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MIRACLE

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vraisemblances concrètes qui se dessinent duns le récit, il m’est impossible d’accorder aucune faveur préjudi- eielle à ces explications défavorables. Peutêtre même le caractère des événements raiiportés, leurs connexions avec de hautes vérités et des faits certains par ailleurs, leur beauté morale, leurs résultats féconds diminuent-ils encore la probabilité antécédente du mensonge ou de l’erreur. Mais en définitive, tant que cette probabilité subsiste, la parole reste aux documents. C’est eux, et eux seuls, qui départageront les hypothèses en conflit.

Or il se rencontre, en histoire, des documents irrécusables, qui permettent d’écarter, à coup sur, la possibilité même de l’erreur et de la fravule. Je suppose que ce soit ici le cas. Uès lors la question est tranchée. Le fait est réel et c’est un miracle. Comment éviter cette conclusion ? Elle est amenée par les principes mêmes de Hume et de.Stuart Mill. Etant donné le caractère des témoignages produits, la non-exislence du fait serait un vrai prodige moral,

« un plus grand miracle « que son existence ; car

que des témoins compétents, sincères et bien informés attestent l’erreur, ce serait un phénomène purement inexplicable, disons même absurde et contradictoire.

2’cas. — Poussons l’analyse du prol)lème jusqu’au point où elle suscite un conflit. Voici des lonjonctures plus délicates pour la critique que les précédentes. J’ai aiTaire cette fois à des récits d’un merveilleux étrange. A prendre en lui-même et isolément le fait raconté, je n’y découvre aucune vraisemblance positive en faveur du surnaturel divin. C’est une merveille obscure, sans retentissements spirituels considérables, sans grande ulilité apparente, accomplie au bénèlico d’un individu ou d’un groupe restreint, pour doni’.er satisfaction à quelque pauvre désir, pour augmenter d’un rayon fugitif l’auréole de quelque saint personnage. Sans doute Oieu est infiniment bon, très capable de condescendre à exaucer les aspirations d une piété enfantine, et enfin ses desseins peuvent nous échapper. Il reste pourtant qu’a priori aucune raison positive n’apparaît pour qu’il se soit manifesté ainsi, et là plutôt que dans toute autre circonstance. Le contraire est plus probable. Par ailleurs, impossible d’accepter ici l’idée d’un surnaturel inférieur, et par exemple diabolique : le milieu moral, le caractère du thaumaturge, les résultats du fait, le voisinage d’autres merveilles authenliquenient divines, etc., s’y opposent. Nulle probabilité non plus en faveur d’une cause natui’elle inconnue, intervenant là ad nittum pour ne plus reparaître… Xon, la seule apparence fondée, c’est celle d’une pieuse invention. Il y a probabilité antécédente, vraisemblance très forte que nous sommes dans la légende. Avant de consulter les témoignages, nous nous sentons très légitimement inclinés à admettre ici l’erreur ou la fraude.

Mais voici que les documents viennent donner à ce diagnostic un éclatant démenti. C’est un coup de théâtre. Appuyé par eux de la façon la plus nette, le fait apparaît réel. Dépourvu de vraisemblance antécédente, n’ayant en sa faveur qu’une simple possibilité, il s’impose. Il n’y a jias à biaiser avec lui :

Le vroi peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

On ne décide pas de la réalité par une simple balance de probabilités. Il faut qu’un élément réel lui-même se manifeste, et que, comme un poids irrésistible, il entraîne avec lui, dans la sphère des certitudes, l’élément contesté. Ici, ce sont les témoignages qui jouent ce rôle. Le moindre atome de réalité pèse plus, à lui seul, que toutes les vraisemblances

accumulées. — Mais dans l’hypothèse ainsi révolutionnée, à qui attribuer le prodige ? Impossible de continuer maintenant à faire abstraction des vraisemblances. Un fait certifié vrai peut se passer d’être vraisemblable. Mais une explication invraisemblable ne serait pas une explication. L’infiuence causale qui produit un événement ne se constate pas comme lui. Le raisonnement va la chercher dans l’inconnu. Il la détermine, en se fondant sur son caractère plausible. Il la choisit entre plusieurs, soit à cause de sa pro- j habilité supérieure, soit du moins parce que toutes les autres apparaissent positivement improbables. Or, dans le cas qui nous occupe, une seule cause n’a pas été absolument- exclue. Nous avons noté, en laveur de l’intervention divine, quelques proliabilités fuyantes, ténues, contre-balancées par des probabilités très fortes en faveur de l’invention du récit (mais non en faveur d’une autre caicse, à supposer que le fait fût réel). Du moment donc que l’invention est exclue, l’inlcrvenlion divine reste seule admissible. Elle devient vraisemhlabte a posteriori, par le changement considérable que la réalité du fait, maintonani acquise, introduit dans les données du problème. Par conséquent, si aucun indice nouveau ne vient bouleverser l’état de la question, force nous sera de conclure humblement que nous sommes ici en présence d’un miracle inattendu et pourtant réel.

Troisième opinion ; dans la critique du merveilleux, on ne doit tenir aucun compte des notions de possible on d’impossible, mais seulement de la valeur dts témoignages. — Plusieurs apologistes du christianisme soutiennent cette opinion, qui a sa place exactement aux antipodes de celles que nous venons d examiner. Nous la jugeons exagérée. Nous estimons que la vraisemblance intrinsèque des faits est une donnée réelle et nullement fantaisiste, sur laquelle la raison et la réflexion ont prise, et que, par conséquent, elle doit entrer en ligne de compte. Nous allons le montrer en justifiant l’opinion suivante, que nous faisons nôtre.

Quatrième opinion : les notions de possible ou d’impossible, de probable ou d’improbable doivent se combiner avec 1 estimation de la valeur des témoignages.

— Pourquoi ferions-nous, en faveur du miracle, une exception à la méthode que nous suivons dans toutes les autres matières ? Les faits proposés à notre acceptation portent toujours à nos yeux un double coefficient : celui delà valeur du témoignage qui les appuie, et celui de leur possibilité ou probabilité intrinsèque. Et si l’un de ces coefTicients est faible, nous exigeons que l’autre se renforce en proportion. Une histoire banale, relatant des faits vulgaires, quotidiens, est admise sur un témoignage quelconque : il n’y a pas d’apparence qu’elle ait été inventée. Il n’en va pas de même d’une histoire très curieusc^très piquante, très surprenante : nous demandons, pour la croire, des garanties meilleures. Et enfin, il y a des histoires si extravagantes que nous ne pouvons absolument y ajouter foi. Ainsi parle le sens commun. Le sens critique ne parle pas autrement. Les historiens, les théoriciens de la méthode historique, les croyants et les incroyants, le P. de Smedt aussi bien que MM. Langlois et Seignobos, reconnaissent à l’envi la valeur du critère interne. Dès lors, comment s’y prendrait-on pour en démontrer l’illégitimité dans un sujet spécial, tel que le merveilleux ?

Ce que redoutent les apologistes, c’est que le miracle, phénomène extraordinaire, ne résiste pas à l’emploi de ce critère. Ces craintes sont tout à fait gratuites. Les jugements de possibilité et de proba.bilité ont leur place et leur utilité dans l’étude des documents relatifs au merveilleux, autant et plus qu’ailleurs.