuvent consulter directement les sources premières de la foi ; lorsqu’ils discutent en concile, ou qu’ils prc[)arenf leur définition, ils peuvent dépasser le travail privé qui a précédé sur la question : d’autant qu’ils ont, je ne dis pas de nouvelles révélations, mais une assistance spéciale de l’Esprit saint, qui non seulement empêche toute définition erronée (résultat négatif), mais dirige positivement leurs travaux, applique leurs esprits à mieux saisir et à mieux exprimer. — (Voir Palmibri, De Rom. Pontifice, thèse xxv)

2°) La proposition condamnée ne laisse intervenir l’Eglise qui définit, que lorsque l’Eglise qui ne définit pas est arrivée aune entente, à une « opinion commune » ; erreur très grave, qui en partie inutiliserait les définitions. Leur utilité principale, en effet, consiste précisément à terminer les controverses qtii partagent les membres de l’Eglise eux-mêmes, et qui, se multipliant peu à peu, obscurciraient de leurs doutes la plupart des vérités révélées, s’il n’y avait, comme remède à ce mal, un juge des controverses, capable de ramener l’imité dans les esprits. Ainsi la définition ne requiert pas un objet « communément n admis par l’ensemble des catholiques, ou par l’ensemble des savants ; elle ne demande même pas d'être portée par l’unanimité des Pères du concile. Et c’est ce qui fait sa valeur pratique : l’unanimité étant si dilTicile à obtenir pratiquement par le seul jeu ordinaire des intelligences divisées, la définition infaillible, autour de laquelle se concentreront ensuite tous les catholiques, crée de l’unanimité où il n’y en a pas encore.

3°) On insiriue que l’Eglise enseignante est tenue de sanctionner les opinions communes de l’Eglise enseignée ; autre erreur. Quand les savants catholiques, et les autres aussi, à un moment donné, pencheraient lous(moralement tous) vers une conclusion, leur opinion serait-elle pour cela absolument sûre, et s’imposerait-elle à l’Eglise enseignante ? Au point de vue naturel, non : il y a des influences, des modes, des courants d’erreur qui peuvent arriver à entraîner momentanément tous les savants vers certaines opinions erronées. Au point de vue surnaturel, non plus : l’infaillibilité a été promise directement à l’Eglise enseignante, et l’autre ne i)articipe à 1 infaillibilité qu’indirectement, comme écho de cet enseignement. Comment donc imposerait-elle à l’Eglise enseignante ses décisions ? Le modernisme renverse les rôles.

Parfois, lorsqu'à VEcclesia docens ilopposeVEcclesia discens, il entend par la seconde, non pas les spécialistes de la science sacrée dans leurs travaux privés, mais les pieux fidèles qui, en dehors de la science, vivent leur foi, et par cette expérience intime développent leurs idées chrétiennes. En ce sens, vouloir que VEcclesia docens, dans ses définitions, ne fasse que sanctionner les idées courantes de VEcclesia discens, ce serait établir un piétisme qui