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MATÉRIALISME

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agressives et termes blessants, ou baroques tour à tour, foisonnent presque à chacune de ses pages, — et notre résumé en contient relativement peu. Quant au sérieux de la discussion, aux preuves des assertions les jjlus capitales et les plus audacieuses, qu’il s’agisse de construire ou de démolir, Hæckel n’en a cure : ne lui suUit-il pas, en preuve de ses dires, d’en appeler à ses « convictions monistes v ? Tout au plus pourrait-on voir des essais de démonstrations dans des comparaisons et des rapprochements, parfois fort inattendus, arbitraires toujours, et enûn susceptibles de plus d’une interprétation. Tout cela ne manque pas d’intérêt, pour les esprits curieux de vastes systèmes… ; mais entre cela et des preuves, il y a un abîme.

D’autres en ont jugé comme nous, qui pourtant étaient sympathiques à l'œuvre de Hæckel : tels, le D J. Maxwell (Bordeaux) et Sir Oliver Lodge, Kecteur de l’Université de Birmingham et physicien illustre. « J’admire sincèrement, ditJ. Maxwell, l'œuvre scientifique du savant biologiste d léna, mais je n’ai pas la même admiration pour ses conceptions philosophiques. J’avais été frappé, en lisant ses Enigmes de l’univers, de la témérité de quelques-unes de ses affirmations, et de l’inexactitude de certaines d’entre elles. J’avais songé à les mettre en évidence et à essayer de montrer l’erreur fondamentale des philosophes qui, comme lui, jugent nos connaissances assez complètes pour en inférer une explication systématique de l’univers, fondée sur des actions et des réactions mécaniques… » (J. Maxwell, trad. du livre de O. Lodge, La vie et la matière, Préface, p. I. Alcan, 1907)

Ce n’est pas que le D' Maxwell obéisse à des préjugés, soit contre 1 evolutionnisme, soit en faveur de la religion chrétienne ; qu’on en juge par ce qu’il ajoute, quelques lignes plus bas : « Les découvertes des dernières années du xix* siècle ont eu des conséquences désastreuses pour certains concepts religieux trop étroitement attachés à la lettre de leurs révélations. Le triomphe des idées de Lamarck et de Darwin a eu notamment un tel effet. L’idée d’une évolution progressive des espèces est inconciliable avec celle de la création, telle que l’expose par exemplela Genèse. » (p. 2, 3)

Ce serait nous écarter de notre sujet, que de discuter ici de pareilles aflirmations.

Sir Oliver Lodge n’est pas plus hostile au monisme, que son traducteur française l'évolutionnisme : « La vérité, dit-il, eslque toute philosophie tend à devenir monisle ; il faut qu’elle vise à l’unification, quelque difficile qu’elle soit. Un philosophe, qui en abandonnerait la poursuite, … paraîtrait abandonner sa profession de philosophe… » (La matière et la vie, p. 16) — Lodge va plus loin : il estime que les livres de Hæckel ne peuvent faire que du bien aux personnes qui ont reçu une éducation et une instruction complètes. Ils peuvent, il est vrai, ne rien leur apprendre de particulièrement nouveau, mais ils offrent une intéressante étude d’histoire scientifique et de développement mental ». (p. 14) — Mais, avec une nuance de commisération pour les milliers d’ouvriers de son pays qui, dit-on, lisent les livres de Hæckel, l'écrivain anglais continue ainsi : « Us peuvent faire du mal à des lecteurs sans instruction, sans jugement, sans notion de la mesure et sans beaucoup de critique. Ils peuvent faire du mal, à moins d'être accompagnés d’une sorte d’antidote, spécialement contre le parti pris de certains de leurs chapitres consacrés à une œuvre de destruction hâtive et dédaigneuse. « Offrir cet antidote est le but spécial de Lodge : « Je dirais à l’ouvrier intelligent, ou à tout autre lecteur à tête dure, qui considérerait

la foi chrétienne comme minée… par la philosophie… prônée… par le professeur Hæckel, je dirais… : « Ne croyez pas avoir en main un traité où la vérité définitive et ultime de l’Univers soit enfin proclamée, où la pure vérité ait été séparée de l’erreur des âges précédents ; ne le croyez pas, mon ami, il n’eu est rien 1 » (p. 14) — Un peu plus loin, nous lisons que : « Pour apprécier la valeur du système de l’Univers exposé par le professeur Hæckel, il suffit de se cantonner sur le terrain de la science.. Les faits qu’il affirme et ceux qu il nie énergiquement sont choisis par lui suivant qu’ils cadrent ou ne cadrent pas avec son système philosophique. » (p. 17)

Très accueillant pour les « contributions positives soit aux faits, soit à leur systématisation », le savant écrivain anglais jouhaile qu’on marque plus de défiance aux « critiques négatives ou destructives », à

« tout ce qui évite ou rejette une partie de l’expérience humaine parce qu’elle ne s’accorde pas avec

un système… mouiste ou autre. La fabrication d’un pareil système négatif et destructif, spécialement lorsqu’il s’accompagne d’un dogmatisme sans gène, devrait éveiller automatiquement le soupçon et la répulsion «.(p. 18)

Sir O. Lodge tenait ce langage en 1906. Qu’aurait-il dit trois ou quatre ans plus tard, après la retentissante affaire Brass-Hæckel, au cours de laquelle celui-ci fut contraint d’avouer qu’il avait falsifié de nombreux dessins, dans le but de fonder sa fameuse théorie de l'évolution embryogénique des êtres ? (Cf. Jiev. prat. d’Apulog., t. IX, p. 276-280 ; — t. XII, p. 109-115.)

Nous pourrions rapporter d’autres jugements encore sur les Enigmes de l’Univers, comme celui du professeur Paulsen : « J’ai lu ce livre avec la plus grande honte, j’ai rougi en pensant à quel degré d’abaissement est tombé le niveau philosophique de notre peuple. C’est une honte, qu’un tel livre puisse être imprimé, acheté, lu par un peuple quia eu l’honneur de posséder un Kant… » Mais est-il besoin de multiplier les témoignages ?

Ul. Critique et conclusion. — Il n’est pas question d’instituer ici une discussion en règle, soit du Matérialisme en général, soit même du système moderne exposé par Hæckel ; elle ferait double emploi avec une partie fort notable du Dictionnaire [voir, entre autres articles : Ame, Dieu, Hommb, Libre arbitre…] On s’en tiendra donc à quelques observations critiques, visant surtout à préciser l'état des questions essentielles : I) au sujet de Hæckel, on aura surtout en vue d’esquisser les limites qui séparent ses thèses des résultats scientifiques ; ce sera montrer que le Matérialisme scientifique est redevable au professeur d’Iéna de nombreux néologismes et d’audacieuses affirmations, bien plus que. de progrès sensationnels ; — II) relativement au Matérialisme pris en général, on précisera le point du débat le plus facile à circonscrire, à savoir la nature intime de notre vie intellectuelle.

I) Critique de la loi de substance : i" sa constitution ; — 2' son interprétation moniste ; — 3° psychologie de Hæckel.

1" Constitution de la loi de substance : a) les matériaux ; — h) leur assemblage.

a) — 1) Principe de Lavoisier, ou conservation de la matière. — Inutile d’entrer dans les discussions actuellement pendantes, sur la variabilité de la masse des corps en de certaines conditions de déplacement, ou bien la constance absolue que comporte la loi de Lavoisier. Etant escomptée la victoire de ceux qui tiennent pour la seconde alternative, nous avons ici, strictement parlant, une hypothèse raisonnable, une