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MARTYRE

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ou sur les bourreaux. « Nous savons, dit en 1838 au prêtre Tonkinois Vien le mandarin qui A’enait de le condamner, nous savons que vous ne méritez pas la mort, et nous voudrions pouvoir vous sauver ; mais les ordres du roi ne nous permettent pas de le faire. Pardonnez-nous si nous sommes obligés de vous mettre à mort, et ne nous impuiez pas ce crime. » Le prêtre inclina la tête en signe de pardon. En 1 85^, le bourreau qui décapitait le prêtre Tonkinois Paul Tinh brisa son sabre, puis fut obligé de le frapper cinq fois avec une autre arme ; le mandarin regarda

«e fait comme un signe évident que la condamnation

était injuste, et, le soir même, olîrit un sacrifice aux mânes de sa victime (La Salle des Martyrs, p. 149, 151). Lors de l’exécution de M. Cornay, en 185^, le bourreau, après lui avoir tranché la tête, lécha le sang qui découlait de son sabre, puis, arrachant le foie du martyr, en prit un morceau et le mangea :

« témoignage horriljle d’estime et d’honneur que les

Annamites rendent à ceux qu’ils considèrent comme des héros, parce que, disent-ils, en mangeant leur foie nous deviendrons courageux comme eux. » (ibid., p. 113)

Un traité signé, en 1862, avec la France et l’Espagne accorda enfin, dans tout r.

nam, la liberté

religieuse. En vertu de ce traité, la France s’établissait en Cochinchine. La paix religieuse dura jusqu’au jour où, la mauvaise foi annamite ayant obligé le gouvernement français à entreprendre au Tonkin l’expédition où s’illustra l’amiral Courbet, les autorités de l’Annam massacrèrent ou laissèrent massacrer les chrétiens, les livrant sans défense à des bandes d’insurgés ou de brigands aidés par la complicité des mandarins. De 1883 à 1885 furent tués au Tonkin et en Cochinchine quinze missionnaires français (MM. Gelot, Rival, Manissol, Seguret, Antoine, Tamet, Guijomard, Poiron, Guégan, Garin, Macé, Barrât, Dupont, Iribarne, Ghatelet), dix-huit prêtres indigènes, cent vingt-trois catéchistes, deux cent soixante-dix religieuses, trente-sept mille sept cent quatre-vingt-quatre chrétiens (Les Missions catholiques françaises, t. II, p. 470). Ajoutons que ces chiffres s’appliquent aux sept missions dirigées en Indo-Chine par la Société des Missions étrangères, et qu’il faut y ajouter les prêtres et les fidèles mis à mort dans les trois autres missions qui desservent ce vaste pays, et dont je ne connais pas le nomijre.

Tant de sang versé pour le Christ ne demeura pas stérile. Un missionnaire écrivait, en 1888, qu’au moment où la dernière persécution sévissait le plus cuellement, un païen se présenta chez lui pour demander le baptême, a Pourquoi, dit le missionnaire, veux-tu te convertir ? — Parce que j’ai vu mourir des chrétiens, et que je veux mourir comme eux. J’en ai vu précipiter dans les fleuves et dans les puits, j’en ai vu brûler vifs et percer de lances. Eh bien, tous mouraient avec un contentement qui me surprenait, récitant des prières ou s’encourageant les uns les autres. Il n’y a que les chrétiens qui meurent ainsi, et voilà pourquoi j’ai voulu me convertir. » (.-innales de la Propagation de la Foi, janvier 1889, p. 33) Aujourd’hui, c’est par centaines de mille que les chrétiens se comptent en Cochinchine ; nulle part les chrétientés ne sont mieux organisées et plus ferventes que dans cette Eglise où le clergé indigène, à lui seul, a donné au Christ plus de cent cinquante martyrs, dont vingt-six ont été déclarés Vénérables {Les Missions catholiques françaises, t. II, p. 484 ; remarquons que ces chiffres s’appliquent seulement aux sept Missions confiées à la Société des Missions étrangères).

Outre les ouvrages déjà cités, voir / martiri Annamitie Ci « esi (i ; g8-1856), solennemente beatificati

délia Santità di Papa Leone XIIL il 27 maggio deir aiino MDCCC, Rome, typogr. Vaticana, 1900 ; Synopsis Actorum et passionis niartyriim Tunquinensiuin sacri Ordinis Prædicatorum, dans les Analecta sacri Ordinis Præd., t. IV, 1900, p. 577-646 ; A. Launay, Les Bienheureux de la Société des Missions étrangères et leurs compagnons, Paris, 1900 ; H. Walter, O. s. B., Leben, Wirken und Leiden der sieben und siebzig seligen Martyrer von Annam und China, Fribourg-en-Brisgau, 1903.

.5. Inde. — Quelque opinion que l’on se forme sur révangélisation primitive des Indes et sur la tradition qui place à la côte de Coromandel le lieu du martyre et le tombeau de l’apôtre saint Thomas, il est certain que l’immense péninsule indienne et les îles d’alentour eurent de bonne heure des chrétiens. Le voyageur byzantin Cosmas, dans le premier quart du VI’siècle, a rencontré dans l’ile de Soeotora, xy.zà. ri KÙTo Ivocxiv TTë/y’/i ; , une chrétienté où l’on parlait grec, mais dont les clercs avaient été ordonnés eu Perse ; sur les côtes indiennes du Poivre et de Malabar, il a trouvé des chrétiens à Maie et à Quillon {h Kcoùikvk) : dans cette dernière ville, l’évêque avait été aussi consacré en Perse. Il visita encore une chrétienté dans l’ile de Taprobane (Ceylan) : il ignore s’il n’}' eu a pas au delà (Topogr. christ., dans Migne, P. G., t. LXXXVIII, col. 169). On connaît un évêché en Bengale vers le milieu du vu’siècle. Mais la chute de l’Empire romain, en rompant les relations de ces pays avec l’Occident, et en livrant sans contrepoids leurs chrétientés aux influences hérétiques, détermina une prompte décadence. Ce que nous connaissons vraiment de l’histoire du christianisme aux Indes commence avec les découvertes et les conquêtes des Portugais, à la fin du xve siècle.

Quand on se rend compte de la répartition actuelle des religions sur le sol indien, on comprend les causes diverses qui y firent des martyrs. A l’heure présente, l’Inde possède environ deux millions de chrétiens : leur nombre, après avoir immensément fléchi à la fin du dix-huitième siècle, après la suppression de la Compagnie de Jésus, est presque redevenu ce qu’il était alors. Mais elle compte près de cinquante-neuf millions de musulmans, sept millions de bouddhistes, deux cent vingt millions de brahmanes. Persécutés au nom de ces diverses religions, les chrétiens virent de nombreux martyrs tomber sous les coups des idolâtres, et d’autres massacrés par la fanatisme des musulmans. Ajoutons que les Hollandais, qui supplantèrent les Portugais aux Indes à partir du dix- septième siècle et y eurent une grande influence, siu-tout dans le sud, pendant les deux premiers tiers du dix-huitième, immolèrent à l’intolérance protestante beaucoup de catholiques indigènes et surtout de missionnaires : à Ceylan, ils avaient décrété la ijeine de mort contre quiconque donnerait asile à ceux-ci.

Bien que la plus grande partie de la population hindoue se composât d’idolâtres, sectateurs de Brahraa ou de Bouddha, le nombre, cependant très élevé, des martyrs faits par eux ne paraît pas en proportion avec la place tenue dans la péninsule par l’idolâtrie. « Dans la plupart des cas, écrit Mgr Za-LESKi, délégué apostolique des Indes orientales, c’étaient les musulmans et non pas les Hindous qui torturaient et mettaient à mort les chrétiens qui refusaient de renier leur foi. La raison en est que les païens, aux Indes, ont un caractère plus doux et plus i^acifique, et ne font pas de prosélytes. » (Les Martyrs de l’Inde, p. 8) Il en fut autrement des musulmans, qui, aux Indes au moins, voulaient contraindre les chrétiens à l’apostasie, et appliquaient