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MITHRA (LA RELIGION DE)

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IV. Morale mithriaque. — Faul-il parler d’une morale mithriaque ? Oui sans doute, si par là on entend seulement aflirmer l’existence de certaines tendances i>ratiques, proposées par la secte à ses initiés, et qui ont dû communiquer un puissant ressort à ce culte de soldats. Mais il semble qu’on en ait dit tour à tour trop de mal et trop de bien.

Nous nous garderons d’accueillir sans preuves les insinuations malveillantes lancées dans l’ardeur du combat par tel apologiste chrétien : non seulement il y aurait injustice à admettre sur de vagues rumeurs que l’ombre des mithréums recelait d’abominables mystères, mais le silence d’un ennemi tel que Tbrtullien, qui dénonce dans le niithriacisme le plagiat diabolique des rites cbrétiens sans incriminer ses mœurs, témoigne plutôt en sa faveur. Si le païen Lampuidb rapporte avec horreur que Commode souilla les mystères de Milhra par un homicide réel (Comniorfe.ix : Sacra mithriaca homicidio vero polluit), c’est donc que les meurtres rituels y étaient d’ordinaire Uctil’s, et que ce caprice d’un tyran constitua, aux yeux des initiés, une anomalie monstrueuse. En somme, nous ne relevons dans les souvenirs laissés parla religion mithriaque rien qui nous la désigne particulièrement comme une école d’immoralité. On lui a même fait honneur de certaines tendances ascétiques, probablement imaginaires : quelques-uns de ses adeptes se seraient voués à la virginité ou à la continence. Cette opinion ne repose que sur une simple méprise. Fùt-elle mieux fondée, elle prouverait seulement que de tels exemples se rencontraient à l'état d’exception parmi les adorateurs de Mithra. comme parmi ceux d’Isis, de Vcsia et autres divinités. Elle accuserait nettement ces aspirations vers la pureté morale, qui se manifestent, à la même époque, dans plus d’une secte orientale.

L’idée qu’une partie des sectaleurs de Milhra se vouaient à hi virginité ou à la continence, procède uniquement de ce passage de Tertullien, De præscripUone, XL : Sequelur a que intellectus interprctetur eorum quae ad hæreses faciant ? A diabolo scilicet, cujus sunt parles inteiverlendi verilatcm, qui ipsas quoque res sacramentorum divinorum idolorum uiysleriis aemulatur. Tingil et ipse quosdam, utique credentes et fidèles « uos : expositionem delictorum de lavacro repromittit ; et si adhuc memini. Milhra signât illic in frontibus milites sucs ; célébrât et panis oblationem, et imaginem resurrectionis inducit, et sub gladio redirait coronam. Quid ? quod et summum pontificem unîus nupiiis statutl ? Habet et l’irgines, habel et continentes. Ceterum si Numæ Pompilii superstitiones revolvanuis, si sacerdotalia ofEcia, insignia et privilégia, si sacrificalia minisleiia et instrumenta et vasa ipsorum sacrificiorum ac piaculorum et volorum curiositates consideremus, nonne manifeste diabolus moiositatem illam iudaicæ legis imilatus est ? Qui, etc. — Voir, sur ce passage, Cumont. Textes et monuments, t. I, ].. 338 sq. ; cl article Milhra, p. 1949 : o Tertullien parle i-ncore de virgines et de continentes, ce qui semble impliquer l’existence d’une sorte de monachisme mithriaque. n — Il me semble que le texte doit être examiné de plus près. Tertullien énumère les contrefaçons diaboliques des riles ehreliens, et en particulier celles que pratique la secte de Mithra. Ces mots : Signât illic in frontibus milites suos ; célébrât et panis oblationem et imaginem rexurreelionis inducit et sub gladio rcdimil coronam, oui pour sujet Mithra, si tant est qu’il faille lire Mithra au nominatif, avec Rigault et Œhler, et non : si adhuc memini Miihrae, avec Beatus Rhenanus et autres. Mithræ est la leçon de trois mss., parmi lesquels deux ont une valeur hors ligne : V Agobardinus, du ix » siècle, et le Seletstadiensis, du xi'. Le dernier éditeur du traité De præscript’one y est revenu fort sagement. [Tertulliani liber de præscriptione hacreiicorum : edidii G. Rausche.x, Bonnae, 1906). Quoi qu’il en soit, les mots suivants ne renferment aucun sujet exprimé : Quid ? quod et summum pontificem unius nuptiia statuit ? Habet et virgines^ habet et

continentes. Kaut-il encore les rapporter à Mithra ? C’est fort douteux, d’autant qu’ils expriment une pensée qui se retrouve plusieurs fois chez Tertullien sans nulle allusion à Mithra. En particulier, l’expression summus ponlifex, qui ne répond à aucune réalité connue dans la secte mithriaque, aurait du éveiller la défiance. On lit, I .id uxorem, vu : Sacerdotium viduitatis et celebratum est apud nationes, pro diaboli scilicet aemulatione. Hegem sæculi, poulifîcem maximum, rursus nubere nefas est ; De eihortatione castitatis, ui : Flaminica nonnisi univira est, quæ et flaminis lex est. Nam prior cum ipsi ponfifici maximn iterare matrimoiiium non licel, utique monogami gloria est ; cum autem Dei sacramenlaSatanas affectât, provocatio est nostra, immo sutiusio, si pigri sumus ad conlinentiam "Duo exhibendam, quam diabolo quidam præstant, nunc virginitale, nunc viduitate perpétua ; De monogamia, ïiv II : Ponlifex maximus et flaminica nuhentsemel. Dans ces divers passages. Tertullien énumère les exemples de chasteté qu’olTraient plusieurs sacerdoces antiques ; il ne fait aucune allusion au culte de Milhra, et, selon toute apparence, c’est le flamine dial qu’il désigne par cette expression ponlifex maximus. (Voir Marqiiardt et Momm.'sfn,.^lanuel des antiquités romaines, lrad.fr., t. Xlll, p 1 1). Dans le passage du Oc præscri/)tione, les mots Quid ? quod… n’ont vraisemblablement rien à voir avec Milhra : ils se rapportent au diable, sujet logique de tout ce développement, demeuré présent à la pensée de l’auteur. Le changement de sujet gramnaatical et le retour à un sujet précédent n’ont d’ailleurs rien que de conforme aux habitudes capricieuses du style de Tertullien. — Cette discussion doit, croyons-nous, taire évanouir le fantôme d’un monachisme mithriaque. Il y avait dans diverses branches du paganisme des exemples de personnes vouées à la virginité et à la continence : mais nous n’en connaissons point dans la secte de Mithra. J'émettais ces idées en 1907 avec quelque réserve, par égard pour l’autorité très particulière de M. Cumonl. Depuis lors, j’ai eu le plaisir de recueillir son adhésion explicite. Il écrit, dan^ ifs mystères de Mithra', p. 170, n° 4 : u Un texte de Tertullien (De præscriptione hæret., 40) : Quid ? quod et summum ponti/icein in unius nuptlis statuit ? Habet et firgines, habet et continentes, noas atail conduit à admettre 1 existence d’une sorte de monachisme mithriaque, ce qui eut été d autant plus remarquable que le mérite attaché au célibat est contraire à l’esprit du zoroaslrisme. Mais M. Adliémar d’Alès, en rapprochant d’autres passages de l’apologiste, a montré [Revue pratique d’Apologétique, III, 1907, p. 20), qu il parle de sacerdoces romains (flamen diulis, vestales) et non de Mithra. Le sujet de la phrase est diabolus, non Milhra ». Dans le même sens, R. P. Lagbakge, Mélanges d’histoire religieuse, p. 113.

Mithra est législateur, et impose aux siens des préceptes, dont il promet de récompenser l’exécution en ce monde et au delà. Mentionnons le respect de la vérité, la fidélité au serment, l’horreur du mensonge personnifié dans Ahriman ; les relations fraternelles entre initiés : relations assez éloignées, semble-til, de l’amour du genre humain, et donnant plutôt l’impression d’une certaine camaraderie militaire. Puis, le culte de la pureté physique et morale : l’initié doit écarter de sa personne toute souillure ; il doit aussi respecter les éléments, tels que l’eau et le feu, et s’abstenir de les souiller. La morale mithriaque est essentiellement active, agonistique. Les victoires du soldat de Mithra sur les bas instincts de la nature sont des exploits guerriers ; elles lui assurent une gloire immortelle. Mithra juge l'âme après la mort ; s’il la trouve juste, il l’emmène avec lui, avec les esprits bienheureux, non pas dans ce royaume souterrain auquel nous ont habitués les autres cultes antiques, mais à travers les espaces éthérés, dans la lumière, jusqu’au trône de Jupiter Ormuzd ; le corps même doit revivre et boire un breuvage d’immortalité. Quant aux méchants, ils seront livrés au feu et consumes avec Ahriman.

Par la trempe énergique qu’il communiquait aux âmes, par l’attitude virile qu’il préconisait, le culte de Milhra était prédestiné à devenir avant tout un