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MIRACLE

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versatilité à les remettre en question. L’iiypollicse de l’hallucination, un peu humiliante mais si facile, ne peut être employée sans motif spécial : autrement, c’est la véracité même de nos facultés qui serait mise en question, et le problème soulevé ressortirait à la psychologie générale Si donc l’on n’a contre le merveilleux aucun parti pris d’ordre universel, il est clair que le recours à cette hypothèse ne sera légitimé que par des circonstances accidentelles concernant le sujet, le milieu, etc.

Chapitre II. Les faits attestés parle témoignage d’autrui.

La critique historique du merveilleux.

Section I. Règles générales

Tout le monde sait que des jugements psychologiques et métaphysiques sont incorporés dans les appréciations historiques. L’histoire pure n’existe pas. De là les divergences qui se produisent parfois entre historiens également bien informés. En ce qui concerne la critique du merveilleux, un problème surtout donne lieu à discussion : c’est celui du rôle que doivent jouer, dans la matière, les notions philosophiques de probable et d’improbable, de possible et d’impossible. Soit du côté des tenants du miracle, soit du côté de ses adversaires, les opinions sont loin d'être unanimes.

Première opinion : le miracle écarté au nom des notions de possible et d’impossible, fournies par les sciences expérimentales, quels que soient les témoignages qui l’attestent. — Quand « un fait obtenu par conclusion historique », affirment MM. Langlois et Seignobos, est <c en contradiction avec une loi scientilique, … la solution du conilit est évidente » : c’est l’histoire qui doit céder : le fait doit être écarté. — Cette opinion radicale est inadmissible. Les sciences d’observation se contentent de dire ce qui est, et ne fournissent aucune donnée sur le possible et l’impossible : nous l’avons déuiontré à propos du déterminisme inductif. Les questions de possibilité doivent donc être débattues à un autre tribunal que le leur : celui de la philosophie. Et c’est ce qu’avouent, avec une singulière inconscience, MM. Langlois et Seignobos. Du reste, le « conflit » signalé est purement imaginaire. L’histoire qui enregistrerait un fait merveilleux ne contredirait nullement les sciences. Celles-ci nous donnent la « loi », c’est-à-dire la formule de ce qui arrive communément. Un fait merveilleux isolé, une exception produite par l’interférence d’une cause ordinairement absente, ne détruirait pas cette loi. Et enfin il serait tout à fait déraisonnable, même au point de vue scientifique, de poser en règle générale qu’un fait n’est admissible qu’autant qu’il est conforme aux faits antérieurement connus. Ce serait supposer qu’il n’y aura jamais de faits nouveaux, et mesurer l’extension de l’idée de possible à celle de la science actuelle. L’application de ce système a donné lieu aux résultats les plus regrettables. Des faits munis d’excellentes attestations (aérolithes, stigmates, etc.) ont été jadis exclus de l’histoire comme impossibles. MM. Langlois et Seignobos, qui en conviennent, sont obligés d’avouer que le uiotif de cette exclusion fut tout bonnement l’ignorance.

Deuxième opinion : Le miracle écarté au nom des notions de probable et d’improbable. — Une inexactitude, innocente ou voulue, dans le témoignage hu 1. Ci-dessus, col. 524 sq.

main, est toujours infiniment plus probable qu’une exception surnaturelle aux lois de l’univers. Donc il est sage, en toute occurrence, de s’arrêter plutôt à la première explication qu'à la seconde. Entre deux miracles, il faut choisir le moindre. Ainsi raisonnent Hume et Stuarl Mill. Celte opinion est spécieuse, parce qu’elle utilise des principes indiscutables dans leur généralité : son seul tort est de les y laisser.

A prendre les événements en général, et dans l’ensemble, il est sur que le miracle, excei)tion rare, intervention surnaturelle reiiuérant de graves motifs, est beaucoup moins vraisemblable a priori que l’erreur ou le mensonge, événements banaux. De ce point de vue, on aura raison de s’attendre à trouver, dans le domaine du merveilleux, plus de fables que de léalilés. Mais ceci ne donne la solution d’aucun cas particulier.

De même, on établit une excellente règle générale de critique en disant que, parmi plusieurs explications possibles, on doit choisir la plus vraisemblable,

« le moindre miracle ». Mais après cela, il faut aborder les faits, un par un, et trouver cette « explication la plus vraisemblable » pour chacun d’eux.

Alors l’aspect de la question se mclaniorphose complètement. Ce qui est le plus fréquent dans l’ensemble, le plus probable par rapport à la totalité des cas, n’est pas le plus i-raisemhlable pour chaque cas en particulier. Ceci se vérifie dans tous lesdomaines, dans les jilus éloignés de la critique du merveilleux. Tout le monde sait que des phénomènes rares, singuliers, anormaux, monstrueux, — par exemple certaines perversions morales, — apparaissent, après enquête, comme seuls vraisemblables en certaines circonstances données On ne fait point dilliculté de les admettre, quand des attestations sérieuses s’en portent garant. Pourtant, a priori et au regard de l’ensemble, ils constituaient l’hypothèse la moins vraisemblable. Le principe critique invoqué laisse donc, s’il est seul, toutes les questions en suspens. On y ajoute quelque chose, et beaucoup, quand on pose subrepticement l'équivalence du « vraisemblable » et du « naturel » : ces mots-là ne sont nullement synonymes, et c’est faire une grosse pétition de principe que de les supposer tels.

Appliquons donc aux faits les règles formulées *. Les espèces qui peuvent se présenter se réduisent à deux.

i""" cas. — Une histoire merveilleuse se trouve relatée dans un document. J’en examine la structure interne. Je conclus que le surnaturel pourrait être là ; des indices nombreux convergent dans ce sens. Voici donc une probabilité qui se forme, une vraisemblance qui se concrétise autour de l'événement rapporté. Vis-à-vis d’elle, il est vrai, j’en aperçois une autre : celle de l’erreur ou du mensonge. A ce moment de la recherche, ces explications restent encore probables. Mais pourquoi seraient-elles censées plus probables"} Du point de vie philosophique que j’ai adopté'-, et après avoir constaté les

1. L’alleinative dont il est question doit étie envisagée avec une précision rîgoui’euse. Il s'îigit de choisir entre deux liypothèses considéi-ées comme possibles, et entre elles seulement, arant d’afnlr pris parti sur la réalité du fait matériel. En efïet : 1 » le miracle est expressément supposé possible, el c’est en quoi cette seconde opinion se dislingue de In première ; faute d’inchire la possiijililé du miracle, l’alternative n’aurait plus de sens, un de ses termes se trouvant aboli. ::" l^es deux explications en présence sont exclusivement ; d’une part, le miracle, de l’autre, î'errenr ou le menson^'e, — et non point, par exemple, la cause naturelle inconnue. 3- L’appréciation des vraisemblances pï'écède le jugement d’existence : autrement elle perdrait sa raison d'être.

2. Cf. ci-dessus, Partie I, chapitre IV, section 2.