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MARTYRE

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au nom de Notre-Seigneur, n’ayez aucune communication avec ces gens-là ; ne vous exposez point aux dangers qui en peuvent arriver, parce qu’en vous exiiosanl, comme j’ai dit, vous exposeriez tout et feriez grand tort aux pauvres ciireliens esclaves, en tant qu’ils ne seraient plus assistés, et vous fermeriez la porte pour l’avenir à la liberté présente que nous avons de rendre quelque service à Dieu en Alger et ailleurs. Voyez le mal que vous feriez pour un petit bien apparent. Il est plus facile et plus important d’empêcher que plusieurs esclaves ne se pervertissent que de convertir un seul renégat. Un médecin qui préserve du mal mérite plus que celui qui le guérit ; vous n'êtes pas chargés des âmes des Turcs et des renégats, et votre mission ne s'étend point sur eux, mais sur les pauvres chrétiens captifs. » (Lettres de sd’mt Vincent de Paul, t. I, Paris, 1880, p. 357)

J’emprunte à quelques missionnaires — le P. Dan, Trinitaire, auteur de l’Histoire de la Barbarie et de SCS corsaires (1636), et les deux consuls lazaristes, MM. GuÉRiN et Lb Vacher, quelques épisodes de la confession ou du martyre d’esclaves détenus dans les pays barbaresques.

Le P. Dan raconte l’histoire, arrivée en 1633, d’un mousse de Saint-Tropez, âgé de quinze ans, Guillaume Sauvéir ; après avoir essayé en vain de toutes les séductions pour le convertir à l’islamisme, les Turcs le suspendirent par les pieds, et lui donnèrent la bastonnade, en le sommant de renoncer à la religion chrétienne. Comme il s’y refusait, on lui arracha les ongles des orteils et on lui coula de la cire fondue sur la piaule des pieds, sans pouvoir ébranler sa constance. M. Guérin cite, en 1646, à Tunis, un enfant de onze ans, deux fois bàtonné, refusant l’abjuration et disantau maître qui le frappe : « Coupe-moi le cou si tu veux, car jesuis chrétienetneserai jamais autre. » (Abellv, Vie de saint Vincent de Paul, éd.1836, t. V, p. 97) Le même M. Guérin parle d’un autre enfant, Marseillais, âgé de treize ans, lequel reçut plus de millecoupsde bâton idulôtque de renier le Christ : on lui coupa sur le bras un morceau de chair,

« comme on ferait une carbonnade pour la mettre

dessus le gril » ; enfin on allait lui donner encore quatre cents coups de bâton quand le missionnaire, se jetant aux pieds du maître, les mains jointes, obtint de le racheter (l’fci’rf., p. 106). En 1648, rapporte M. Le Vacher, il y avait à Tunis deux jeunes esclaves de quinze ans, l’un Anglaisct protestant, l’autre Français et catholique. Le premier fut converti par son camarade au catholicisme. Il refusa d'être racheté par des marchands anglais, qui voulaient l’inscrire parmi ceux de leur religion, et déclara qu’il aimait mieux demeurer esclave toute sa vie que de cesser d'être catholique. Les deux amis, qui refusaient de se faire musulmans, furent plusieurs fois battus par les Turcs, aupointd'êtrelaissés à terre comme morts. Le petit Anglais, trouvant un jour son ami dans cet état, l’embrassa en disant publiquement : « J’honore les membres qui viennent de souffrir pour Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu. » A moitié assommé à son tour, il fut rapporté inanimé dans sa case, où le petit Français vint le visiter, l’exhortant à toujours souffrir vaillamment pour le Christ. Un Turc, qui portait deux couteaux à sa ceinture, menaça l’intrépide enfant de lui couper les oreilles : mais le petit Français, s’emparant d’un des couteaux, se trancha luimême une oreille, et, la tenant toute sanglante, demanda au Turc s’il voulait encore l’autre. Le courage des deux jeunes esclaves étonna si fort les infidèles, qu’ils cessèrent de les tourmenter. L’année suivante, les deux petits martyrs moururent de la peste (ibid., p. 99-io3).

Voilà de quoi des enfants furent capables. Non moins intrépides se montrèrent des femmes. Toutes, hélas I ne purent sauver leur vertu, et plusieurs — on cite même des religieuses — n’abjurèrent leur foi qu’après avoir subi toutes les hontes du harem. Mais d’autres obtinrent par leur courage la couronne du martyre. C’est encore M. Guérin qui raconte, en 1646, l’histoire d’une esclave chrétienne de Tunis qui, plutôt que d’abandonner sa religion, reçut plus de cinq cents coups de bâton ; restée à terre, à demi morte, deux Turcs « la foulèrent avec les pieds sur les épaules, avec une telle violence, qu’ils lui crevèrent les mamelles » (ibid., p. io5). M. Guérin raconte encore l’histoire d’une jeune femme sicilienne, à Bizerte, « le mari de laquelle s'était fait Turc. Elle a enduré trois ans entiers des tourments inexplicables plutôt que d’imiter l’apostasie de son mari ». Elle était « toute couverte de plaies », quand « deux cent cinquante écus, donnés par aumône », permirent de la racheter (ibid., p. 106).

Dans une de ses lettres à saint Vincent de Paul, M. Jean Le Vacher parle d’une barque française, qu’un naufrage lit échouer sur la côte de Tunis. Six hommes la montaient. Capturés, ils furent vendus à Tunis comme esclaves. Le dey voulut les contraindre à se faire musulmans. Deux cédèrent à la violence des bastonnades ; deux autres « moururent constamment dans les tourments plutôt que de consentir à une telle infidélité ». M. Le Vacher parvint à racheter les deux survivants, en se portant caution d’une partie du prix. « Pour moi, écrit-il, j’aime mieux souffrir en ce monde que d’endurer qu’on renie mon divin Maître, et je donnerais volontiers mon sang et ma vie, voiremême mille vies si je les avais, plu-' tôt que de permettre que des chrétiens perdent ce que Notre-Seigneur leur a acquis par sa mort. » (Ibid.,

P- "O’j)

Dans ce pauvre monde de prisonniers et d’esclaves, s’il y eut des confessions ou des morts admirables, il y avait aussi, nous l’avons dit, d’innombrables reniements. Tout en observant les conseils de prudence donnés par saint Vincent de Paul, les Lazaristes s’occupaient discrètement de ces renégats. Xous voyons par leurs lettres qu’ils en convertirent beaucoup (ibid., p. 85, 97). Nous voyons même qu’ils parvinrent à convertir et à baptiser plusieurs musulmans de naissance ; mais, dit Abelly, a pour ce qui est de ces Turcs et renégats qui se convertissaient à notre sainte religion, les prêtres de la mission s’y comportaient avec grande prudence et circonspection, de peur que, si on les eut découverts, cela n’eût empêché le progrès des biens qu’ils tâchaient de faire parmi ces infidèles. C’est pour ce sujet qu’ils n’en parlaient que sobrement dans les lettres qu’ils écrivaient en France, de peur que, ces lettres venant à être interceptées, on ne connût ce que Dieu faisait par leur ministère pour le salut de ces pauvres dévoyés. » (/ii’rf., p. g^.) Voilà, disons-le en passant, qui répond encore au préjugé des « musulmans inconvertissables ».

Dans une conférence aux prêtres de la communauté de Saint-Lazare, saint Vincent de Paul a raconté lui-même le martyre, à Alger, d’un renégat converti. Je crois ne pouvoir mieux faire que de reproduire son récit :

« Il se nommait Pierre Bourgoin, natif de l'île de

Majorque, âgé seulement de vingt et un ou vingtdeux ans. Le maître duquel il était esclave avait dessein de le vendre, pour l’envoyer aux galères de Constantinople, dont il ne serait jamais sorti. Dans cette crainte, il alla trouver le bâcha, pour le prier d’avoir pitié de lui, et de ne pas permettre qu’il fût envoyé à ces galères. Le bacUa lui promit de le faire,