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MIRACLE

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lui-même pour un molif suffisant de créance, si l’on ne « complique quelfjue peu » (Le R03) la ilémonstralion qui s’y appuie, par exemple en étoffant les faits de quelque symbolisme, ils restent sans rapport avec la vérité qu’ils sont censés attester. Emi)lo}'er ainsi « l’argument du miracle, c’est faire comme un mathématicien qui dirait à ses élèves : « Voici renoncé d’un théorème ; vous n'êtes pas assez intelligents pour en saisir la démonstration : mais je vais vovis prouver qu’il est vrai en opérant sous vos veux une série de tours merveilleux qui vous montreront combien je suis fort. » (Le Uoy.)

« ) Le reproche de simplicité trop grande, adressé à

nue démonstration du fait de la révélation, est pour le moins étrange. Si Dieu veut parler pour tous, il est nécessaire qu’il parle simplement. S’il agit pour riiunianité entière, et non seulement pour les « esprits capables de réllexion », il faut que son œuvre soit populaire, que les simples soient capables de l’interpréter par des raisonnements peucompliqués. Si Dieu veut être compris de l’homme, il doit lui parler un langage « anthropomorphique ». Et parlant en général, on peut dire que la Bonté intinie se doit à elle-même do mettre à la portée de tovis les vérités qui sauvent. Il ne faut pas que les plus mystérieuses même — telles que l’action divine dans le monde — soient des vérités réservées, à l’usage exclusif des gens distingués, des âmes exquises et profondes. Les humbles, les grossiers même, doivent être capables de s’en faire, au moyeu par exemple de ces comparaisons si dédaignées, une idée qui ne soit pas déformante.

h) Quant à la nature du raisonnement critiqué, elle apparaîtra mieux quand nous le reprendrons pour notre compte. Disons seulement qu’il n’y a aucune parité entre le boniment de foire ima.giné par M. Le Roy et l’u argument du miracle ». En elTet, sans niêiue qu il soit un symbole ou une parabole en action, le miracle doit avoir des caractères moraux. L’argument le suppose. Car, pour être attribuable à Dieu, il faut que le prodige, par ses caractères intrinsèques, par la manière dont il s’accomplit, se trouve en harmonie avec notre sens moral. Il en va de mciue de la doctrine à laquelle le prodige rend témoignage. Celle-ci peut dépasser nos aspirations les meilleures, mais non les contredire, être au delà d’elles, mais dans la même direction.

En outre, le miracle divin enferme une signification qui lui est intérieure et essentielle, indépendamment des sens allégoriques qui peuvent lui être surajoutés. G est elle que dégage le raisonnement critiqué par MM. Blondel et Le Roy. Le miracle annonce que Dieu intervient, que Dieu parle et que dès lors l homme doit écouter à genoux. Il porte, pour ainsi dire, les marques de la majesté suprême et de la souveraine puissance. Il est la voix de Dieu, et il prend par là un caractère auguste. Cette signification religieuse est inséparable de lui et le relie intrinsèquement, non pas au contenu, mais à la forme du message qu’il atteste. Dans l’exemple caricatural que .M. Le Roy assimile au raisonnement qu’il combat, les preuves n’ont aucun rapport avec la conclusion : un tour de bateleur ne prouve pas la science mathématique. Dans le raisonnement, même le plus o extrinséciste » sur le miracle, les termes sont du même ordre : il y a une connexion essentielle entre la puissance et la véracité divine ; ici, l’on va de Dieu à Dieu, on conclut de Dieu manifesté par une œuvre surnaturelle à Dieu auteur d’une révélation'.

1. Si l’on prétendait opposera l’argument du mii-acle extérieur, considéré comme trop grossier, une autre démonstration apologétique plus délicate, fondée sur les

7" Le miracle, étant lui-même un événement douteux, ne saurait f ; iirantir arec certitude unerévélation i-l.-J. Rousseau).

J.-J. Rousseau professe l’individualisme le plus complet. D’après lui, tout émane de l’individu, aussi bien les raisons de croire que l’autorité et les liens sociaux. II voudrait une révélation faite directement à lui-même, un tête-à-tête avec Dieu, comme Moïse. Il lui répugne d’admettre, comme signe de la vérité qu’il doit croire, des prodiges attestés par d’autres.

« Quoil s'écrie-t-il, toujours des témoignages humains ! … Que d’hommes entre Dieu et moi ! » Les

témoignages humains ont eux-mêmes besoin d’attestation, et nous voici dès lors engagés dans une

« horrible discussion » avant d’atteindre la révélation divine elle-même.

Ces exigences impliquent le rejet de la valeur du témoignage humain. S’il n’y a de sûr pour l’individu que ce qu’il a pu percevoir et expérimenter par luimême, toute certitude historique disparait. Au contraire, si l’on pense que le témoignage est un canal à travers lequel la vérité peut circuler, si on l’accepte par exemple, comme Jeau-Jacques, quand il s’agit de l’histoire profane, on ne peut plus, logiquemenl, refuser à Dieu la faculté de s’en servir. — Mais, insiste l’auteur de l’Emile, Dieu pouvait bien s’en passer et me parler directemeut. — Sans doute ! mais y était-il obligé? Pourquoi lui interdire un moyen en lui-même apte à son but, et conforme aux habitudes de la société humaine, où tant de vérités — surtout morales et religieuses — se transmettent par témoignage ? L’on ne voit pas pourquoi, à ce moyen naturel et simple, Dieu serait tenu de prélérer les innombrables et incessants miracles psychologiques que suppose la révélation individuelle. Si le surnaturel effarouche quand il apparaît au dehors, il est curieux qu’on en exige la multiplication indéfinie à l’intérieur. — Mais enfin la révélation individuelle serait plus certaine, plus facile à saisir par chacun. — Peut-être ; mais il suffit que la révélation connue par témoignage soit accessible aussi, moyennant quelque effort de bonne volonté, et qu’elle puisse, sous certaines conditions, produire la certitude. Cela posé, elle est possible, et l’on s’explique que Dieu la choisisse. D’ailleurs, l’expérience est là pour montrer que le moyen, contre lequel proteste Jean-Jacques, est ellicace. Il réussit. Quoi qu’on pense de la réalité des miracles, et en particulier de ceux de JésusChrist, il est incontestable que, si la doctrine chrétienne s’est répandue dans le monde, c’est par la voie de témoignages qui rapportaient ces miracles-là. L’humanité a cru, non point sur la garantie de cette raison individuelle, dont Rousseau voudrait faire l’arbitre de tout, mais sur l’autorité de prodi.ges dont quelques hommes seulement ont pu être témoins.

8" Le miracle ruinerait les fondements de la certitude et de la moralité. Dieu ne saurait donc l’opérer {Spinoza, liant, Ilenan, etc.).

Cette objection reprend, développe et complète certaines idées que nous avons déjà rencontrées. Notre vie psychologique et morale suppose, comme condition, un certain ordre de choses qui soit fixe

phénomènes psychologiques et moraux, il faudrait se souvenir que ceux-ci ne font preuve que dans la mesure où ils se distinguent des phénomènes naturels. (Voir ce que nous avons dit, col., 539 à propos de Sluarl Mill, et Inimtiuence. Appendice II.) — Cette remarque ne vise d’ailleurs point les deux auteurs dont nous réfutons les objections. Tous deux entendent Vapoio^èLiijne interne dans un sens tout ditl'érent et moins intellectualiste. (Cf. Immanence, p. 174 sq., 188 sq., otîon de vérité, p. 35 sq.]