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MARTYRE

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franchir les portes de leur prison, parce que les religieuses schismatiques qui les gardaient étaient tombées dans l’ivresse à la suite d’une de ces orgies qui solennisent leurs fêtes. Ce ne fut pas sans regret qu’elles abandonnèrent leurs compagnes et qu’elles renoncèrent à la gloire de mourir ; mais elles espéraient ([uelque chose pour leur foi et pour leur patrie du témoignage qu’elles avaient à rendre devant l’Europe. A travers mille dangers, elles pénétrèrent en Autriche, et l’une d’elles, la supérieure de cette illustre communauté, est actuellement à Paris. » {Univers, i(> septembre 1845 ; L. Veuillot, Mélanges, i" série, t. III, Paris, iSS’ ; , p. 206-208.)

De Paris, la supérieure de Minsk se rendit à Rome : elle s’y trouvait quand l’empereur Nicolas lit à Grégoire XVI la célèbre visite d’où l’autocrate sortit, disent les témoins, pâle et bouleversé, s’enfuyant presque comme un coupable (Wiseman, Souvenirs des quatre derniers Papes, Bruxelles, 1858, p. 48 1). C’est alors que furent recueillis les souvenirs de la mère Makrina, publiés l’année suivante à Paris (Martyre de sœur Irène-Makrina Mieczysla^isha et de ses compagnes en Pologne, Paris, Gaume, 1846).

« Elle a pu, vingt-quatre ans durant, du monastère où

elle s’était réfugiée à Rome, et où nous-même l’avons visitée, — écrit le P. Lescoeur, — rendre témoignage des cruautés auxquelles elle n’avait échappé que par miracle. Elle s’est éteinte paisiblement, le Il février 1869, en telle odeur de sainteté, qne, dès son vivant, beaucoup de grâces extraordinaires ont été attribuées au mérite de ses prières. » (Lkscceur, l’Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, Paris, t. I, p. 184)

Makrina et ses compagnes sont les plus célèbres, mais non les seules religieuses qui aient souffert alors pour l’unité catholique. Il existait à Polotsk un monastère de basiliennes qui avait été, au xvi" siècle, restauré et réformé par saint Josaphat, et avait dès lors fidèlement conservé les traditions du grand martyr polonais. « Il a subsisté jusqu’en 1838, et les vingt-cinq religieuses qui l’habitaient ont refusé avec un admirable courage de renoncer à l’Union. Cette fermeté attira sur elles une affreuse persécution, dans laquelle plusieurs de ces saintes vierges ont cueilli la palme du martyre. » (Dom Gdépin, t. I, p. 226, note i)

Sur un autre point, recueillons le témoignage delà mère Makrina. En même temps que le martyre des prêtres, des religieux, des religieuses, elle a vu le martyre du peuple uniate.

Tous les moyens sont bons pour le contraindre à l’abjuration. « On fouette à tour de rôle, dit-elle, le mari et la femme, afin que l’un des deux, ému par la compassion, engage l’autre à se rendre. On a vu des femmes enceintes expirer sous les coups. Pour obtenir l’apostasie des pères, on fouette les enfants. A ma connaissance, dix-sept de ces innocentes créatures sont mortes dans ce supplice. » A ces indications, combien d’autres peuvent êtres jointes 1 Dans beaucoup de villages, il y eut des martyrs. En 1835, les paysans catholiques d’une paroisse des environs de Vitebsk, en Lithuanie, résistèrent longtemps aux menaces et aux cruautés des soldats qui s’étaient emparés de leur église. Plusieurs expirèrent sous les coups ; les autres se réfugièrent sur nn étang glacé ; les soldats furieux les sommèrent de se rendre ; tous s’écrièrent : a Nous aimons mieux mourir que d’abandonner la religion de nos pères. » Les soldats brisèrent la glace et noyèrent vingt-deux paysans. Mais l’armée elle-même eut ses martyrs. La même année, et dans le même pays, un commandant russe ayant déclaré à ses soldats catholiques que la volonté de l’empereur Nicolas était qu’ils

reconnussent son Eglise, presque tous répondirent qu’ils aimaient mieux mourir que d’apostasier, et aussitôt leurs camarades orthodoxes reçurent l’ordre de les convertir à coups de bâton et de sabre. Un grand nombre de ces braves moururent sous les coups ou à la suite de leurs blessures (article cité de y Encyclopédie catholique, t. XVI, p. 846).

Les actes de nombreux martjTS uniates ont pu être rédigés, avec une scrupuleuse exactitude. On les trouvera dans le livre d’un bénédictin français, Dom Théophile Biîrengikr, Les martyrs uniates en Pologne : récits des dernières persécutions russes, publiés d’après des documents originaux (Paris et Poitiers, 1868). C’est à ce livre que nous avons emprunté les détails qu’on a lus sur les martyrs ecclésiastiques. Presque plus touchants encore sont les souvenirs qu’il a conservés des pauvres gens.

Le vendredi saint de l’an 1841, trois habitants du village lithuanien de Dudakowitzé, qui étaient restés pendant plusieurs jours, avec les autres paysans, enfermés dans l’église pour empêcher les schismatiques d’}' entrer, reçurent trois cents coups de verges sans consentir à embrasser l’orthodoxie russe. « Je vous remercie, Seigneur Jésus, dit l’un d’eux, de ce que vous avez permis qu’un misérable comme moi souffrit le jour de votre mort, pour ses propres péchés, le même supplice que vous avez bien voulu endurer pour nous tous de la main des Juifs. » Emporté mourant dans un couvent transformé en prison, ce paysan, appelé Lucas, commanda à ses enfants de l’enterrer eux-mêmes, sans l’assistance du pope, puis ordonna d’enterrer près de lui sa femme, dont il prédit la mort prochaine : elle mourut en effet le jour de Pâques. L’autre paysan, Gaspard, mourant aussi de la flagellation, fit à ses enfants les mêmes recommandations. Le troisième était l’organiste de la paroisse, Maciuszewski : on l’enferma jusqu’à la fin de ses jours dans un couvent schismatique. En 1854 seulement, c’est-à-dire après onze ans de résistance, les villageois se soumirent, par peur de la Sibérie, mais on vit des actes de désespoir : une mère entraînée par force à la chapelle russe pour y faire rebaptiser son nouveau-né, lui brise le crâne contre une pierre, en criant : « J’aime mieux qu’il meure que de perdre son àmel »

On nous permettra, â propos de ces tragiques épisodes, une observation : quand les persécuteurs veulent obliger les uniates à se faire rebaptiser ou à laisser rebaptiser leurs enfants, ils leur imposent un joug que les principes mêmes du schisme russe n’autorisent pas, et exercent contre eux une tyrannie sans motif, a Comme chef de l’Eglise grecque, — écrivait le 29 décembre i^’jS Catherine II à Voltaire,

— je ne puis, de bonne foi, vous laisser dans l’erreur sans vous répondre. L’Eglise grecque ne rebaptise pas. » Aussi, quand la luthérienne Catherine, princesse d’Anhalt, épousa en i ^45 le futur Pierre III et se convertit à la religion orthodoxe, ne fut-elle pas rebaptisée, ce qui ne l’empêcha pas de devenir, par le meurtre de son époux, impératrice de Russie et Cl chef de l’Eglise grecque ».

Reprenons notre récit. Un vaste champ s’ouvrait, sous Nicolas, aux investigations de la police et aux recherches intéressées des popes. L’empereur avait décidé que tous ceux ceux qui étaient devenus catholiques après l’année i 798 n’avaient pas cessé d’appartenir au schisme, et devaient y être réintégrés. Il y eut des villages où la pression exercée contre les uniates dura plus longtemps encore qu’à Dudakowitzé, par exemple celui de l’orozow. Les hommes, les femmes, les enfants y étaient fouettés chaque jour, jusqu’à ce qu’ils apportassent un certificat du pope, constatant leur présence à l’église russe. Tous