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MIRACLE

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§ II. — Critique du témoignage, ou critique historique proprement dite.

Une fois connus la teneur, le sens exact, l’auteur et la date d’un document, le moment est venu d’en tirer parti au point de vue historique. Quelle est la valeur du témoignage qu’il nous apporte ? Pour que ce témoignage puisse être reçu, certaines conditions sont requises, les unes relatives aux faits attestés, les autres à la personne des témoins, e i* Conditions relatives aux faits. — a. Suivant

que les faits sont d’ordre public ou privé, connaissables par perception ou par conjecture, accessibles à tous ou à quelques-uns, d’un contrôle aisé ou diflicile, on les accueillera avec plus ou moins de précautions. Des prodiges étales au grand jour seront moins suspects que ceux qui se seront enveloppés de mystère.

h. Le miracle, fait extraordinaire et qui peut se produire quand on ne l’attend pas, n’est point, de ce chef, comme l’a prétendu M. E. Le Roy, essentiellement inobservable. En effet, un spectateur peut voir et très bien voir un événement qui le prend à l’improviste. La surprise n’a point que des effets funestes : elle excite puissamment l’attention, et il arrive qu’elle aiguise les facultés d’observation au lieu de les émousser. D’ailleurs, en certains lieux et autour de certaines personnes, le miracle pullule. Ces conjonctures, exceptionnelles à la vérité, maisdont il se rencontre des cas à presque toutes les époques, en favorisent singulièrement l’observation. — Le miracle n’est pas non plus, comme le soutient encore le même auteur, un phénomène essentiellement a fugitif », quelque chose comme un insaisissable éclair. Car, la plupart du temps, on peut observer à loisir l'état des choses avant et après, par exemple lorsqu’il s’agit d’un os brisé puis ressoudé, d’une plaie suppurante puis cicatrisée, etc.

c. Pour être suffisamment contrôlé, est-il nécessaire ([ue le miracle se comporte comme un fait de laboratoire, productible et réitérable à volonté, dans les circonstances choisies par l’expérimentateur ? Voltaire et Renan ont exprimé ces exigences. La '( commission de physiologistes, de physiciens, de chimisles, etc. », imaginée par le second, est demeurée célèbre. D’autres protestent hautement qu’ils ne croiront à rien, à moins que certains procédés de contrôle, qui ne sont pas les seuls possibles, — par exemple la radiographie, s’il s’agit d’une fracture, — aient été employés.

Ces exigences sont déraisonnables. Pourquoi requérir tels moyens d’observation, si d’autres suffisent ? Une fracture peut être constatée de la façon la plus certaine, sans avoir étéradiographiée. — D’autre part, il existe des certitudes d’observation pure, non moins fermes que les certitudes d’expérimentation. L’astronomie, qui est une science fort solide et fort exacte, en contient un grand nombre, car les astres ne descendent point dans les laboratoires pour se laisser manier et gouverner par les hommes. Bien plus, il y a dans la nature nombre de phénomènes rares, singuliers, erratiques, que l’on est réduit à enregistrer là, où, et quand ils se produisent. Ils échappent non seulement à notre action, mais même à nos prévisions. Matériaux excellents de la science future, ils ne laissent point, pour le moment, deviner leurs lois ; ils ne se réitèrent qu'à des intervalles longs et irréguliers. Les rejettera-t-on pour cela ? On le devrait, si on leur appliquait les mêmes exigences qu’au miracle. Une scène historique ne se passe qu’une fois : deraandera-t-on qu’elle se répèle à volonté pour y croire ? Nous devons prendre les faits tels qu’ils sont, avec les circonstances concrètes qui

les revêtent, et non leur imposer l’uniforme officiel qu’ils devront endosser, sous peine de n'être pas reçus. Nous n’avons pas à leur fournir un programme, mais à nous conformer au leur. Cela seul est scientiûque ; et les exigences hautaines de séances d’amphithéâtre et de commissions académiques, imaginées par Voltaire ou Renan, le sont fort peu. Selon une formule célèbre, l’esprit scientifique consiste dans la « soumission aux faits ». Puis, si c’est vraiment un agent libre qui produit le merveilleux, qui vous dit qu’il consentira à en passer par tous vos caprices, qu’il trouvera bon, utile, convenable à sa digiiitéet à ses tins, d’agir ou de s’abstenir d’agir, précisément dans les conditions que vous aurez imaginées ? Et si cet agent est un Dieu inlini, digne de respects souverains, si c’est vraiment Celui dont on dit qu’il résiste aux superbes et qu’il donne sa grâce aux humbles, pensez-vous qu’une telle attitude le décide à se manifester ? Si vous avez, dans ce qui est mis sous vos yeux, tout ce qu’il vous faut pour être convaincu, à condition que vous consentiez à l'étudier, pourquoi voulez-vous qu’on vous donne davantage ?

2 Conditions relatives aux personnes. — Toutes les difficultés se résument ici en un certain nombre d’exceptions que l’on oppose aux attestations du merveilleux. Certaines catégories de personnes, qui embrassent la majeure partie, sinon la totalité des témoins possibles, sont exclues tout d’abord, comme suspectes. Quelques généralités sur le manque de critique des anciens, sur le mensonge congénital à certaines races, sur l’esprit passionné des croyants, sur l’incompétence du vulgaire ou la trouble psychologie des foules, etc., suffisent à établir une prévention d’ensemble contre les témoignages favorables au merveilleux. On s’en débarrasse ainsi à bon compte. Il est absolument nécessaire d’y regarder d’un peu .plus près.

A. — Les Mnciens. — L’idée d’une « permission de mentir » sérieusement accordée aux auteurs dans l’antiquité, est tout à fait fantaisiste : elle repose sur une fausse interprétation de textes'. On n’est pas plus près de l’exactitufle en prêtant aux « anciens » indistinctement cette conception que l’histoire n’est qu’une matière à développements littéraires ingénieux. Il se trouve parmi eux des écrivains que la vérité objective de ce qu’ils racontent intéresse indiscutablement : Thucydide et Tacite par exemple. La formule célèbre, si souvent citée, où se résument les devoirs de conscience de l’historien : « ne quid falsi audeat, ne tjuid veri non aiideal », est de Cicéron.

Ce qu’il faut concéder, c’est que des deux moments du travail historique, recherche des documents et composition, les anciens (certains anciens du moins, car ce n’est même pas vrai de tous) ont surtout décrit et peut-être apprécié le second. D’instinct, les plus intelligents et les plus sincères d’entre eux accomplissaient un labeur critique. Mais il est évident qu’ils n’en avaient point approfondi la méthode, comme on l’a fait depuis trois ou quatre siècles. Ils n’avaient point pris possession, de façon réfléchie et analytique, des règles de cette science délicate et compliquée, dont la théorie est toute récente. Ils n’en estimaient peut-être pas comme il convient l’importance et les difficultés. En revanche, le souci artistique était très développé chez eux. Cicéron nous répète que l’histoire aliesoin d'être a ornée » : ce qui ne veut pas dire qu’on doit embellir les faits, mais qu’il faut les mettre en beau style. C’est une manière de les orner sans les altérer. Du reste, le souci

1. Cf. Introduction, p. 320, note 3.