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LOURDES (LE FAIT DE)

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mais du Gave, qui était à une distance un peu plus grande du rocbei’.

Elle l’a donc vue tantôt à genoux, tantôt debout, tantôt arrêtée, tantôt marchant ; elle l’a vue d’un lieu ou d’un autre, de près ou de loin, le matin, à midi le soir, à toutes les heures. Il n’y a donc point de conditions requises pour ses visions, et c’est le contraire de ce qui arrive dans les rêves des hallucinés.

Mais ce qui paraîtra plus frappant encore peut-être, c’est que les circonstances ordinaires existant, la vision chez elle n’existait pas nécessairement.

Prenez une hallucinée, durant la période de ses crises : mettez-la en tel lieu, dans telle position, sous telle influence ; c’est comme si vous lanciez le ressort d’une machine : l’hallucination se produira fatalement. Les visions de Bernadette n’obéissaient pas du tout à cette sorte de fatalité mécanique. Ainsi elle venait de contempler, quatre jours de suite, la blanche Apparition qui lui donnait un avant-goût du ciel. Le lundi 22 février, pleine de cette impression délicieuse, elle court aux roches Massabieille, tout émue à la pensée de la revoir, et se croyant sîire qu’elle va en avoir le bonheur. Elle arrive, elle se met à genoux hiiliement ; la foule est autour d’elle, comme les jours précédents ; elle prie suivant son habitude, et jette, comme d’ordinaire, des regards suppliants vers l’églantier. Mais l’églantier ne frémit pas sous les pieds nus, fleuris de roses. Bernadette eut beau prolonger sa prière, elle dut se relever enfin, en déclarant que « la Dame n’était pas venue ». Et, en effet, son visage ne s’était pas transformé ; il ne s’était pas épanoui et illuminé dans l’extase.

La vision se produisit le lendemain et tous les jours jusqu’au 2 mars. Le 3 mars. Bernadette revint, s’agenouilla et pria, ainsi qu’elle avait fait la veille et l’avant-veille. Ce fut en vain : l’extase ne transfigura pas ses traits. On était pourtant dans la quinzaine, où elle s’attendait à contempler l’Apparition tous les jours.

C’est que l’Apparition ne dépendait — les faits le prouvent bien — ni de son attente, si vive fùt-elle, ni de sa volonté, ni de sa persuasion que la Dame » allait venir. Elle ne dépendait pas plus d’elle que des circonstances.

Ce n’est pas ainsi que l’hallucination procède. Elle a quelque chose de fatal ; on ne trouve jamais, dans ses manifestations, cette indépendance absolue à l’égard des conditions qui la font naître.

Remarquons encore que l’hallucination est stérile et que les visions de Bernadette furent fécondes.

L’halluciné ne découvre rien dans ses rêves maladifs ; il ne crée rien, ni dans les formes que son imagination lui présente, ni dans les idées que ces formes lui suggèrent : il n’invente pas, il se souvient. Croit-il apercevoir une image ? Celte image est faite de ce qu’il a déjà vu. S’il sort d’un type connu d’avance, son esprit exalté n’arrive qu’à combiner des éléments anciens, déjà rscueillispar sa mémoire, et le résultat est toujours plus ou moins bizarre.

Les visions de Bernadette sont bien différentes. D’abord Bernadette apprend, dans son extase, des choses qu’elle ignorait jusqu’alors. Par exemple, elle entend l’Apparition lui dire : « Je suis l’Immaculée Conception ». On n’avait jamais prononcé ce mol devant elle, et sa simplicité ne connaissait pas du tout le dogme profond que le mot exprime. C’est à ce point qu’ayant peur d’oublier cette expression inconnue pour elle, et désirant en même temps la rapporter à M. le curé de Lourdes avec fidélité, elle la répétait tout le long du chemin. Mais elle la

répétait en la prononçant de travers ; el elle demandait ensuite à la sœur de M. Estrade : « Mademoiselle, que veulent dire ces paroles ? »

Or ces paroles, nous l’avons indiqué, avaient une portée merveilleuse. Elles étaient comme l’écho divin de la définition, faite par le pape quelques années auparavant. La petite fille des Soubirous découvrait ainsi, sans le savoir, une arme nouvelle pour l’apologétique contemporaine.

Mais elle avait trouvé aussi, ou plutôt elle avait vu un type nouveau de Madone, et un type aussi beau, sinon plus beau, que les Vierges les plus fameuses des grands artistes de la Renaissance.

Nulle part, ni à Lourdes, ni à Bartrès, les seuls lieux du monde qu’elle connût, la chère enfant n’avait aperçu de statue qui ressemblât à celle qu’elle a décrite, soit dans l’ensemble, soit par les détails. Détails et ensemble, tout lui a été révélé ; si l’on ne veut pas le croire, il faut admettre qu’elle a tout créé elle-même, ce qui serait contraire à toutes les observations scientifiques, faites sur les hallucinés. Je dis que sa Madone est remarquable parlaheauté aussi bien que par la nouveauté. Il n’en faudrait pas juger uniquement d’après le modèle de marbre, que le sculpteur Fabisch exécuta sur ses indications, et que l’on voit dans la niche de la Grotte, au-dessus du rosier sauvage. Soit impuissance de tout artiste à égaler un idéal, même quand c’est le sien, ainsi que M. Fabisch le disait, soit incapacité de la pauvre enfant à trouver les mots nécessaires et décisifs dans sa langue plébéienne, le marbre ne rendit pas fidèlement l’image qu’elle avait gardée toujours vivante devant les yeux, et quand elle le vit, elle s’écria :

« C’est beau, mais ce n’est pas Elle. Oh ! non ; la

différence est comme de la terre au ciel. »

Mais ce que ses paroles ne parvenaient pas à traduire, son regard, son visage, quand elle en parlait, l’exprimaient toujours avec plus d’exactitude, et c’était un spectacle ravissant « Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, écrivait M. Fabisch à sa famille, que lorsque je lui ai demandé comment la Sainte Vierge était, quand elle a dit : « Je suis l’Immaculée Conception. » Elle s’est levée avec une grande simplicité, elle a joint les mains et levé les yeux au ciel. Ni Fra Angelico, ni Pérugin, ni Raphaël, n’ont jamais rien fait d’aussi suave et, en même temps, d’aussi profond que le regard de cette jeune fille, si simple, si naïve. »

Et ce n’était pas l’effet d’un hasard heureux ; c’était bien l’image même de la céleste réalité dont elle portait, dans sa mémoire, le souvenir précis et enchanteur.

Car l’artiste écrivait plus tard : « Chaque fois que j’ai demandé à Bernadette cette pose, toujours la même expression est venue changer, illuminer, transfigurer cette tête… Franchement c’est à pleurer d’émotion. »

On peut défier tous les médecins des hôpitaux du monde, qui ont le plus usé et abusé des expériences hallucinatoires, d’indiquer un chef-d’œuvre artistique, que le plus merveilleux de leurs sujets soit arrivé ainsi à reproduire, d’après le simple souvenir de ce qu’il avait contemplé dans ses crises.

Enfin la différence, qui sépare Bernadette et les hallucinées, paraît tout autant, et peut-être plus encore, dans les conséquences qu’entraînent les hallucinations.

Du côté du caractère, l’hallucinée devient maussade, irritable, insubordonnée, égoïste. L’hallucination est une tare ; la vie morale en est atteinte et diminuée. Au contraire, la vie morale se maintint chez Bernadette après ses visions. Quedis-je ? elle s’éleva.