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MARTYRE

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5. Martyres de musulmans convertis. — Si acharnés contre les chrétiens renégats qui revenaient à leur ancienne foi, les musulmans l'étaient plus encore contre leurs propres coreligionnaires passés au christianisme. On a souventdit que « les musulmans sont inconvertissables ». De l’aveu de bons juges, qui ont pour eux l’expérience, cette assertion est exagérée. Malgré les obstacles que présentent l'état d’esprit héréditaire des musulmans et, trop souvent aussi, la mauvaise politique ou les mauvais exemples des chrétiens, les conversions de ce genre ne sont pas, même de nos jours, sans exemple (Les Missions cal)ioliques françaises, t. V, p. 58, 60, 76 ; voir encore, dans le livre d’Augustin Cochin, J.'aholition de l’esclavage, 1861, t. II, p. 521, une note sur les missions calliuliques en Afrique, 1860-1861, rédigée par M. Ducros, secrétaire du conseil de la Propagation de la Foi, à Paris : des conversions de musulmans y sont indiquées ; voir aussi Allies, Journal in France, 1' éd., Londres, igi.'i, p. 177 et l85). Devant la grâce divine, il n’y a pas d'état d’esprit irréductible. Si les conversions de musulmans sont .1 très rares B.on doit ajouter que « généralement ces conversions sont aussi durables qu’elles ont été difficiles àobtenir ». (t.es Missions catholiques françaises, t. V, p. 19) Elles durèrent parfois jusqu’au martyre. Martin Forniel était un Maure, né à Tlemcen, qui, de propos délibéré, « poussé, dit la relation, par une inspiration divine », vint à Oran pour y abjurer le mahométisme et recevoir le baptême. Il prit part ensuite aux expéditions guerrières des Espagnols. Fait prisonnier et amené à Alger, il fut pressé par tous les moyens, promesses et menaces, de renoncer à la religion du Christ. Ses parents accoururent de Tlemcen pour le supplier. Mais vainement lui montra-t-on ce qu’avait d’extraordinaire un Maure, né de Maures, ne vivant pas en Maure dans la foi des Maures 1 » Il demeura inébranlable. Chrétien je suis, et chrétien je dois mourir », répondait-il. On lui coupa une jambe, puis un bras, et on l’acheva par le supplice du ganche, en 1558 (Moliner-Violle, p. 226).

Un missionnaire Carme, établi en Perse, raconte la mort héroïque, en 1621, de cinq Persans, dont un était le jardinier de la mission. Musulmans de naissance, ils avaient reçu le baptême et refusaient de revenir à l’islamisme. Le khan ou vice-roi de Sciras, qui les avait arrêtés, condamna à mort deux d’entre eux : Elle fut cousu dans une peau d'âne, puis empalé ; Chassadir fut éventré. On conduisit les trois autres près d’Ispahan, au roi de Perse, qui était alors Abbas le Grand (1587-1629). Celui-ci s'était toujours montré favorable aux chrétiens (Les Missions catholiques françaises, t. I, p. 198) ; cependant il interrogea sévèrement les convertis, et, sur leur refus d’abjurer, les condamna à mort. Le crime de musulmans infidèles à leur religion lui avait paru irrémissible. Les trois martyrs, Alexandre, Joseph et Ibrahim, furent lapidés. Mais, par une exception bien rare, leur courage émut tellement le souverain persan, que les habitants de quarante-trois bourgs arméniens, qui avaient été contraints à l’apostasie, puis étaient revenus au culte chrétien, furent autorisés à y persévérer : on leur rendit même leurs livres religieux conlisqués (Rabbath, t. 1, p. 448). Il s’agit probablement ici d’une colonie arménienne, qui avait été transportée, par l’ordre d' Abbas, des bords de l’Araxe à Ispahan.

Ajoutons que le mahométisme paraît être, de nos jours, plus intolérant en Perse qu’il ne l'était au xvii* siècle. On vient de voir cinq musulmans convertis martyrisés en 1621 ; mais les missionnaires et les autres chrétiens sont laissés en paix. Al’heure présente, dans les même pays, « le prosélytisme auprès

des musulmans est impossible : le missionnaire qui s’y livrerait ne pourrait s’en promettre qu’un résultat, ce serait d’amener un massacre général des chrétiens. « (/.es Missions catholiques françaises, t. I, p. 190)

6. Martyres d’esclaves chrétiens. — Parmi les esclaves chrétiens qui remplissaient les « bagnes » et les galères de l’Etat ou les maisons des particuliers, à Constantinople et dans toutes les villes du Levant et des Etats barbaresques, les martyrs furent aussi très nombreux. A beaucoup de ces captifs avait été laissée une liberté de conscience relative : au xvi', au xvii", au xviiie siècle, non seulement les religieux spécialement autorisés à traiter de leur rachat, comme les Trinitaires et les Pères de la Merci, mais encore ceux des autres ordres, Dominicains, Capucins, Jésuites, Lazaristes, avaient facilement accès auprès d’eux, leur disaient la messe, leur prêchaient même des retraites, leur administraient les sacrements. Dans bien des cas, cependant, cette liberté de conscience était supprimée, et les musulmansessayaient par tous les moyens de contraindre à l’abjuration leurs captifs, particulièrement les jeunes gens et les femmes : ni les menaces, ni les promesses, ni les séductions de toute sorte n'étaient alors épargnées : on vit des pères promettre â un esclave la main de leur ûUe, s’il se faisait musulman. Beaucoup résistèrent jusqu’au sang, et même jusqu'à la mort ; parmi ceux, en grand nombre, qui succombèrent, il en y eut aussi beaucoup qui se relevèrent et payèrent de leur sang leur repentir.

La nécessité de ménager les susceptibilités des musulmans, afin de continuer leur ministère auprès des prisonniers, obligeait les religieux à une grande réserve. Celle-ci est plusieurs fois recommandée par saint Vincent de Pacl aux Lazaristes envoyés par lui en Afrique, et particulièrement à ceux que le roi de France avait autorisés à l’y représenter comme consuls. Nous ne pouvons nous arrêter ici devant ces admirables figures de consuls lazaristes. Citons seulement M. Guérin et M. Jean Le Vacher. A cette question qui lui est posée au moment de son départ pour Tunis : « Eh bieni monsieur Guérin, vous allez donc vous faire pendre en Barbarie ? » il répond : « J’espère davantage, je compte sur le pal et sur mieux encore. » On demande de même à M. Le Vacher, qui après un premier consulat à Tunis, où il avait beaucoup soulfert, venait d'être nommé consul à Alger : » N’avez-vous pas peur de retourner parmi ces barbares ? » — « Si je voyais, dit-il, d’un côté le chemin du ciel ouvert et de l’autre celui d’Alger, je prendrais plutôt ce dernier, par la charité que je sais qu’il y a à exercer, parmi ces infidèles, en^ ers les pauvres esclaves. » On connaît la mort héroïque de Jean Le Vacher, dont la cause de béatification s’instruit en ce moment (voir R. Gleizes, Jean Le Vacher, vicaire a/JOstolique et consul à Tunis et à Jlger, 1619-1683, d’après les documents contemporains, Paris, 1914). Cependant, à peine les textes permettentils d’apercevoir quelque chose de son apostolat envers les musulmans (voir Gleizes, p. loi). Le missionnaire qui portait un de ceux-ci. Turc ou renégat, à changer de religion, encourait en Barbarie la peine de mort, et surtout mettait en péril la mission à laquelle il appartenait. C’est pourquoi saint Vincent de Paul avait demandé â ses Lazaristes de passer sous silence les conversions secrètement opérées par eux parmi les musulmans. Il leur conseillait même une grande prudence dans leUTS rapports avec les renégats. Ecrivant à Philippe Le Vacher, frère de Jean, en décembre 1650 : « Vous avez, lui disait-il, un autre écueil à éviter parmi les Turcs et les renégats :