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MIL (L’AN)

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de la Redite des Questions historiques, s’avisa de soumettre l’opinion reçue à un contrôle sérieux. Il ne lui fui pas dillicile de constater qu’elle ne reposait sur rien, et qu’elle était démentie directement et indirectement par l’unanimité des sources. Depuis lors, d’autres cherclieurs ont repris et complété la thèse de dom Plaine, les uns, comme Rosière, von EicKKN, Oksi, dans des aperçus encyclopédiques, les autres, dans des monographies épuisant le sujet à un point de vue local, comme Mgr Schoolmeesteks l’a fait pour le pays de Liège.

La fausseté de la légende se déduit de preuves tant négatives que positives. Si, pendant le x' siècle, on avait attendu la lin du monde pour l’an mil, les chroniqueurs du temps n’auraient pas manqué de nous l’apprendre ; or, ni ceux qui ont écrit avant cette date ne disent rien de l'épouvante dans laquelle on l’aurait attendue, ni ceux qui ont écrit après ne parlent des transports de joie avec lesquels on aurait salué le premier soleil de looi. Le silence des uns et des autres, alors que, si la légende disait vrai, ils n’eussent pu guère parler d’autre chose, est déjà à lui seul un argument qui suffit. Mais ce n’est pas tout. Tous les documents qui nous restent du x* siècle nous montrent une société vaquant à ses occupations quotidiennes dans une sécurité aussi grande qu’en tout autre temps.

Des catastrophes de tout genre s’y produisent sans que personne pense à y voir le prélude de la lin du monde ; on enregistre avec la plus grande sérénité des incendies, des pestes, des famines, des inondations, des tremblements de terre, voire même des éclipses totales de soleil, alors que, si les prétendues terreurs avaient existé, ces phénomènes eussent dû être commentés dans le sens d’une- prochaine arrivée du dernier jour. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple entre mille, que lors de l'écIipse totale du soleil qui épouvanta l’armée d’Othon le Grand pendant une campagne en Italie (22 décembre 968), non seulement les trembleurs ne se demandèrent pas pourquoi le dernier jour arrivait trentedeux ans avant l'échéance, mais l'évêque de Liège Eracle rassura les soldats en leur disant qu’il n y avait là qu’un phénomène naturel et que sous peu ils reverraient la lumière. (Anselme de Liège, dans Monuineiita Germaniæ historica, Scriptores, t. Vil.) Ce qui est vrai, c’est que de tout temps, au sein des peuples chrétiens, on a considéré ce monde comme périssable et passager, et que partout on s’est attendu à le voir périr bientôt. Ce sentiment a trouvé une expression chez plus d’un Père de l’Eglise des premiers siècles ; le haut Moyen-Age en a été tout rempli, comme on le voit par ses chroniqueurs et même par les fascicules de ses actes publics (appropinquiiiite mundi termiiio, elc). Cependant la plupart écartait toute discussion sur la date en alléguant le passage de l’Evangile de S. Matthieu, xxiv, 35 : De die autem illa et liora nemo scit, iieqiie angeli cælorum, nisi soins Pater. D’autres ont cru à la lin du monde de leur vivant, comme S. Martin qui se persuadait que l’Antéchrist était déjà né, comme une femme de Mayence qui l’annonçait pour l’année S47 {Annales Fuldenses), comme un voyant de 1210 qui déclarait que ce grand ennemi du Christ était déjà adulte. (SiGEBBRT DE Gbmbloux, Citronic. contiii.) Il n’est donc pas étonnant que, parmi les dates diverses qu’il a plu à l’imagination des visionnaires ou des charlatans de mettre en avant, se soit aussi rencontrée une ou deux fois celle de l’an mil. Déjà du temps de saint Augustin elle était parmi celles que l’on proposait, comme on le voit par un passage de ce saint, qui semble avoir échappé aux propagateurs de la légende : Frustra igiiur annos qui rémanent liuic

seculo computare ac definire conamur^ cuni hoc scire non esse nostrum ex ore l^eritatis audiamus ; quos tamen alii quadringentos, atii quingentos, aiii etiam mille ah ascensione Domini usque ad ultimum ejus adfentum cumpleri posse dixerunt. (De Cit’it. Dei,

XVIII, LUI.)

De même, vers la lin du x' siècle, un prédicateur se mit en tête de prêcher dans une église de Paris que l’Antéchrist apparaîtrait après la Un de l’an mil et que peu après aurait lieu le jugement dernier. Mais Abbox DE Flkury, qui était parmi ses auditeurs, n’eut pas de peine à réfuter cette affirmation ens’appuyant sur l’Evangile, l’Apocalypse et le livre de Daniel, comme il nous l’apprend lui-même (Apologeticus dans Migne, P. l… t. CXXXIX, i^'ji). Le même Abbon, quelque temps auparavant, fut chargé par son abbé Richard de rassurer des Lotharingiens qui se persuadaient que la lin du monde arriverait quand l’Annonciation coïnciderait avec le Jeudi saint, ignorant que cette coïncidence se produit en moyenne deux ou trois fois par siècle. En d’autres termes, la croyance à la lin du monde en l’an mil n’apparaît timidement vers la lin du x" siècle, que pour cire aussitôt réfutée de la manière la plus péremptoire.

Tous les autres textes invoqués par les patrons de la légende sont sans valeur démonstrative aucune, et même celui de Raoul Glaber, dont ils aiment à faire état, se retourne en réalité contre eux. Raoul Glaber (111, iv) dit que ers l’an ioo3 il y eut encore une renaissance de l’art architectural et qu’on bâtit une multitude d'églises, et l’on n’a pas manqué d’en conclure que c'était pour remercier Dieu d’avoir épargné au monde la catastrophe tant redoutée. Mais Raoul Glaber pense tellement peu à mettre ce revival en rapport avec les prétendues terreurs de l’an mil, que c’est io33 qui est pour lui la millième année après l’Ascension du Sauveur, et s’il nous dit qu’en cette année on craignait de voir la lin du monde, c’est simplement à cause de la terrible famine qui sévissait pour lors depuis trois ans et qui poussait les populations au désespoir (IV. iv). Les autres textes allégués ne méritent pas même l’honneur d’une discussion, car si, par exemple, le concile de Trosly en 909 parle vaguement du dernier jour, où l’on sera obligé de rendre ses comptes, qu’est-ce que cela prouve, sinon la persistance de préoccupations que les chrétiens ont eues dès l’origine et qu’ils ont encore aujourd’hui ?

La question des terreurs de l’an mil est donc rajée du programme des questions débattues ; les ennemis de l’Eglise n’y rencontreront que déceptions, et pour les apologistes elle n’aura désormais plus qu’un intérêt historique.

Bibliograpiiiiî. — Dom Plaine, Les Terreurs de l’An Mil (/?eiue des questions historiques, t. XIII, iSyS). — (Schoolmeesters) /.e « Terreurs de l’An mil (Mémorial, 187.')). — R. Rosière, £a légende de l’An mil (Hei’ue politique et littéraire, 18 ; 8, puis réimprimé dans Recherches critiques sur l’histoire religieuse de la France, iS’jg). « 7- R. von Eicken, Die Légende uni der Envartung des l’eltunterganges und der ll’iederkehr Ckristi (Forschungen zur deutschen Geschichte. t. XXIII, 1883). — J. Roy, L’An mil, 1885 (Bibliothèque des merveilles). — P. Orsi, L’anno mille (Rivista storica italiana, t. IV, 1887 ; puis à part. Turin^ même année). — F. Duval, ie* Terreurs de l’an mil, Paris 1908 (Collection Science et religion).

Godefroid Kurth.