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MIRACLE

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Davantage, si l’on réfléchit à tout ce que la science el l’amour inlinis de Dieu peuvent nous découvrir d’inattendu, à l’ampleur des courants de vérité et de grâce qu’il est capable de déverser sur nous, on conçoit qu’une révélation puisse être autre chose que l’explicitation de nos besoins intérieurs, qu’elle ne soit pas niesuri’e et, pour ainsi dire, dessinée d’avance par eux, qu’elle puisse les déconcerter autant qu’elle les comblera. Le mystère attire parfois ; mais aussi il choque et rebute. Il ne saurait donc, en aucun cas, être sa preuve à lui-même. Un signe sûr et d’interprétation facile’doit l’accompagner, pour montrer aux plus simples comme aux plus doctes que c’est Dieu qui le présente et qu’il faut absolument s’incliner. Encore une fois, en dehors du miracle au sens strict, c’est-à-dire du miracle physique extérieur ou de l’un de ses équivalents, on se demande quel signe pourrait remplir ce rôle-.

Avant donc toute constatation positive du miracle, on est amené à en admettre la vraisemblance. Une lin religieuse élevée ou, selon l’expression de Newman,

« un grand objet moral » apparaît comme un

motif suffisant à légitimer une interruption de l’ordre physique. Et ce motif s’adajite sans heurt à ce que l’expérience naturelle nous fait connaître des intentions de Dieu sur le perfectionnemeni spirituel de l’humanité ; il cadre avec ce que la raison nous apprend du but suprême pour lequel nos âmes ont été semées dans cet univers visible.

Conclusion. — Sx donc nous concluons quelque jour à la réalité du miracle, ce ne sera pas uniquement parce que no)is nous serons trouvés à court d’explications physiques. Nous ne ferons pas appel à la causalité divine en désespoir de cause. Dieu ne sera pas pour nous l’inconnue, Vx que l’on suppose derrière les événements dont la raison échaiipe, le nom que l’on donne à une difficulté irrésolue. Le surnaturel ne sera pas le fonds de réserve ovi l’on puise des explications, invérifiables mais commodes,

1. Quelles qup soient les discussions théoriques sur le miracle, il est certain qu’en pratique et chez la moyenne des hommes, ce signe amène une conclusion rapide et persuasive. Cf. ci-dessuB, col. 5^i’2.

2. Cl. ci-dessiis, col. 509. Je parle d’équivalence exacte. On ne peut conclure rigoureusement à une révélation divine proprement dite, en partant d’un miracle par à peu près et au sens large, d’une action providentielle quelconque.

Quelques-uns cependant opposent à l’argument du miracle le motif de crédibilité tiré du fait de l’Eglise. Prévenons ? t ce sujet une confusion d’idées.

L’Eglise peut être considérée sous deux aspects. D’abord, comme constituant elle-même an « fait divin », c’est-itdire une réalité que les forces humaines ou naturelles ne suffisent pas à expliquer et qui requiert une intervention divine extraordinaire, bref, comme un véritable miraclo social. En ce sens, elle est, dans son ordre, un fait de même espèce que le miracle physique dans le sien. Elle lui é(piivaut rigoureusement ; elle exhibe le même titre marqué du même sceau.

L’Eglise peut auSî ! être considérée sous un aspect tout natui-el, abstraction faite de ses causes et de ce qui l’explique en dernière analyse. Elle apparaît alors comme la .plus vénérable et la plus bienfaisante institution de l’huimanité, comme une incomparable éducatrice morale, etc., [et donc comme éminemment digne de foi. Dans ce cas, elle [n’est <[u’un témoin du surnaturel, et non le surnaturel lui-même. .lors. si on ajoute foi à ce qu’elle dit, on croit fl’abord, sur son témoignaj^e, î* une intervention divine extr : iordinaire, puis,.’i cause de cette intervention divine, -lu caractère divin de la doctrine proposée.

En résumé, pour accepter une doctrine ct/time réfélée^ il faut accepter d’abortl U fait de la rrv^latuiti ; or ce fait implique toujours quelque espèce de miracle. Dire : <i Dieu a révélé », cela revient à dire : ’( Dieu a montré, par des lignes surnaturels, qu’une certaine doctrine était sienne. »

pour les cas embarrassants, la région obscure dont on ne sait rien et dont on peut, par conséquent, tout supposer. Un tel recours au surnaturel ne serait pas raisonnable. Cette fuite vers les ténèbres, ce « saut dans le noir » légitimerait, pour le coup, les railleries des incrédules, les reproches de faiblesse d’esprit ou d’excentricité.

Le miraculeux ne sera pas non plus pour nous le résidu toujours provisoire que la science laisse après elle, la tenu incuf ; nila dont les limites diminuent à mesure que les explorations se poursuivent, l’Ilot dont les rivages sont incessamment rongés par le flot montant des découvertes, el dont on peut prévoir qu’il finira un jour par disparaître. Non, ces caractères tout négatifs ne sont point, à nos yeux, ceux du miracle. Nous sommes amenés à l’admettre comme possible et vraisemblable par des raisons positives, d’ordre philosophique, qui resteront les mêmes, quels que soient les progrès futurs de la science. Il sera éternellement vrai qu’il y a un Dieu et que ce Dieu peut intervenir dans son œuvre, que des motifs se présentent capables de légitimer son intervention ; et qu’enfin tout ceci s’accorde avec les indices du dessein moral que nous relevons dans le monde. Les miracles ne se présentent pas à nous

« comme des accidents sans lien et sans signification, 

mais comme tenant leur place dans le vaste plan du gouvernement divin, comme complétant un système moral [déjà connu par ailleurs], comme reliant l’homme à son créateur et comme prétendant lui fournir les moyens de s’assurer le bonheur dans un autre monde éternel »’.

111° Comment se ferait l’application des principes posés aux cas concrets ?

1° Les conditions hrquises pour L’ATTmBUTioN d’un PRODIGB A Dieu. — D’après ce qui précède, ce ne sera pas un phénomène extraordinaire quelconque qui nous fera penser au surnaturel. Et tout ce que l’on dit parfois sur le caractère « merveilleux » des découvertes scientifiques, sur leurs analogies avec le miracle, est ici complètement hors de propos. Il n’y a aucune apparence que les propriétés singulières du radium soient dues à une intervention spéciale delà divinité ; et même les gens les moins instruits raisonneraient mal s’ils prenaient pour des miracles le phonographe ou le téléphone. En effet, ces phénomènes sont d’abord constants, semblables à eux-mêmes, et sans savoir les expliquer, on peut connaître les conditions fixes de leur apparition ou même le moyen de les obtenir. Devant eux, on est en présence d’une loi, inconnue peut-être, mais régulière. De plus, rien dans leurs entours ne peut faire soupçonner quelque intention religieuse ou morale, pour laquelle Dieules aurait produits^.

Les seuls phénomènes extraordinaires qui puissent être candidats au titre de miracle sont donc, en premier lieu, des phénomènes d’exception ; des événements rpii portent la marque de la liberté et qui aient au moins l’apparence d’avoir pour origine les intentions d’une volonté maîtresse de ses fins et de ses moments. En outre, ceux-là seuls seront susceptil ^les de s’encadrer dans le plan du gouvernement de l’univers qui fourniront l’indice que Dieu se sert d’eux comme truchement. Non seulement rien en eux ne devra contredire la droite raison ou cl)oquer le sens moral bien développé, mais encore ils ne devront point être des phénomènes neutres et muets qui, par la façon dont ils se produisent, ne disent rien à l’àme préoccupée des problèmes religieux. Un

1, Newman : op. cit., p. 22.

2. Cf. ci-dessus col. 519. c et 52% »,