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MIRACLE

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liltéiaire n’a pas disparu chez les modernes. U ne peut disparaître de l’Listoire, étant dans la nature de l’a'uvre.

A l'égard des anciens, et des héritiers de leur manière aux époques postérieures, il est donc équitable et prudent de ne procéder point par exclusives générales. Parmi eux nous trouverons d’aimables conteurs, d’impudents faussaires et aussi de consciencieux érudils. Il faut regarder chacun à part, pour voir le degré de conliance qu’il mérite ; il faut étudier chaque ouvrage, en particulier, pour discerner dans quelle mesure le souci de faire beau y a pu prévaloir sur celui de faire vrai.

B. — 'Le Moyen âge. — a). — Au Moyen âge, les mœurs littéraires n'étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, et à ce point de vue, il ne faut point faire difficulté d’avouer que nous sommes en progrès. Le plagiat n'était pas alors considéré comme un vol. On pillait sans scrupule les ouvrages d’aulrui, on en tirait des descriptions, des raisonnements, des discours appropriés au but ([ue l’on se proposait. Des miracles a clichés » ont passé ainsi d’une vie de saint dans une autre. Une critique d’attribution rudiræntaire permettait au genre pseudépigraphe de fleurir et de décevoir le candide lecteur. On voyait, par exemple, circuler des récits hagiographiques qui, pour acquérir autorité, se couvraient du nom des disciples ou compagnons des saints. — Mais ces fraudes naïves se laissent, la plupart du temps, aisément reconnaître. Les procédés de truquage sont simples et gauches, et notre critique moderne ne trouve pas là matière à des opérations bien compliquées. D’ailleurs, et c’est ceci surtout qui importe, ces défauts ne discréditent pus le Moyen âge dans son ensemble. Car, à côté des plagiats et des écrits pseudéjjigraphes, il existe, même dans la littérature hagiographique de cette époque, des récits parfaitement authentiques et originaux, (l’uvres de témoins qui ont cru voir des merveilles et qui les racontent avec une indiscutable sincérité.

b) Ce qui est plus grave, sinon au point de vue moral, du moins au point de vue historicpie, c’est la crédulité proverbiale de nos ancêtres et leur attrait pour le merveilleux. Si vraiment les excès en ce genre furent tels et surtout aussi universels qu’on le prétend, c en est fait : tous les documents médiévaux sur le miracle demeurent frappes de suspicion. — Mais en y regardant mieux, on s’aperçoit que cette dépréciation globale implique une généralisation et un grossissement tout à fait illégitimes. L’enseignement de l’Eglise, généralement accepté au Moyen âge, a toujours placé, dans la vie 'des saints, les miracles au second plan. On sent l’influence de cet esprit parmi les hagiographes de cette époque. Il s’en trouve qui réservent leur attention et leur faveur à la sainteté plutôt qu’aux prodiges On en rencontre qui se bornent à décrire les vertus et l’activité extérieure de leurs héros, sans leur mettre avi front l’auréole de thaumaturge. On entend des narrateurs de miracles, des mirabdiarii, — qui doivent être apparemment les plus épris de merveilleux, — rabaisser les miracles physiques au-dessous des merveilles intérieures de la grâce. Il y a plus. La tendance critique est un instinct trop profond de notre esprit, pour qu’on puisse vraisemblablement s’attendre à le voir subir nulle part une éclipse totale. L’homme s’est toujours mélié de la parole de l’homme. Aussi y a-t-il même au Moyen âge, même parmi les prêtres et les moines, des gens qui ne se soucient aucunement d'être dupes, des « destructeurs de légendes », des écrivains qui dévoilent le faux merveilleux, qui

1. Cf. Introduction, p. 340 à 316.

s’en indignent ou s’en gaussent '. Donc, encore ici. il est prudent de ne se prononcer que sur les cas individuels. Pour être indigne de créance, il ne suffit pas qu’un auteur soit du Moyen âge.

C. — L’Orient. — Les mêmes remarques seraient à répéter à propos de la psychologie de « l’oriental », dessinée par llenan. Insouciance complète à l'égard de la vérité matérielle, incapacité d’adopter, à propos des faits, un point de vue qui ne soit pas celui de l’art, de l’intérêt ou de la passion : tels seraient les traits de tout narrateur oriental. Il y aurait là comme un défaut congénital à une race, une tare incurable. Et ces généralités servent à étayer des conclusions très particulières contre la Bible et les Evangiles. — Cependant l’Orient, et spécialement cet Orient dont parle Renan, n’a pas produit que des légendes. Il y a, aussi bien parmi les écrits canoniques qu’en dehors d’eux, des ouvrages qu’aucun critique, si peu croyant qu’il soit, ne se permettrait de négliger. Le juif Flavius Josêplie, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, est un véritable historien. Les auteurs des Livres des Rois ou du premier livre des Macchabées sont des annalistes sérieux, qui prétendent nous renseignerexactementsur les faits, et non des « agadistes » indifférents à la vérité et à l’erreur. Saint Marc est le type du narrateur sans artifice, convaincu et candide. Saint Luc est un écrivain consciencieux et préoccupé de critique. Tout cela n’est pas niable. On rencontre, en Orient comme ailleurs, des sources historiques dignes de foi, et la preuve en est que, sans croire aucunement au miracle, on y puise largement et, avec confiance, pour écrire des Vies de Jésus ou des Histoires du peuple d’Israël.

D. — Les non-professionnels. — Une culture spéciale est-elle nécessaire pour constater le miracle ? Nous avons entendu Voltaire et Renan requérir, à cette fin, la formation de commissions scientifiques. Et de nos jours, des médecins incroyants, qui discutent les guérisons de Lourdes, récusent en bloc tous les témoignages qui n'émanent pas de leurs confrères. Ce procédé est évidemment très efficace pour se débarrasser du miracle. Mais il n’a aucun droit à prendre rang parmi ceux qu’inspire une critique impartiale. Pourquoi refuser toute valeur au témoignage d’un homme de sens et d’esprit sains, qui parle d'événements qui se sont étalés devant lui '.'La formation médicale peut affiner l’observation, diriger l’attention dans certaines directions importantes ; mais est ce à dire que tout échappe à quiconque ne l’a pas reçue ? qu’un phénomène extérieur, simple et frappant, une hémorrhagie, une suppuration, etc., requière, pour être perçu, des connaissances scientifiques ? Le savant sera seul à même d’interpréter, de façon complète, les phénomènes, mais non pas de les constater. D’ailleurs, le diagnostic des médecins repose pour moitié sur les renseignements recueillis près du malade ou de son entourage : ils avouent j)ar là même que les observations faites |)ar des profanes ont une valeur à leurs yeux. L’un d’eux l’a dit, sous une forme humoristique, à propos des controverses récentes : « Il n’est pas besoin d'être tailleur pour voir qu’un habit a des trous, n — Sans doute un phénomène extraordinaire demande un contrôle plus rigoureux, mais ceci ne veut pas dire qu’un spécialiste soit seul capable, ni même toujours capable de l’exercer. De même qu’un médecin, en dépit de ses aptitudes, peut être distrait, regarder superficiellement ou de travers, et mal noter ce qu’il perçoit, de même un profane peut mettre en œuvre un coup d'œil sagace et une attention scrupuleuse. Il s’agit uniquement de savoir si le phénomène a été vu et décrit tel