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MARTYRE

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année 1622, d’autres martyres illustrep. Là périrent, le 19 août, deux Augustins, les PP. Pedro de Zuniga et Luis Florez, brûlés vifs avec le capitaine de navire japonais Joachim Diaz, et douze chrétiens indigènes, décapités : l’auteur de la relation de leur martyre, le P. Barthoi.omk Guttibrfz, provincial des Augustins des Philippines, a soin de faire remarquer qu'à tous la vie avait été offerte s’ils consentaient à apostasier : il cite cent autres martyrs dont quarantedeux brûlés vifs et plus de soixante décajùtés (LeCLERCQ, t IX, p. g5-io5). Dans la même ville eut lieu, le 2 décembre, le supplice d’une héroïque plialange, dontla lin glorieuse est connue sous le nomde « grand martyre ». Composée de l'élite de la société japonaise et de vingt religieux — dix Jésuites, quatre Franciscains et six Dominicains, — elle avait à sa tête François de Moralez, Pierre d’Avila et Cliarles Spinola, en tout cinquante-deux victimes. Vingt-sept furent condamnés à avoir la tête tranchée, les autres à être brûlés vifs. Ceux qui étaient destinés aux tlanimes assistèrent, suspendus, au supplice des premiers (Les Missions catholiques françaises, t. III, p. 432). C’est encore à Nagasaki que moururent, en 1633, trois je suites, Giovanni Mateo Adamo, Sicilien, Antonio de Souza, Portugais, Julien de Nacaura, Japonais, avec deux catéchistes indigènes, Pierre et Mathieu. Le jésuite japonais, d’origine princière, avait évangélisé le royaume de lîungo, déguisé en médecin, et, grâce à sa naissance, converti beaucoup de nobles. Les cinq martyrs furent suspendus la tête en bas, le corps à moitié plongé dans une fosse, et moururent après plusieurs jours de souffrances. La cause de leur béatification s’instruit actuellement (voir les sources citées par le P. Rivièrb, article Adamo, dans le Dict. d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. I, col. 506).

Résumant la persécution, l’historien protestant cité plus haut estime à So.ooo le nombre des clirétiens marlj’risés dans la seule année 1624. « L’atrocité des supplices, dit-il, dépassa tout ce qu’Eusèbe nous rapporte sur le martyre des chrétiens d’Egypte sous Maximin Daia. Même les impitoyables Hollandais, qui dénonçaient au shogoun. tous les religieux catholiques et qui foulaient aux pieds la croix d’un cœur tranquille pour s’assurer la liberté du commerce, ne peuvent se soustraire à une impression d’horreur en faisant le récit détaillé de ces épouvantables tortures. » (BoEHMKR-MoNon, p. 164)

Le P. DE Charlevoix (Histoire du Japon, 1. XVII, eh. n) a publié cette relation hollandaise. « Aux uns, on arrachait les ongles ; on perçait aux autres les bras et les jambes avec des vilebrequins ; on leur enfonçait des alênes sous les ongles, et on ne se contentait pas d’avoir fait tout cela une fois, on y revenait plusieurs jours de suite. On en jetait dans des fosses pleines de vipères ; on remplissait de soufre et d’autres matières infectes de gros tuyaux, et on y mettait le feu, puis on les appliquait au nez des patients, alin qu’ils en respirassent la fumée, ce qui leur causait une douleur intolérable. Quelques-uns étaient piqués par tout le corps avec des ciseaux pointus ; d’autres étaient brûlés avec des torches ardentes. Ceux-ci étaient fouettés en l’air jusqu'à ce que les os fussent tout décharnés. Ceux-là étaient attachés les bras en croix avec de grosses poutres, qu’on les contraignait de traîner jusqu'à ce qu’ils tombassent en défaillance. Pour faire souffrir doublement les mères, les bourreaux leur frappaient la tête avec celles de leurs enfants, et leur fureur redoublait à mesure que ces petites créatures criaient plus haut. La plupart du temps, tous, hommes et femmes, étaient nus, même les personnes les plus qualiCées, et pendant la plus rude saison… des

bourreaux, comme autant de tigres affamés, étaient sans csssc occupés à imaginer de nouvelles tortures. Ils leur tordaient les bras jusqu'à ce qu’ils les eussent tout à fait disloqués ; ils leur coupaient les doigts, y appliquaient le feu, en tiraient les nerfs ; enfin ils les brûlaient lentement, passant des tisons ardents sur tous les membres. Chaque jour et quelquefois chaque moment avait son supplice particulier, n Le narrateur fait remarquer la cruauté avec laquelle, afin de prolonger les supplices, les bourreaux s’arrêtaient souvent avant le coup mortel, et appelaient des médecins pour panser les blessures, ranimer par des breuvages les patients, et les mettre en état de supporter ensuite de nouvelles souffrances.

A tous les supplices déjà mentionnés, d’autres relations en ajoutent, qui rappellent les persécutions romaines : fréquente est la marque imprimée au front avec un fer rouge, comme pour les condamnés ad metalla (Pbofillet, Le Martyrologe de l’Eglise du Japon, 154y-1649, t. II, Paris 1897, p. 89, t. III, p. 38, 60, 12g) ; fréquentes sont les noyades comme au temps de Dioclétien et de Galère (ibid., t. II, p. 14, 25, 100, 247. 248, 311, 312, 320, 829, 446, 458, 465, 483, etc.) ; fréquente l’exposition en hiver, sur des lacs ou des étangs glacés, renouvelant l’histoire des martyrs de Sébaste (ibid., t. I, p. 12, 85 ; t. II, p. 15, 29, lio, 123, 199, 265, 270, 294, 313, 318, 407, 458, 471, 476). Les chrétiennes sont honteusement traitées : comme à l'époque romaine encore, on les condamne ou on les menace de les condamner à être enfermées dans des lieux de débauche, et cette menace amena des apostasies (ibid., t. II, p. ig, iG4 ; t. III, p. 125). Contrairement aux lois de tous les peuples, on décapite ou l’on brûle des femmes enceintes : l’une d’elles, à qui le juge offrait un répit, promettant de faire élever l’enfant qu’elle porte dans son sein, craint pour celui-ci une éducation païenne :

« Le gage précieux de l’amour de mon mari, répondelle, gage que je porte dans mes entrailles, je ne veux

le conlier à personne sur la terre, et je le remettrai dans le ciel à son père. » (Ibid., t. II. p. 22, 478, 508)

Un trait bien japonais dans le supplice de la décapitation : les chrétiens de rang élevé sont invités à s’y soustraire en faisant Aaraiirj'.c’està-direen s’ouvrant le ventre : toujours ils refusent, leur religion interdisant le suicide ; mais alors on autorise souvent un membre de leur famille à leur donner la mort, afin de leur épargner le bourreau (ibid., t. ii, p. 87, 90, io4, 124). On pourrait citer bien d’autres exemples attestant, dans le Japon d’ancien régime, un étrange mélange des mœurs les plus barbares et de la civilisation la plus rallinée : quoi de plus caractéristique que le fait de deux chrétiens condamnés à être plongés dans les eaux sulfureuses et bouillantes du mont Ongen (sur la fréquence de ce supplice, ibid., t. I, p. 188, 269 ; t. II, p. 41, 88, 96, 113, 250, 281, 284, 288, 289, 293, 2g4, 315, 329, 330, S^i, l^ob, 460, 465, 479, 480, 482, 483, 490, 512, 523 ; t. III, p. 86, 147, 398), et, pendant qu’ils gravissent la pente du volcan, composant et récitant des distiques, selon la coutume des lettrés dans les circonstances solennelles ?

La mort de Daïfusama, en 1615, n’avait pas mis fin à la persécution : les détails qu’on vient de lire se rapportent surtout à celle de son successeur Yemitsu. Il se produisit en 1687 un fait à peu près unique dans l’histoire des persécutions. Blessés par un nouvel édit, qui commandait à tout Japonais de porter sur la poitrine une amulette païenne, 87.000 chrétiens de la province d’Arim se soulevèrent, mirent à leur tête un daimio catholique, s’emparèrent de ! a place forte de Shimabara, et résistèrent intrépidement à une armée de 80.000 hommes,