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MARTYRE

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temps de Dèce quand on introduisait dans leur bouche, malgré leur résistance, des viandes immolées aux idoles.

Dans le Tonkin, où la foi avait été prèchée dès 1626, la persécution éclata en 1696, en 1712, en 1721. En cette dernière année, un édit prescrivit la démolition de toutes les églises ; comme à Rome, sous Hadrien, on voit de nombreux magistrats protester en faveur des chrétiens et se porter forts de leur loyalisme. En 1723, cent cinquante Udèles sont condamnés à avoir soin des éléphants, service sordide dont il leur est permis de se racheter à prix d’argent. Un missionnaire, le P. Massari, meurt en prison ; un autre missionnaire, le P. Buccharelli, est décapité : les chrétiens recueillentsonsang comme unerelique. Avec lui périssent le catéchiste Pierre Frieu, après avoir subi la torture des coups de marteau sur les genoux ; le catéchiste Ambroise Dao ; Emmanuel Dien, Philippe Mi ; le lettré Luc Thu, dont tout le corps a été martelé ; le portier de l'église, Luc Mai, qui entonne les litanies en marchant au supplice ; Thadée Tho, qui avait eu le tort de braver les persécuteurs en brisant une statue de Confucius, mais qui, condamné pour ce crime de droit commun, refuse, malgré les tortures, d’obtenir sa grâce par une apostasie ; le catéchiste Paul Noi ; un renégat repentant, François Kam. L’année 1787 voit le catéchiste Vincent Nghien mourir en prison, et, le 12 janvier, quatre missionnaires, les PP. Alvarez, Abren, Gratz, Da Gunha, souffrir la décapitation. En 1778 a lieu celle de deux religieux Dominicains, un Espagnol, le P. Hyacinthe Caslanado, et un Tonkinois, le P. Vincent Liam.

La persécution de 1798 est commune à la Gochinchine et au Tonkin, réunis désormais en un même Etat. Le 15 septembre, le prêtre Cochinchinois Emmanuel Trieu, auquel les mandarins avaient offert de demander sa grâce s’il promettait de ne plus prêcher l’Evangile, est, sur son refus, décapité : les fidèles recueillent pieusement son sang avec les linges. En 1799, dans le Tonkin occidental, des chrétiens subissent d’horribles tortures ; mains clouées sur des planches, mèches allumées sur le ventre, pendaison la tête en bas, etc. Le martyr le plus illustre de cette persécution est un jeune prêtre Tonkinois, Jean Dat, décapité le aSoctolîre 1798. Pourquoi ne voulez-vous pas vivre ? « lui demande le frère du roi. « Je veux bien vivre, répond le martyr, mais je neveux pas vivre inlidèleà ma religion. » Le prince s’oppose à ce que dans la sentence il soit ordonné que sa tête sera exposée et son corps morcelé : Cet homme n’est coupable d’auoun crime : il n’est condamné à mort que parce que l’ordre du roi le porte ainsi. » Les assistants admirent la joie qui paraît sur son visage en apprenant sa condamnation, etla comparent avec l’air abattu des condamnés ordinaires. Avant le supplice, on sert au martyr un repas qu’il mange debon appétit : « O chose admirable, s'écrie le mandarin, ce prêtre est plus ferme qu’un rocher 1 » Un chrétien lui dit : « Père, souvenez-vous de moi lorsque vous serez dans la bienheureuse éternité. — Je ne sais pas encore ce que Dieu me destine, répond Jean Dat, mais pourquoi m’adressez-vous cette prière ? Est-ce que les saints qui sont dans le ciel ne se souviennent pas perpétuellement de nous ? » Ai)prochant du lieu du supplice, il marche à grands pas, sans cesser de mâcher du bétel. « Avertissez les chrétiens de ne pas recueillir mon sang après ma mort », recommandet-il par humilité ; recommandation qui ne fut pas obéie, car, dès que la tête du Père Dat eut été détachée du corps, les fidèles coururent tremper des mouchoirs et des linges de toute sorte dans le sang du martyr. Emmanuel Trieu et Jean Dat ont

été déclarés Vénérables par Grégoire XVI, le 9 juillet 1843.

Sur cette première phase de la persécution en Cochinchine, voir les relations et lettres des PP. AlexanDUE oE Rhodes, ue Montezon, Estève, Pklisson, et de plusieurs missionnaires, dans Leclercq, Les Martyrs, t. IX, p, 163-201, 809-321, 867-879, 380-4a2 ; t. X, p. 71-147, 851-357. 388-454.

Le xix"^ siècle voit s’ouvrir une période de persécution, qui dura presque ininterrompue pendant cinquante années. Oublieux des services rendus à son père par Mgr Pigneaux de Béhaines, le roi MinhMang ordonna l’arrestation des missionnaires et commanda à tous les chrétiens d’abjurer leur religion en foulant la croix aux pieds. Un prêtre indigène, Pierre Tug, puis un membre de la Société des Missions étrangères, M. Gagelin, furent décapités en 1883 ; M. Marchand, de la même Société, subit en 1885 le supplice des cent plaies ; en 1835 encore fut décapité le chrétien André Thong, en 1889, M. Cornay fut condamné à avoir tous les membres coupés, et le catéchiste Xan Can fut étranglé pour avoir refusé de marcher sur la croix. L’annés 1838 fut particulièrement féconde en martyrs : Mgr Borie, avec les deux prêtres annamites Diem et Choa ; deux évêques espagnols, Mgr Ignace Delgado y Cebrian, de l’ordre de Saint-Dominique, mort dans la prison la veille du jour où il devait être exécuté, et son coadjuleur, Mgr Hénarès, décapité ; le prêtre Tonkinois Vien ; le prêtre Tonkinois Jacques Niam, qui répond au mandarin : « Eh I qui donc mourrait pour la religion, si le prêtre s’y refuse ? » le prêtre Tonkinois Dominique Nguyen Van Hank ; les catéchistes Pierre Duong, Paul Mi, Pierre Truat. En 1889, sont décapités les prêtres Tonkinois Pierre Thi et André Dung. En 1840, M. Delamotte, des Missions étrangères, meurt en prison, après avoir souffert la torture des tenailles. Dans cette année et dans les suivantes, un grand nombre de chrétiens indigènes, prêtres ou laïques, furent emprisonnés, torturés ou mis à mort.

Le second successeur de Minb-Mang ne se montre pas moins cruel. Un édit rendu en 1851 par Tu-Duc se termine ainsi : « Les prêtres européens doivent être jetés dans les abîmes de la mer ou des fleuves, pour la gloire de la vraie religion ; les prêtres annamites, qu’ils foulent ou non les croix, seront coupés par le milieu du corps, afin que tout le monde connaisse la sévérité de la loi. » En 1851, M. Augustin Shoefler, des Missions étrangères, est décapité ; en 185a, le même supplice est infligé à M. Bonnard ; en 1853, au prêtre Cochinchinois Philippe Minh. Un nouvel édit. de 1855, prononce la peine de mort contre tout prêtre européen ou annamite. La France eut la généreuse pensée d’intervenir ; mais cette intervention aura pour efl’et de rendre la persécution plus violente. Un évéque espagnol, Mgr Diaz, est décapité en 1857. Deux prêtres des Missions étrangères M. Néron, en 1860, M. Vénard, en 1861 souffrent le même supplice : le premier était resté dans la prison vingt et un jour sans manger ; le second avait fait préparer un vêtement de soie pour « le jour de la grande fête », c’est-à-dire pour le jour de son exécution. En 1861 encore. Mgr Berrio-Ochoa, Espagnol, est décapité, le vicaire apostolique de la Cochinchine orientale, Mgr Cuenot, meurt en prison, un Dominicain indigène, le P. Kuang, est décapité. Le nombre des martyrs indigènes fut très grand : de 1857 à 1862, cent quinze prêtres annamites, une vingtaine de religieuses indigènes, près de cinq mille chrétiens, les uns décapités, d’autres brûlés en masse, enterrés vifs, noyés, morts de faim dans la prison, donnèrent leur vie pour Jésus-Christ.